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Extrait des Mémoires de l’Académie des Sciences et Lettres de Montpellier, section des Lettres, 1900-1907, pages 279-472.

par A. Vigié

 

 

TABLE DES MATIÈRES

                                                                                                                                    Pages

 

CHAPITRE PREMIER

LES BASTIDES DU PÉRIGORD                                                                     279

§ I. DES PRINCIPALES BASTIDES FONDEES EN PERIGORD         286

a) Villefranche du Périgord                                                      287

b) Beaumont                                                                             306

c) Molières                                                                               321

d) Montpazier                                                                           330

e) Courtes notices sur les autres bastides du Périgord               337

I. Bastide d'Eymet                                                         337

II. Bastides de Castelréal et de Dome                            338

III. Bastide de Puyguilhem                                            340

IV. Bastide de Fonroque                                               342

V. Bastides de Beaulieu et de Villefranche                   342

VI. Bastide de Beauregard                                            344

VII. Bastide de Sourzac, plus tard St-Louis                   349

VIII. Bastide de Lisle en Périgord                                 353

IX. Bastides fondées par le comte de Périgord              354

§ II. Administration des Bastides                                                          355

 

CHAPITRE II

CHARTES ET PRIVILEGES DES BASTIDES                                                 368

I. Garanties politiques                                                                           391

II. Liberté civile                                                                                    392

III. - Organisation municipale des bastides                                           401

IV. Juridictions : Droit civil et Droit criminel                                        415

A. Juridictions                                                                          415

a) Juridictions des seigneurs locaux                              416

b) Juridictions municipales, juridictions relevant

du fondateur de la bastide                                            417

c) Sénéchaux                                                                422

§ 1. Sénéchaux, juges de 1re instance                            426

§ 2. Sénéchaux, juges d'appel                                       427

§ 3. Appel au seigneur suzerain de la Bastide               430

B. Droit criminel des Bastides                                                  440

a) Coups et blessures                                                    444

b) Paroles injurieuses et outrageantes                            445

c) Adultère                                                                    446

d) Menaces avec armes tranchantes                              447

e) Vols et rapines. Dommages aux champs                   447

C.Procédure civile, organisation du Notariat                             455

D. Foires et marchés                                                                 459

V. Fours, Boulangeries                                                                         464

VI. Service militaire                                                                              468

 

 

 

 

LES BASTIDES DU PÉRIGORD

Par M. VIGIE

 

p. 279 (1)

 

Les bastides sont des villes fondées généralement sur un terrain désert ou formant une propriété rurale, dans lesquelles on essaya d'attirer les hommes des seigneuries voisines, et d'y retenir la population, au moyen soit de libertés politiques, soit de franchises civiles.

La prospérité de ces établissements démontra le mérite et la valeur de cette organisation; aussi vit-on, en divers points du pays, s'élever d'importantes agglomérations urbaines, en même temps que des formations urbaines anciennes accepter et solliciter le régime et la constitution des bastides.

C'est principalement pendant la durée du XIIe au XIVe siècle que ces établissements se multiplièrent dans le sud-ouest de la France.

La révolution communale fut un événement social; elle fut, comme la féodalité, un phénomène indépendant quant à son essence, des races, des langues et des frontières. La commune, comme les autres formes de l'émancipation populaire naquit, en France, comme dans les autres pays, du besoin qu'avaient les habitants des villes et des campagnes de substituer l'exploitation limitée et réglée à l'exploitation arbitraire dont ils étaient les victimes, « La révolution communale n'a été qu'un des aspects du vaste mouvement de réaction sociale et politique qu'engendrèrent partout, du XIe au XIVe siècle, les excès du régime féodal (1). »

 

(1) Ach. Luchaire: Les communes françaises à l'époque des Capétiens directs, Paris 1890.

 

p. 280 (2)

 

La fondation des bastides fut une des formes de la révolution communale; mais il s'y rattache des considérations accessoires qui donnent à ce phénomène une physionomie particulière.

Suivant l’opinion généralement acceptée (1), la fondation des bastides se lie par son origine aux immunités accordées par les rois carolingiens aux grands monastères; elles permirent à ces derniers, pour l’exploitalion de leurs immenses domaines, les fondations de centres de population nombreux, sous les dénominations de Sauvetat, la Salvetat, Saint..., Moutier, etc.

Les seigneurs ne tardèrent pas à suivre l'exemple que leur donnaient les monastères et ouvrirent dans leurs domaines de nombreux lieux d'asiles. Le duc d'Aquitaine, les comtes de Toulouse, de Foix, de Bigorre, de Périgord et leurs vassaux pratiquèrent ces fondations dont les noms caractéristiques rappellent l'origine.

Sans avoir à étudier, dans son ensemble, ce système de fondation de villes nouvelles, constatons seulement que le comte de Toulouse, Raymond VII, avait établi dans ses états un très grand nombre de villes neuves; Alfonse de Poitiers, successeur de Raymond VII, fit de cet usage une véritable institution et entoura ses états d'une ceinture de villes neuves, où venaient affluer les mécontents des seigneuries voisines, elles formèrent des points d'appui très importants de son autorité. Aussi ne devons-nous pas nous étonner de voir ces fondations se multiplier sur la frontière anglo-française, en Agennais, à l’entrée du Périgord et en Quercy.

Les rois de France et, d'Angleterre suivirent ces exemples; et, pour assurer leur autorité, les uns et les autres fondèrent, à la frontière de leurs possessions, des centres importants, lieux privilégiés, soumis à un régime très libéral et points d'appui

 

(1) Molinier: Notes sur l'Histoire du Languedoc (nouv. édition Privat), t. VII, p. 559. A. Giry: Biblioth. de l'Ecole des Chartes, t. XLII (1881), p 451, et Curie Simbres: Essai sur les villes fondées dans le sud-ouest de la France aux XIIIe et XIVe siècles sous le nom générique de bastides, etc. (Toulouse, 1880).

 

p. 281 (3)

 

de leur influence. Là trouvèrent leur origine des villes aujourd'hui importantes; nous voudrions, pour le Périgord principalement, étudier ces fondations de bastides ou villes neuves, sans cependant nous interdire absolument de faire quelque incursion dans les territoires voisins.

Le Périgord doit à Alfonse de Poitiers les fondations de Villefranche du Périgord (antérieurement Villefranche de Belvès), d'Eymet et de Sainte-Foy-la-Grande (1).

Aux rois d'Angleterre, les fondations de Lalinde, de Beaumont du Périgord, de Molières, de Montpazier, de Beauregard, aux rois de France, de Dome et de la bastide de Saint-Louis; au comte de Périgord, celle de Bénevent, pour ne parler que des plus importantes.

Les fondateurs des bastides trouvaient de grands avantages dans ces établissements; par là, ils augmentaient leurs revenus, peuplaient leurs domaines, créaient de nouvelles villes, qui faisaient concurrence aux villes plus anciennes, et attiraient à elles un mouvement commercial considérable; enfin, pour les grands feudataires (Alfonse de Poitiers, par exemple), pour les rois de France et d'Angleterre, toujours préparant la guerre ou se la faisant, ils réalisaient par ce procédé, à leurs frontières, rétablissement d'une ligne de places fortes, villes de liberté, qui attiraient à elles les populations mécontentes des pays limitrophes, et qui, la guerre venue, étaient des postes avancés pour l'attaque, des boulevards pour la défense.

Si ces fondations de villes réussirent d'une façon si complète, elles le durent à un ensemble de circonstances qu'il faut indiquer. Le régime féodal, dans la pratique, avait amené de grands excès; beaucoup de seigneurs se permettaient vis-à-vis des populations rurales de nombreux abus d'autorité: les paysans qui « travaillent pour tous, dit Geoffroy de Troyes, qui se fatiguent dans tous les temps, par toutes les saisons,

 

(1) Nous rattachons Sainte-Foy au Périgord, bien qu'au Moyen-Age cette localité fût du diocèse d'Agen et fasse actuellement partie du départemeut de la Gironde.

 

p. 282 (4)

 

qui se livrent à des œuvres serviles, dédaignées par leurs maîtres, sont incessamment accablés, et cela, pour suffire à la vie, aux vêtements, aux frivolités des autres..., (les nobles et le clergé), on les poursuit par l'incendie, par la rapine, par le glaive; on les jette dans les prisons et dans les fers, puis on les contraint de se racheter, ou bien on les tue violemment par la faim, ou on livre à tous les genres de supplices... les pauvres crient, les veuves pleurent, les orphelins gémissent, les suppliciés répandent leur sang (1) ».

En supposant même que ces violences fussent l'exception, il y avait à cette époque une grande partie de la population, les serfs questaux, dont la condition était des plus précaires: la publication de nombreux documents relatifs à cette catégorie de serfs permet de se rendre compte de sa condition misérable (2).

Les serfs questaux, eux et leurs enfants, attachés au sol à cultiver, accablés de redevances, exposés à être renvoyés du domaine, ne jouissaient d'aucune liberté civile, ni pour eux, ni pour leur famille; ils étaient sous la volonté arbitraire de leur seigneur, obligés d'obtenir de celui-ci, en les payant à chers deniers, les autorisations nécessaires pour les actes de la vie civile, mariage de leurs enfants, entrée dans les ordres, etc. (3).

Aussi s'explique-t-on le double courant qu'entraînait toute

 

(1) L'abbé d'Ougny, Pierre le Vénérable, écrit dans sa lettre 51-28: Patet quippe invitis, qualiter seculares domini rusticis servis et ancillis dominentur — praeter solitos census ter et quater in anno, vel quoties volunt, bona ipsorum diripiunt, innumeris serviciis affligunt, onera gravia et importabilia imponunt, unde pleiumque eos etiam solum propium relinquere et ad peregrinos fugere cogunt.

(2) Parmi les nombreux documents publiés, citons les reconnaissances faites à titre de serf questal et rapportées dans les Archives historiques de la Gironde, t. I, p. 66 (15 mai 1372), Comp. t. 1, p. 70, n° XXXIV, 24 août 1384; XXXV, 25 octobre 1337; XXXVI, 4 mai 1389, p. 80, et passim autres volumes.

(3) Comp. Les Bastilles Landaises (Revue des questions historiques, 1901 p. 456 et suivantes) et les documents y cités sur les serfe questaux (page 480, note 12).

 

p. 283 (5)

 

fondation d'une bastide ou ville nouvelle; là venaient affluer les mécontents des seigneuries voisines, avides d'un régime libéral, et contre toute fondation nouvelle protestaient les seigneurs dont les terres se dépeuplaient.

A toutes les époques, et à chaque fondation de bastide, il en avait été ainsi. Nous avons présent à la mémoire les entraves qu'apportait l'evêque de Rodez aux fondations de bastides faites par Alfonse de Poitiers (1), et le règlement qui fut provoqué par ce prince, et fait conformément aux décisions de l'assemblée des consuls et notables d'Agen (2). L'histoire nous a conservé les plaintes que provoquait, de la part des seigneurs voisins, la fondation d'une ville nouvelle (3).

De même le roi d'Angleterre se faisait un grief contre le comte de Périgord de la fondation des bastides et de la diminution des droits qui en était le résultat (4) et, en sens inverse, les seigneurs se plaignaient auprès du roi d'Angleterre de ce que leurs tenanciers se retiraient dans les bastides anglaises,

 

(1) Plainte adressée à Alfonse de Poitiers par Gui de Séverac, contre Vivien évêque de Rodez (Histoire du Languedoc (éd. Privat), t. VIII (no CCCXXXVII, 487). «... Après Sire, je vos faz saver que cum vos gens feisent une ville novelle, qui a num Villefranche et voltre terre domine près de Najac, e mout de [gens] ce eberiacent e preissent places por feire maison, le aveque escomenia les habitants de celui lou et maudit le Lou et les habitants, dont moulte gens se trairent areires et s'en alèrent, nins de ceux qui avoient lors maisons faites, don vous avez moult grant damage ... »

(2) Ordonnance des enquêteurs envoyés par Alfonse dans l'Agenats et le Quercy en 1252 (Histoire du Languedoc (éd. Privat), t. VII, p. 419 à 424. Il fut posé en principe que le sénéchal ne pourrait décider la fondation d'une nouvelle bastide, que sur un mandat spécial du comte (b. a.) et des règles furent fixées sur l'admission des hommes dépendant d'autres seigneurs, en garantie des droits de ces derniers (b).

(3) Voir relativement à la bastide de Briateste, en Albigeois, les plaintes des seigneurs (Histoire du Languedoc (éd. Privat), t. IX, p. 127, note 1).

(4) Au nombre des plaintes que le roi d'Angleterre formule contre le comte de Périgord, nous voyons, d'après la traduction de Dessales: « ... Il (le comte de Périgord) suscite toute espèce d'embarras au roi, au sujet du commun, et fait tous ses efforts pour que les habitants de la bastille de Bénevent et ceux d'une autre bastille qu'il vient de construire à Vergn, ne le payent pas, veillant à ce que les sujets qui doivent, ce tribut se retirent dans ces bastilles et même dans le château de Roussille, au moment où il faut l'acquitter, et retournent chez eux quand la levée est achevée... » L. Dessales, Histoire du Périgord, t. II, p 49 et 50. Arch de Pau, 3° inv prép. P. et L, 1. 474,  n° 24.

 

p. 284 (6)

 

au préjudice de leurs droits (1) et, soit collectivement soit individuellement, ils prenaient des garanties contre les fondations de bastide dans leurs domaines (2).

Quoi qu'il en soit de ces difficultés, il n'en est pas moins certain que ces fondations réussirent admirablement; les populations se pressèrent d'accourir dans ces villes. Et bientôt celles-ci jouèrent un rôle dans les affaires publiques; la prospérité de beaucoup s'est maintenue et ainsi doivent leur origine à ces anciennes bastides un grand nombre de chefs-lieux d'arrondissement et de canton.

A quoi était dû ce succès? Au régime profondément libéral qui leur avait été accordé: là, en effet, se rencontraient; à côté d'une organisation municipale bien comprise, pour tous les

 

(1) Rôles gascons, t. II, n° 1664 (a. 1289). Le roi fait allusion à la plainte de Bernard de Mouleydier, Dominus Castri de Monte Claro (Montclar, cant. de Villamblard), relativement à ses serfs questaux que l'on avait acceptés comme membres des bastides de Beauregard et de Molières (et homines bastide de Belloregardo et de Molieres homines suos questales receperint) et dont il réclame la restitution pour lui et pour ses vassaux. Le roi ordonne qu'il soit fait droit à cette demande, « unde vobis mandamus ut dictos homines questales ad voluntatem in bastidis predictis recipi minime permutatis; et, si qui de novo recepti fuerint, secundum tenorem statuti nostri seu tenencium locum nostrum super hoc editi, faciatis eos a dictis bastidis expelli. »

(2) Voir le règlement fait pour la Gascogne, en faveur des barons, par les commissaires d'Edouard Ier (10 sept 1278, Livre des coutumes de Bordeaux, n° XCV, p. 570). Comp. R. G, t. II, n° 1053.

« ... Volumus et concedimus eisdem baronibus, militibus et aliis subditis suis, vice et nomine dicti nomini nostri Regis, quod bastide nobe non fiant in locis propriis vel in quibus eumdem Baronibus Barones vel eorum subditi cistam justitiam habere noscuntur sine voluntate illorum, etc., etc. Item, quod homines predictorum baronum suorum conquestales in bastidis domini nostri Regis predicto de cetero non recipiantur sine predictorum dominorum concenssu... etc., etc. C'est probablement le règlement auquel il est fait allusion dans la note précédente. Beaucoup de vassaux stipulaient du suzerain que celui-ci ne fonderait pas de bastide dans leurs domaines.

 

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habitants de la bastide, une liberté civile complète, quant à leurs personnes, à leur famille et à leur propriété; un régime protecteur pour le commerce et les commerçants; la suppression des entraves à la circulation des marchandises; la liberté individuelle protégée; les délits clairement indiqués; les peines adoucies et déterminées; des sauvegardes nombreuses contre les abus des autorités municipales et seigneuriales.

 

p. 286 (8)

CHAPITRE PREMIER

 

§1. DES PRINCIPALES BASTIDES FONDEES EN PERIGORD

 

a) Villefranche du Périgord. b) Beaumont. c) Molières. d) Montpazier. e) Courtes notices sur les autres bastides.

 

Nous avons en vue d'étudier les principales bastides fondées en Périgord. Leur histoire n’est pas inédite, car les faits qui les intéressent ont été relevés avec soin par le consciencieux M. Léon Dessales, dans son Histoire du Périgord (1).

Mais peut-être trouvera-t-on quelque intérêt à rencontrer groupés, sous une même rubrique, les faits relatifs à chacune d'elles. En outre, leur histoire est surtout intéressante jusqu'à la fin de la guerre de Cent Ans. Ce sera la limite extrême à notre récit.

Si cette étude ne comprend que les bastides mentionnées dans la rubrique, le motif en est qu'elles forment un groupe situé dans la même région, présentant une histoire à peu près identique; il eût été possible d'y joindre Lalinde, si son histoire n'avait été déjà présentée, et d'une manière très complète par M. l'abbé Goustat, dans le Bulletin de la Société historique et archéologique du Périgord (2).

L'auteur complétera le paragraphe 1 en ajoutant de courtes notices sur les autres bastides périgourdines.

 

(1) Ouvrage édité après sa mort par son ami M. Georges Escande. Périgueux, Delage et Jougla, 1885, 3 vol., t. II, passim

(2) T. X.

 

p.  287 (9)

 

a) — Villefranche du Périgord

 

Villefranche du Périgord est le chef-lieu d'un canton qu'il faut placer parmi les moins importants du département de la Dordogne; son histoire présente un certain intérêt et, malgré la perte complète de ses archives, soit au moment de la Révolution, soit plus anciennement, pendant la guerre avec les Anglais, ou pendant les guerres de religion, les points principaux de cette histoire peuvent être fixés avec un absolu degré de certitude.

 

Origine de la Villefranche. (1) — Villefranche est une bastille ou bastide, dont la fondation remonte à 1261; elle doit son existence au frère de saint Louis, Alfonse de Poitiers. Ce prince eut, comme dépendances du Comté de Toulouse, d'assez nombreuses possessions dans le territoire qui, au sud du Quercy, s'étend entre la Dordogne et le Lot: ainsi, en 1259, la paroisse de Saint-Étienne-des-Landes figure au nombre des fiefs appartenant au comte (2).

Ce prince avait aussi des fiefs dans les paroisses voisines et notamment dans les paroisses de Besse, Loubejac, Viel-Sieurac et Saint-Cernin.

En 1260, B. de Pestilhac détenait, comme vassal d'Alfonse, des terres dans la paroisse de Viel-Sieurac, dans le territoire de laquelle allait bientôt être fondée la bastide de Villefranche (3); fait que rappelle un document important, conservé par Doat, et tiré des archives de Rodez (4).

 

(1) L. Dessales, t. II, p. 14, Hist. du Périgord.

(2) 1259 Sanci-Steph. de Landis figure au livre des fiefs du comte Alfonse (Archiv. nat. J. J., 11, fol. 93 v°) [dans un document que nous aurons bientôt à citer, de l'année 1287, cette paroisse sera désignée sous le nom de Parrochia Sancti Stephani de Paliis].

(3) Voir le numéro 11646, fonds français à la Bibliothèque nationale (ancien S. Fr., 54016).

(4) Doat, vol. 74, fol, 91 à 94: Item bastidam de Villa francha, in introitu Petragoricensis; locum habuit ex dono, valentem per annum ducentas libras Turonensium vel circa. Rodez, archives du roy: Mémoire des acquisitions faites par Alfonse, comte de Toulouse et de Poitiers.

 

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La fondation de Villefranche fut faite en 1261, au nom du comte Alfonse, par Pons Maynard et Denys de la Haye le François, lieutenants et procureurs fondés de Guillaume de Bagnols [Baniols ou Banhols] chevallier, sénéchal d'Agennais et de Quercy, pour ledit comte. Les procureurs agissaient du « voulloir et prières des barons, chevaliers, donzels ou écuyers et des recteurs des églises..., ayant terres aux environs de Villefranche. » La procuration donnée par le sénéchal rappelle les circonstances de la fondation: « Nous vous mandons et commandons de la part dudit seigneur conte et seigneur que vous vous transportiez en personne à l'église de la bien heureuse Notre Dame de Viel-Scieurac au dieucèze de Périgort et que illec faciez construire une bastille ou villefranche en la terre et lieu qui vous sera demonstré par notre donzel B. de Pestilhac et au lieu qu'il vous assignera, en touct au nom dudit seigneur conte, au phieuf que ledit de Pestilhac tenoit dudit comte près de ladite églize de Notre-Dame de Viel-Scieurac, vous donnant et concédant plaine et libre puissance que assigniez et fassiez donner des coustumes et statuts aux habitants de ladite bastille estant toutes fois à l'honneur et utilité dudit seigneur conte et habitants de ladite bastille... (1) »

Les documents relatifs à cette fondation nous ont été conservés par une traduction française, due aux maîtres Vitalis et de Monméja, notaires royaux à Villefranche, dressée en juin 1598 sur les documents originaux en latin: ceux-ci ne sont pas parvenus jusqu'à nous. Mais cette traduction a été dressée à la requête des consuls de Villefranche (2) et sur des documents faisant alors partie des archives de la ville: on doit avoir en elle une pleine confiance.

 

(1) Fonds Français, n° 11.646 (Bibli. nat.).

(2) Jean Monméja, François Bizet, Jehan Faure, François Lavaur, Jehan du Pech et François Boscaman (F. F, n° 11846. Bibl. Nat.)

 

p. 289 (11)

 

Toute fondation de bastide comportait, en premier lieu, la détermination du territoire de la bastide ou fixation des Dex; en second lieu, l'attribution d'emplacements à bâtir dans l'enceinte de la bastide; en troisième lieu enfin, la fixation et détermination des règles suivant lesquelles devait vivre et fonctionner la nouvelle agglomération, règles de droit public et de droit privé, de grande importance pour les nouveaux habitants.

Ainsi on procéda pour Villefranche: « Et ont estably et ordonné par lesdictes coutumes que par tout temps aye Dex en Villefranche, lequel Dex sera cestuy cy:

Savoir toucte la paroisse de Notre-Dame Saincte-Marie de Viel-Scieurac et toute la paroisse de l'église Saint-Pierre de Loubejac, excepté la bourdarie de la Vejarie en laquelle est la tourn et l'hospital de Loubejac, et que soit dans lesdits Dex toucte la paroisse de Sainct-Cernin près de Villefranche (1). »

Ainsi trois paroisses, à l'origine, furent comprises dans les Dex de Villefranche: Viel Scieurac, Loubejac et Saint-Cernin.

Mais d'un autre passage des libertés et coutumes de 1261, on peut induire que les pouvoirs des agents de la bastide durent bientôt s'étendre sur d'autres territoires, qui étaient placés sous l'autorité des mêmes coutumes et formaient des dépendances du comté de Toulouse. «  Et pource que notre seigneur le comte n'avoit terres desquelle luy appartint la propriété, es environs de la bastille de Villefranche, ny en ces dites trois paroisses de Viel-Scieurac, ny de Lobejac, ny de Bessa, ny de Sainct-Estienne de Las Landes, ny de Sainct-Serninq, combien que lesdites terres feussent de luy tenues en phieuf pour raison de la comté de Poytiers et de la comté deThoIouze... » et ainsi les paroisses de Besse et de Saint-Etienne de Las Landes, tenues en fief d'Alfonse, furent tout naturellement rattachées à la bastide, dont elles firent partie dans la suite.

 

(1) Fonds Français, n° 11646, folio 7 in fine et folio 8 in pr.

 

p. 290 (12)

 

Il en dut être de même pour d'autres territoires voisins dont le comte Alfonse était le seigneur: ce qui s'appliquerait aux paroisses de Prats de Belvès et de la Trape qui furent, pendant les temps modernes, rattachées à la bastide de Villefranche; mais leurs baillies figurent, en 1285, dans un état de revenus donnés à Alfonse de Poitiers par son frère Louis IX, en Périgord; et restent jusqu'au XIVe siècle hors la châtellenie (1).

Quoi qu'il en soit, le roi de France ayant succédé à Alfonse de Poitiers, la bastide de Villefranche, en 1287, fut attribuée au roi d'Angleterre, à suite de l'assignation de 758 livres (en déduction des 3000 promises) faite par Raymond, duc de Bourgogne, chambellan du roy, et par Raymond, seigneur d'Orgel, connétable de France, en exécution des lettres de Philippe le Bel.

Ce document nous renseigne sur les développements de la bastide de Villefranche depuis sa fondation; en 1287, au moment de l'assignation au roi d'Angleterre, la bastide de Villefranche comprenait la paroisse de Viel-Scieurac dans laquelle la bastide avait été construite, la paroisse de Loubejac, dans la partie qui s'étend vers Villefranche à partir du chemin allant de Fumel vers Cazals, la paroisse de Saint-Etienne des Landes, à partir du ruisseau Coste vers la Bastide de Villefranche la paroisse de Saint-Cernin de l'Herm, la paroisse de Mazeyroles (2); toutes ces paroisses formaient des dépendances de Villefranche, et étaient, avec celle-ci, comprises dans l'assignation

 

(1) Compte des années 1363 et suivantes (J. Delpit, collection des documents français qui se trouvent en Angleterre, t. I, n° CCXXIII, n° 586; et comptes du fouage de 1365 (fonds Perigord, n° 88).

(2) Cette assignation au roi d'Angleterre, notamment pour Mazeyroles, n'alla pas pas sans difficulté, car dans les Olim, t. II, p. 47, il est dit que cette assignation, au profit du roi d'Angleterre, pour Mazeyroles et autres lieux de cette paroisse, devait être révoquée comme s'appliquant à des localités privilégiées dont l'aliénation ne pouvait être faite par le Roi de France et qu'en conséquence une assignation nouvelle en autres lieux serait faite au profit du roi d’Angleterre.

 

p. 291 (13)

 

au roi d'Angleterre avec les haute et basse justices de ces paroisses (1).

En outre, ce même document nous fournit des renseignements sur d'autres paroisses voisines de Villefranche, et qui, dans la suite, feront partie de son territoire, et qui étaient comprises dans l'assignation au profit du roi d'Angleterre.

Les paroisses de La Trape et de Prats (de Belvès) formaient l'objet d'un débat entre le roi de France et l'archevêque de Bordeaux; celui-ci, seigneur suzerain de Belvès, prétendait sur ces paroisses la haute et basse justice. Le roi de France, de son côté, y prétendait des droits de suzeraineté, probablement comme successeur d'Alfonse de Poitiers. Dans tous les cas, ces paroisses étaient comprises dans l'assignation, et si les droits du roi de France étaient reconnus, l'Anglais y recevrait la haute et basse justice; et si le roi succombait dans ses prétentions, on donnerait au roi d’Angleterre une compensation convenable (2).

Sur les paroisses de Lavaur et de Besse, le roi de France cédait le ressort au roi d'Angleterre, et s'il ne pouvait lui en assurer la jouissance il lui fournirait une compensation (3).

 

(1) D'après la copie de Doat, t. CXX, p. 176: «... Concessimus et assignavimus.... Item bastidam Villae franchae sitam in Petragoricensi diocesi cum pertinentiis suis Videlicet parrochiam de Syoraco, in qua est sita dicta villa, Parrochiam de Lobejaco quae est ab itinere citra per quod itur de Fumello versus Cazals in quantum se extendit versus dictam bastidam, parrochiam Sancti Stephani de Paliis a rivo Coste citra versus dictam bastidam, parrochiam Sancti Saturnini de Heremo, parrochiam de Mazerolis cum justitia alta et bassa earumdem parrochiarum... »

(2) Voir l’Histoire de la châtellenie de Belvès, par A. Vigié, p. 60 et suiv. « Parrochiam de Trapis (La Trape) et de Pratis (Prats de Belvès) sunt in manu domini regis tanquam superioris propter discordiam quae est supra jurisdictionem altam et bassam dictarum parrochiarum inter Dominum Regem et archiepiscopum Burdigalensem et debent tradi regi Angliae, si dorninus rex obtinuit jus in dicta causa, alioquin de alta et bassa justitia dictarum duarum parrochiarum fiet Regi angliae competens emenda. » (Assign. de 758 livres. Doat, loc. cit.)

(3) « Item pro parrochiis de Vaoro [ou Vauro, Lavaur] et de Bessa [Besse] et earum pertinentiis debemus facere emendam regi Angliae pro ressorto, nisi  ressortum tradere possimus. » (Doat, loc. cit.)

 

p. 292 (14)

 

Enfin, d'après ce même document, les bayles de Villefranche, probablement par usurpation, exerçaient le droit de saisie à l’encontre de personnes originaires de paroisses voisines, en exécution de conventions conclues par elles à Villefranche; ils avaient compétence pour connaître des actions en justice exercées à cette occasion; cette pratique sera maintenue, mais pour les voies d'exécution sur les biens, les bayles devront en référer aux seigneurs de ces localités (1).

Ainsi les officiers de la bastide de Villefranche étendaient, à cette époque et dans une certaine mesure, leur autorité sur des paroisses comprises, quelques-unes au moins, dans la châtellenie de Belvès et qui, à toutes les époques, ont fait partie de cette dernière (2).

Les droits conférés au roi d'Angleterre sur Villefranche et ses dépendances, en l287, furent pour les Anglais la justification d'un établissement à Villefranche.

Ils en étendirent l’importance comme le prouve un document intéressant, à la date de 1289 (3).

 

 (1) Item in parrochiis de Franchinetto (Frayssinet le Gélat, com. canton de Casals) et de Aigua sparsa (Aigueparse, sect. de la comm. de Fontenilles, canton de Villefranche du Périgord) de Salis Leydaco (Salles de Belvès, comm. canton et châtell. de Belvès); de font Guala (Fongalop, comm. canton et châtell. de Belvès); de Sancta Fide (Sainte Foy de Belvès, canton de Belvès et paroisse de la châtellenie) de Orlhiaco (Orliac, paroisse de la chât. de Belvès, aujourd'hui canton de Villefranche du Périgord) et de Doyssaco (Doissac, comm. de la chât. et du canton de Belvès) usi fuerunt bajuli, qui fuerunt bajuli dictae villae franchae, pignorare in locis praedictis homines commorantes ibidem, ratione contractuum mitorum in dicta Villafrancha, et consueverunt habere clamores, et, est ordinatum quod bajuli praedicti habeant clamores et guacgia ex causa praedicta, requirere tamen debent dominos dictorum locorum pro executione facienda. » (Copie de Doat, loc. cit.)

(2) Voir Histoire de la châtellenie de Belvès. Bull. de la Soc. histor. et arch du Périgord (ann. 1901).

(3) Rôles Gascons transcrits et publiés par L. Bémont, dans la collection des Documents inédits de l’Histoire de France, t. II, n° 1390, année 17e du règne d'Edouard Ier, roi d'Angleterre.

 

p. 293 (15)

 

Villefranche, pour la sauvegarde des droits du roi d'Angleterre, avait été d'abord placée sous l'autorité du sénéchal de Gascogne; mais, en 1289, elle fut placée sous la direction et l’autorité du sénéchal anglais d’Agenais et de Quercy (1): aussi souvent, à partir de cette époque, cette localité aura la dénomination de Villefranche-d’Agenais.

Pour y défendre ses intérêts et y exercer ses droits, le roi d'Angleterre y avait installé un bayle spécial; nous connaissons, pour 1281, Hugo de Montménard, qui resta plusieurs années à la tête de la baylie, puisque, en 1287, des plaintes se produisirent contre les procédés de son administration; le roi ordonne d'examiner les griefs dirigés contre son bayle; d'accorder aux habitants les indemnités jugées suffisantes et d'avoir en vue, dans toute cette affaire, les droits du roi et les intérêts des habitants (2).

En réorganisant le territoire, à suite de l'assignation faite à son profit, le roi d'Angleterre voulut, à nouveau, fixer l'étendue du territoire et des dépendances de la bastide de Villefranche, il mentionne comme compris dans ses territoires, district et juridiction:

La paroisse de l’église de Viel-Sieurac, dans laquelle est située Villefranche; la paroisse de Loubejac, dans sa partie ouest, celle qui se trouve vers Villefranche, en deçà du chemin qui va de Fumel à Cazals; la paroisse de Saint-Caprais-de-Paliis, à partir de la rivière de la Thèze, dans sa partie vers Villefranche: cette paroisse fait aujourd'hui partie de Cazals, département du Lot; la paroisse de Saint Cernin de l’Herm; la paroisse de Mazeyroles; la paroisse de Saint-Etienne des Landes, confrontant à la paroisse de Viel-Sieurac et qui était détachée de la baylie de Cazals (3); et, enfin toutes

 

(1) R. G., t. II, n° 856.

(2) R. G., t. II, n° 516.

(3) R. G., t II, n° 1390 (22 avril 1289), 17e année du règne d'Edouard Ier: « ... Item, concedïmus et assignamus in honore et prohonore, districtu et pertinenciis dicte ville Ffranche, parochiam ecclesie de Veteri Syoraco (Viel-Sieurac) in qua est sita dicta villa, et parochiam ecclesie de Lobeaco ab itinere citra per quod itur de Ffumello versus castrum de Casalibus, in quantum se extendit versus villam Ffrancham, et Parochiam ecclesie sancti Caprasii de Paliis a rivo Tese citra versus dictam villam, et Parochiam sancti Saturnini de Heremo et parochiam de Masayreles, et parochiam ecclesie sancti Stephani de Landis que coheret se cum parochia ecclesie de Veteri Syoraco predicta, quamvis prius dicta parochia sancti Stephani fuerit de balliva castri de Casalibus supradicti, et omnia alia loca que per dominum regem Ffrancorum vel gentes suas nobis reddita fuerunt assignata una cum villa de Villa Ffranca predicta, et que prius erant de pertinenciis dicte ville, et hec omnia et singula predicta concedimus quamdiu nostre placuerit voluntati... »

 

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les autres localités livrées et assignées par le roi de France au roi d'Angleterre, en même temps que Villefranche, et qui avaient antérieurement fait partie de cette cité: c'est ici une allusion aux paroisses de Latrape, de Prats de Belvès, de Lavaur et de Besse et de quelques autres, mentionnées dans l'acte d'assignation de 1287, rapporté plus haut (1).

A partir de ce moment, la bastide de Villefranche et son territoire se trouvent définitivement constitués; la volonté des souverains, les chances de la lutte, entre l'Angleterre et la France (2) pourront à certains moments, en modifier l'étendue; mais d'une manière générale, Villefranche, tantôt anglaise, tantôt française, restera avec ses dépendances, telle qu'elle fut constituée au XIIIe siècle.

La division du pays en châtellenie au XIVe siècle amena quelques modifications à cette organisation.

D'après le compte du Fouage de 1365, nous connaissons la répartition des paroisses par châtellenie et le nombre de leurs feux; ce fouage fut levé en Périgord par les délégués du roi d'Angleterre Hélie Bernabe et Helie Prestald; la contribution était de 20 deniers sterlings par feux, sur les paroisses des

 

(1) Copie Doat, loc. cit.

(2) Comp. l’enquête faite en 1310, sur les usurpations imputées par le roi d'Angleterre au roi de France et publiée dans le Bulletin de la Société historique et archéologique du Périgord, année 1902, p. 211.

(3) Les coutumes de 1357 accordées à Villefranche n'eurent pas à déterminer le territoire de la Bastide, fixé qu'il était par les documents antérieurs.

 

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diocèses du Périgord, et payable en quatre termes; ces indications du nombre de feux peuvent servir à déterminer l’importance de la population, en tenant compte que le feu est la famille, la maisonnée vivant sous la direction du chef de famille; en comptant pour chaque famille le père, la mère, un ascendant du second degré, deux ou trois enfants, un serviteur, on arrive à, multiplier le nombre de feux par six ou sept et on ne doit pas être loin du chiffre vrai de la population; mais comme dans l'établissement du fouage on ne comprenait ni les nobles, ni les clercs, ni les mendiants (1), il faut ajouter, au chiffre précédemment obtenu un tiers pour ces diverses catégories. Suivant ces procédés, voici les renseignements fournis par le compte du fouage en 1365 (2):

 

Castellania Villafranche Sarlatensis

 

 

Recensements

Habit.

1872

1905

 

Parochia Villafranche:

 

Pro IXXX XI foc.

soit 9 fois 20 + 11 = 191 feux x 7 =

1337 + 444 =

1781

1641

1333

 

P. de Lobejaco:

 

Pro XXXI foc.

soit 31 feux x 7 =

217 + 72 =

289

746

636

 

P. Sancti Saturnini:

 

Pro XVI foc. et dimi.

soit 16 ½ x 7 =

115 + 38 =

153

652

521

 

P. Sancti Stephani:

 

Pro VI foc.

soit 6 feux x 7 =

42 + 14 =

56

60

58

 

P. Sancti Caprasii:

 

Pro V foc.

soit 5 feux x 7 =

35 + 11 =

46

 

 

 

P. de Mazeyrolis:

 

Pro XXI foc.

soit 21 feux x 7 =

147 + 49 =

196

533

504

Focorum CC LXX et dimid.

 

 

 (1) «... ad percipiendum pro quolibet foco diocesia XX denarii sterlingui, personis ecclesiasticis et nobilibus et mendiantibus exceptis capiunt pro ratione in quatuor terminis.... », préambule du compte.

 (2) Compte de la levée du fouage de 1365 en Périgord Fonds Périgord Bib. Nat., t. LXXXVIII, p. 83.

 

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Les paroisses de Lavaur, Besse, Prats et Latrape étaient en dehors de la châtellenie, voici les renseignements que nous donne le compte:

 

 

 

Recensements

Habit.

1872

1905

 

Parochia de Vauro (1):

 

XXVII foc.

27 feux x 7 =

189 + 63 =

252

370

281

 

Par. de Bessa (2):

 

L foc.

50 feux x 7 =

350 + 116 =

466

596

443

 

Par. de Pratis:

 

XXIIII foc.

24 x 7 =

168 + 32 =

200

335

354

 

Par. de Trapis:

 

V foc.

5 x 7 =

35 + 11 =

46

69

64

 

Ces tableaux permettent de voir les progrès faits par Villefranche depuis sa fondation; la population de nos paroisses était élevée; mais les ravages de la guerre de Cent Ans et des guerres de religion et les conséquences de la mauvaise politique paralysèrent cet essor et la population n'est guère plus élevée aujourd'hui qu'au XIVe siècle.

Le territoire de la bastide forme aujourd'hui le canton de Villefranche du Périgord: il comprend les communes de Villefranche (ancienne paroisse de Notre-Dame de Viel-Sieurac), de Mazeyroles, de Saint Cernin de l'Herm, de Saint Etienne des Landes, de Loubejac, de Lavaur, de Besse, de Latrape, de Prats (de Belvès ou d'Orliac), de Fontenille et Aigueparse, anciennes paroisses de la châtellenie ou bastide de Villefranche. Le canton a perdu la paroisse de Saint-Caprais, rattachée aujourd'hui à Cazals (Lot); mais il a gagné Orliac et Campagnac lès Quercy: la première de ces paroisses dépendait au Moyen Age et jusqu'à la révolution de la châtellenie de Belvès; la seconde faisait partie de la châtellenie de Dôme.

 

Aperçu de la procédure suivie pour la fondation d'une bastide — La fondation d'une ville neuve ou bastide entrai-

 

(1) Lavaur au XVIIe siècle était le siège d'une Haute Justice s'étendant sur Fontenille.

(2) Besse était au XVIIe siècle le siège d'une haute justice comprenant la peroisse.

 

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nait des opérations diverses; à chaque habitant, on devait fournir un emplacement pour sa maison et des terrains à mettre ou à maintenir en culture, ce qui entraînait forcément un arpentage du territoire et un plan de la ville projetée, pour la fixation et l'attribution des emplacements: chacun de ceux-ci devait dans la suite être attribué à un des membres de la cité.

A ce moment, intervenait entre le fondateur de la cité et les habitants une convention fixant les obligations réciproques des parties; pour le fondateur, l'obligation de construire la bastide; et si quelque événement venait à se produire, empêchant la réalisation du projet, les concessionnaires qui auraient fait des frais ou travaux, devaient être indemnisés (1). Le fondateur avait à sa charge particulière la première clôture et l’établissement des rues et des places, les consuls et le bayle en assuraient dans la suite l'entretien.

Pour ces travaux d'intérêt public et général, le fondateur ou les officiers le représentant avaient le droit de réquisitionner les objets mobiliers nécessaires à la charge d'indemniser les propriétaires; ils pouvaient aussi obtenir la cession des immeubles, si la nécessité, nous dirions aujourd'hui l’utilité publique, en était bien constatée (2).

Pour le concessionnaire, l'obligation de construire suivant le plan dressé et dans un temps déterminé, souvent sous une astreinte pécuniaire: ces pratiques déjà suivies du temps d'Alfonse de Poitiers (3) furent maintenues dans la suite (4).

 

(1) R. Gascons, t. II, n° 1092.

(2) Ces de Bénevent de 1305 (fol. 11 v°, lre col., in fine) « Item Consules et Universitates possunt ligna, sive fustos, lapides et alia simillia, mobilia tamen necessaria ad utilitatem et necessaria ad constructionem dicte ville capere, verum satisfacto prius illi cujus predicta erunt, communi et legali estimatione proborum virorum. Immobilia vero non invito domino eorumdem nisi necessitas appareret que non posset aliter sine dampno publico evitare, que tunc accipere possunt satisfacto primitus quibus erunt de precio impetenti. »

(3) Voir notam. correspond. admin. d'Alfonse de Poitiers (Docum. inédits) n° 1540.

(4) Voir pour Montpazier Rôles Gasc., t. II, n° 1403, et nombreux textes analogues.

 

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Les chartes de bastide déterminent les charges qu'entraînaient pour les concessionnaires les attributions d'emplacement à bâtir, et en déterminent le montant. Nous empruntons, à cause de sa précision, l'exemple que nous donne le n° 746, des Rôles Gascons, t. II, et relatif à la bastide de Sauveterre (arrondissement de La Réole, Gironde); « Primo eis concedimus et donamus loca seu placeas ad domos faciendas seu constituendas, statuentes quod qualibet placea habeat quatuor stadia in amplitudine, duodecim vero in longitudine, ita quod illud stadium habeat sex pedes », et ainsi on trouve un emplacement en largeur de quatre stades soit vingt-quatre pieds, environ huit mètres et en profondeur douze stades soit soixante-douze pieds, environ vingt-quatre mètres, soit un emplacement de cent quatre-vingt-douze mètres pour chaque maison. La première année, la construction devait être élevée sur le premier tiers en façade sur la rue; la seconde année, la construction devait être élevée sur le troisième tiers et post modum residuum quilibet cura poterit et placebit le troisième tiers était fait quand et comme il plaisait au concessionnaire: ce qui laissait au constructeur une assez grande latitude d'aménagement.

Pour faciliter au concessionnaire l'accomplissement de ses engagements, on lui accordait des droits particuliers: notamment de prendre les bois nécessaires à la construction et à son aménagement dans les forêts voisines, sans avoir à payer de forestage (1).

Des dispositions analogues se retrouvent dans presque toutes les chartes des bastides; mais avec la mention de mesures locales, dont la valeur exacte est difficile à déterminer (2).

 

(1) R. G., t. II, n° 746, art. 12 (cout. de Sauveterre) (Salvaterra), (arr. de La Réole, Gironde).

(2) La coutume de Castel Sacrat (Quercy) parle d'un emplacement (pladura, platea seu airali) de quatuor brassarum de large et de vingt ou onze brasses en profondeur: il y avait donc deux types d'emplacements différents, sic Eymet. A Villefranche du Périgord, l’emplacement était en largeur de quatuor canis vel ulnatis lato et de dix en longueur (art. 10); mêmes dispositions pour Beaumont (art. 10), Villereal (art. 10); à Valence d’Agen (R. G., t. II, n° 748), deux types d'emplacements: le premier, de quatre brasses de large et de douze de longueur; le second, de six brasses de large et de douze en longueur, à Bénevent, chaque emplacement ou pleidura était de quatuor branchiis en largeur et de sept en longueur; (Comp. Beauregard, art, 10, etc.). Sous des noms locaux différents, on exprime probablement un emplacement analogue à celui de Sauveterre, c'est-à-dire de huit mètres de large sur une profondeur variable suivant les localités.

 

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Les charges résultant de ces concessions se retrouvent partout; elles consistaient:

1° En un cens ou oublies; c'était une redevance annuelle ou rente foncière, prix de l'abandon de la propriété au concessionnaire;

2° En une redevance, en général égale à la précédente et connue sous le nom d'acapte, due à chaque mutation de seigneur;

3° Enfin, en un droit de vente, au cas d'aliénation par le concessionnaire; cette redevance, analogue au droit proportionnel de mutation perçu actuellement par l'enregistrement, suivant l'usage du pays, était la douzième partie du prix, soit de 8,33 % et était payée par l'acquéreur.

Ces droits pécuniaires étaient d'une assez grande importance, quand la bastide était prospère, et formaient un des revenus principaux du fondateur; le paiement en devait être fait, aux époques déterminées par les chartes, et sous la sanction d'une amende de 5 sous pour le redevable en retard.

Pour un emplacement de même étendue, le cens pouvait varier d'une bastide à l'autre; comme aussi il variait, suivant son étendue, pour chaque localité (1).

 

 (1) A Villefranche du Périgord: emplacement de 4 cannes ou aulnes sur 12 en profondeur: 1° cens ou oublies, 6 deniers; 2° à chaque mutation de Seigneur, même redevance; 3° au cas d'aliénation par le concessionnaire, l’acquéreur devait payer les Vendas, soit le 12e du prix; le redevable en retard payait en plus une amende de 5 sous. — Beaumont du Périgord: mêmes dispositions, sauf que l’emplacement n'avait que dix en profondeur, que les oublies n'étaient que de 4 deniers (Dans le texte des Ordonnances, l'article 10 est incomplet, le copiste a sauté une ligne à partir de totidem jusqu'à scilicet. — Villeréal et Montflanquin: emplacement de 4 cannes ou aulnes en largeur, de 12 en longueur: 1° sex denarii à titre d'oublies; 2° autant à titre d'acapte et le droit de vente. — Valence d’Agen: 4 brasses de largeur, 12 de longueur, 6 deniers à titre d'oublies, autant d'acaptes, au cas de changement de seigneur, et la 12e partie du prix en cas de vente, si l’emplacement était de 6 brasses, en largeur et 12 en profondeur, les oublies et l’acapte étaient portés à 8 deniers. — Bénevent (fol. 2, col. 1) présente, à ce point de vue, une particularité: emplacement de 4 branches en largeur et de 7 en profondeur, 12 deniers d'oublies, à payer à la nativité du bienheureux Jean-Baptiste et seulement 6 deniers d'acapte (de acaptamento in mutatione domini) et le droit de vente.

 

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Les bastides devaient être bâties dans un espace de temps toujours court et suivant le plan établi au moment de la fondation de la cité. Elles présentent toutes des caractères communs qu'il est bon d'indiquer.

Dans la plupart des cas, remplacement choisi est un plateau élevé, facile à défendre: ce qui se réalise pour Villefranche du Périgord, Beaumont, Molières, Montpazier, Villeréal, Montflanquin, Castillonnès, etc.; la ville présente un carré long, plus ou moins régulier, suivant la disposition des lieux; les rues se coupent à angles droits, et forment une ville en damier; à Montpazier, il y avait quatre rues dans le sens de la longueur; à Villefranche du Périgord, trois; de même à Beaumont. Partout ces rues étaient d'une largeur de huit mètres; les rues transversales étaient de même largeur: les maisons allaient d'une rue à l'autre, dans les bastides peu importantes; d'autres fois, les maisons bâties sur les rues principales, se rejoignaient par leur façade postérieure, sur une petite rue suffisante au service des bâtiments: les maisons formaient, comme à l'époque romaine, un îlot; chacune ayant ses quatre murailles, et entre chaque maison, un petit espace pour l'écoulement des eaux pluviales et ménagères.

En un point plus ou moins central, à l'intersection des rues principales, était réservée une place pour les marchés et les foires; et, en général, les maisons bâties sur cette place laissaient au rez-de-chaussée un espace libre, couvert par des arcades; galeries couvertes, aptes au commerce, à la prome-

 

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nade, assez élevées et assez larges, pour que la circulation des chars et des charrettes s'y fit facilement: on les trouve à Montpazier, à Beaumont, à Molières, à Villefranche du Périgord et beaucoup de villes de l'Agenais (bastides ou autres). Sur cette place s’élevait souvent une halle, l’hôtel-de-ville, et tout près, était bâtie l’église de la localité. A Montpazier, à Villefranche du Périgord, sur la principale rue, tout près de la place principale, de même à Molières, à Beaumont, l’église est à un angle de la place.

Donc le caractère commun est la régularité de la construction; des voies de communication larges et commodes, une place publique où l’on accedait très facilement.

Viennent les fortifications et la ville formera une place de guerre facile à défendre; chaque rue fermée sur la campagne par une porte dont on assurera la protection, suivant les localités, en les flanquant de tours, ou en plaçant la porte elle-même dans une tour qui la surmontait et en assurait la défense (1).

 La fondation de toute bastide entraînait encore, comme conséquence, des attributions de terrains aux habitants et souvent aussi des remaniements dans la condition juridique de la propriété foncière et la constitution de droits d’usage et de pacage très importants.

Citons quelques documents qui ne laissent aucun doute sur ces divers points.

En fondant la bastide de Sauveterre, en 1284, on veut que chaque bourgeois puisse garder, de ses propriétés, l’étendue qu’une paire de boeufs peut convenablement travailler pendant l’année; une certaine quantité de terrain pour jardin (un estiro, Ducange, hoc v°) et pour vigne, une concata terrae, et s'il arrivait que quelque bourgeois n'eût pas de propriété suffisante, nos cum consilio juratorum debemus ei terras dimittere competenter (2).

 

(1) Sur la construction, des bastides en Périgord, voir l'article de M. Félix de Verneuilh, p. 71, t. VI, (Annales archéologiques de Didron ainé).

(2) Charte de Sauveterre, art, 25. R. G., t. 2, n° 746.

 

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C'était une préoccupation, qui se reproduit à chaque fondation, d'assurer à chaque bourgeois un lot convenable en terre. Et si le fondateur n’en avait pas en quantité suffisante, dont il pût disposer, il s’en faisait céder par les propriétaires du voisinage.

Il est fait allusion à un procédé de ce genre dans le n° 1416 des Rôles Gascons (t. II). Au moment de la fondation de la bastide de Miramont (1), des arrangements avaient été pris vis-à-vis de Jena de Greilly, sénéchal de Gascogne, par lesquels Amanaeus de Malhano et ses tenanciers (parcionarios suos) s’engageaient à fournir aux habitants les terres nécessaires (2).

La fondation d'une bastide entraînait toujours des modifications dans la constitution de la propriété foncière des environs.

Au lieu de laisser les parties maîtresses de fixer les redevances dues pour les terrains donnés à fief ou à censive, on fixait le maximum auquel le cens pouvait s'élever (3).

La charte de Villefranche contient, à cet égard, des dispositions qu'il est utile de rappeler.

La bastide était élevée sur un terrain que B. de Pestilhac tenait à fief du comte Alfonse de Poitiers et qu'il abandonna à ce dernier gratuitement (dono) pour y élever la bastide nouvelle.

Or, au moment de la fondation de la bastide, les mandatai-

 

(1) Commune du canton de Lauzun, arrondissement de Marmande (Lot-et-Garonne).

(2) « Dare terram habitantibus in dicta villa. » On trouve de nombreux exemples dans les Rôles Gascons; pour la bastide de Bonnegarde en Chalosse (canton d'Amon, arrondissement de Saint-Sever (Landes), le Roi se procure les terrains nécessaires par un échange avec le chevalier Bernard d’Arricau (n° 654, R. G, t. II). Les numéros 600 et 763 mentionnent des échanges à faire pour procurer au Roi les terrains nécessaires à la bastide de Sauveterre (R. G., t. II).

(3) Art. 5, coutume de Sauveterre (loco citato): « Item volumus quod quilibet burgensis dictae villae teneatur solvere pro qualibet concata tres solidos pro feodo annuatim domino feodi a quo terram suam tenebit; de nemoribus solvet similiter duos solidos tantum. »

 

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res du sénéchal de Bagnols requérirent les chevalliers, donzels, directeurs des Eglises et aultres prudhommes, qui étaient jurés de ladite bastide et qui avaient terres es environs d'icelle, si voulloient que fussent faictes coustumes et stablissements sur les mêmes terres aux fins que ladite bastille en feust dottée et meilheurée et que les dites terres feussent labourées et cultivées et tirées de ruyne en bonne culture, où avaient demeuré longuement, les requérant d'avantage si voulloient que des dictes terres feussent faictes costumes et stablissements de justice, d'herbage et de paturage, au bestail des jurats et habitants de ladite bastille, aux fins que la dite bastille feust bonne et franche, et les habitants feussent dottés des franchises des seigneurs desquels estoient les dites terres.

Et les ont requis d'avantage ... sy voulloient que (les terres) feussent taxées de ce que on conviendrait de payer de rente et d'acapte aux seigneurs desquels estoient tenues à phieuf ». Fol. 40.

Et les seigneurs, donzels et recteurs ayant donné à tout cela leur consentement, il fut fait par les dits Pons et Denys « stabliments et costumes sur touctes les terres (fol. 45) cultes et incultes, labourées ou à labourer, que sont situées es susdites paroisses et es environs, en la pertenement et appartenance de la dite bastille de Villefranche, et sur les pasturages et fustes et boys et herbages que sont et seront à l'advenir es dictes terres, et sur la taxe et stabliments de cens, rentes et d'acaptes que seront dûs des dites terres, et sur les manières et gouvernement de phieuf et des debvoirs de phieuf que sont et que seront es dictes terres par toucts lieus en cette manière, scavoir : .... »

En premier lieu, on proclame que les « pergues et divisements de terres et des ayrials ou boutges » que lesdits Pons et Denys firent, ou firent exécuter la première année que l’on commença Villefranche, auront « valleur et effîcacie par touct temps et à jamais » sous l’obligation pour les concessionnai-

 

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res de payer aux seigneurs à qui appartenaient les dictes terres les rentes, cens et acaptes fixés.

Les concessionnaires devaient payer six deniers de rente ou cens annuellement à la fête de Sainte-Marie de febvrier, et six deniers d'acapte à chaque mutation de seigneur, pour chaque denayrade (a) de terres situées dans les tènements énumérés dans la charte de 1261 et qui sont tous autour de Villefranche (1). Les concessionnaires payeront de même six deniers de cens et rente chaque année à la Saincte Marie de febvrier, et six deniers d'acapte à chaque mutation de seigneur pour chaque denayrade (a) de preds qui « seront en la rivière de la Laimanse » (Lemance) et en la rivière del ruisseau de Tortilhon et aux rives de toucts les autres ruisseaux qui sont près de Villefranche. »

Les autres terres, qui seront divisées et attribuées en autres tènements que ceux mentionnés plus haut, donneront lieu à quatre deniers caorcens (2) de rente et cens, à payer annuellement, le jour et feste de Saincte Marie de febvrier, et à quatre deniers caorcens d'acapte à chaque mutation de seigneur, pour chaque denayrade (a) de terre.

 

(a) Denayrade: mesure, usitée dans l’Agennais, le Quercy et le Bas-Limousin. Non pas seulement pour les vignes, comme l'a cru Maximin Deloche, l'éditeur du cartulaire de Beaulieu, où cette mesure est mentionnée, en plusieurs passages; mais elle s'appliquait aux terres et aux prés suivant notre coutume de 1261; elle est tombée en désuétude et il est impossible d'en fixer l'étendue d'une manière certaine: ce que l’on peut induire, des textes cités par Ducange, v° Denariata, que cette mesure était plus faible que l'acre, et qu'elle était la moitié de la roda, qui, elle, en était la 8e partie. Mais il faut abandonner pour notre époque que la denayrade serait la surface, ou produisant ou valant un denier, puisque chaque denayrade de pré ou de terre des environs de Villefranche donnait lieu à un cens annuel de six deniers.

(1) Les concessions en pré, dans la vallée de la Lémance et du Tortilhon et des autres ruisseaux du pays, comme aussi les concessions dans les tènements énumérés, dans la coutume de 1261, et qui paraissent être autour de Villefranche, se faisaient moyennant un cens annuel de six deniers, probablement tournois puisque l'on ne mentionne pas autrement leur qualité.

(2) Les concessions en terre, dans tous autres tènements, se faisaient pour un moindre cens, à 4 deniers par denayrade et ces deniers sont mentionnés comme deniers caorcens, qui ne valaient que la monté du denier tournois. Ces différences de cens correspondaient à une différence de valeur des terres, suivant qu'elles étaient plus ou moins rapprochées de Villefranche. D'après de Wailly, le sou caorcens valait la moitié du sou tournois, soit 0 fr. 4493, le sou tournois valant 0 fr. 8986, et partant les deniers, dont douze valaient un sou, présentaient entr'eux la même différence de valeur, suivant qu'ils étaient deniers tournois ou deniers caorsins ou caorcens.

 

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Et ajoute la charte, « toutes fois si les dits seigneurs des dictes terres ou pradals en voulloient faire meilleur marché, que le puissent faire, s'ils veullent, et ne pourront amplifier ny augmenter la dite rente, saulf en la forme et manière que dessus est dict, et sans la vollonté de celluy à qui furent pirgées les dictes terres et pradals » (fol. 49).

Enfin les seigneurs, donzels et recteurs des églises consentirent à l'établissement de droits de pacage et pâturage, au profit des habitants; ils décidèrent: « que par touct temps toucts et chascung des habitants, et qui habiteront pour l'advenir la dite bastille de Villefranche ayent et puissent avoir plein et libéral pouvoir, prendre et avoir et recevoir pour leur bestailh, en quelque qualité que ce soit, toucts pâturages et herbages, toucts francs et sans payer aulcun cens, de touctes les terres hermes et incultes qu'ils et chacun d'eulx auront es dites paroisses ou en aulcune d'icelles et par toucts autres lieux, en Quercy, en Agenois et en Périgord.... et qu'en puissent avoir et prendre des dites terres les dits habitants et qui habiteront en la dite ville, par leur propre autorité, du boys pour leur chaufage, fustes nécessaires pour leurs maisons et leurs vaisseaux faire et bastir, sans payer aulcung forestage, que seront tenus n'en rien donner, ny payer en aulcung temps. Toutes foys si en vendoient à aultruy, en payeront forestage a celluy de qui sera le dit boys ou terres hermes » (fol. 49).

On voit par cet aperçu quels avantages étaient faits aux bourgeois des bastides et on s'explique ainsi le développement

 

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rapide que prirent ces villes neuves: tant étaient grands les privilèges de leurs habitants.

 

b) Beaumont

 

Beaumont est un chef-lieu de canton de l'arrondissement de Bergerac; il comprend les communes suivantes: Saint-Avit Sénieur, Bayac, Beaumont, Born de Champs, Bourniquel, Sainte-Croix, Labouquerie, Montferrand, Monsac, Naussanes, Nojals et Clottes, Rampieux, Sainte-Sabine.

C'est vers 1272 que Beaumont fut érigé en paroisse, suivant Tarde et le père Anselme, à la suite d'un arrangement entre Guillaume et Pierre de Gontaut, seigneur de Badefol, d'une part, et le chapitre de Saint-Avit Sénieur et l'abbé de Cadouin, d'autre part (1).

Bientôt après, il fut élevé là une bastide ou bastille par Luc de Tany, chevalier, lieutenant du roi d'Angleterre.

Elle existait depuis plusieurs années, lorsque, par lettre du 11 juin 1279 (septième année de son règne), Edouard Ier invite son lieutenant Luc de Tany [Thaney] à exercer dans les territoires de Lalinde et de Beaumont les droits de juridiction et de ressort, comme les avaient exercés antérieurement les baillis royaux, sans s'arrêter aux dires de quelques-uns, prétendant qu'il en était investi à titre de titulaire direct, de seigneur.

Comme bailli, il était placé sous la direction et l'autorité des sénéchaux de Gascogne et de Périgord (3).

 

(1) Comp. L. Dessales, Histoire du Périgord, t. II, p. 27. — « Guillaume et Pierre de Gontaut frères (vraisemblablement fils de Pierre de Gontaut), seigneurs de Badefol, consentirent, en 1272, avec l'abbé de Cadouin et le chapitre de Saint-Avit, que le lieu de Beaumont fût érigé en paroisse, et que l’on y bâtit une église paroissiale », Père Anselme, Histoire généalog. et chron. de la maison de France, des pairs, grands-officiers, etc., 3e édit. t. VII, p. 316 (seigneurs de Badefol et de Saint-Geniès). — L'église de Beaumont fut fondée dans le territoire d'un ancien oratoire de l'abbaye de Cadouin, ecclesia de Bello podium Dict. top de la Dord., de M. de Gourgues, V° Belpech ou le Casletot.

(2) Rôles Gascons, t. II, n° 339. Luc de Tany avait sous son autorité Lalinde et Beaumont.

 

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Au moment de la fondation de la bastide de Beaumont, et pour éviter les conflits entre les représentants de la bastide et les seigneurs voisins, une convention avait été signée entre représentants de la bastide, les prieur et chapitre de Saint-Avit Sénieur, et Gailhard de Saint-Germain, seigneur puissant du voisinage (1): le texte n'en est pas venu jusqu’à nous. Malgré cela, à Beaumont comme dans toutes les bastides, des conflits ne tardèrent pas à naître entre les représentants de la bastide et les seigneurs voisins. Les autorités communales prétendaient exercer dans tous les territoires dépendant de la bastide, et dans leur plénitude, les droits de souveraineté; tandis que les seigneurs locaux, au nom de leur seigneurie, prétendaient à l'occasion de certaines personnes, et dans le territoire de leur seigneurie, bien qu'il fût compris dans le territoire de la bastide, exercer leurs droits, à l’exclusion des autorités communales.

Un conflit de cette nature s'éleva entre les représentants de la bastide de Beaumont, les prieur et chapitre de Saint-Avit Sénieur, et aussi avec Gailhard de Saint-Germain, en 1279, à l'occasion de la concession de certains emplacements à eux faite, et les droits de juridiction en dépendant ou pour quelque autre motif (2).

Le roi invite Luc de Tany à défendre les intérêts royaux, suivant ce qui lui paraîtra juste, et à mettre fin à ces difficultés et contestations par arrangements, débat judiciaire, ou de toute autre manière (3).

 

(1) Rôles Gascons, t. II, n° 1632 (a R. XVII 1289) ... cum tempore constructionis bastide nostre Belli montis alique convenciones inite inter gentes nostras et dictos priorem et capitulum [ecclesie Sancti Aviti] et Gualhardum de Sancio Germano...

(2) Rôles Gascons, 336... racione quorumdam airalium seu placearum pro domibus, vel pro ceteris, racione jurisdictïonis predictorum locorum, seu qualibet alia racione...

(3) Rôles Gascons, t. II, n° 336, ...et questiones seu controversias hujusmodi, inquibus jus nostrum exigatis et defendatis, pace, judicio, vel aliter, prout magis ad opus nostri, secundum justiciam, videritis expedire, terminetis...

 

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Dans la suite, des difficultés d’un autre genre s’élevèrent entre les mêmes parties, à l'occasion de leurs droits respectifs de juridiction.

Les prieur et chapitre de Saint-Avit Sénieur se plaignaient des bayle et sergents de Beaumont et de Molières; ceux-ci, suivant leur dire, entravaient et troublaient l'exercice des droits de juridiction dont le prieur et le chapitre de Saint-Avit Sénieur étaient investis dans la paroisse de Saint-Avit; ils saisissaient les biens des personnes, relevant du chepitre sans appeler celui-ci à la procédure et apportaient dans l’exercice de leurs fonctions une rigueur injuste et des procédés nouveaux et irréguliers.

Le roi rappelle ses agents et les agents de la bastide au respect des droits des plaignants; il leur prescrit de s'abstenir, à l'avenir, de toute atteinte nouvelle et de réparer les irrégularités, s'il en avait été antérieurement commis (1).

En 1277 (2), Edouard, duc d'Aquitaine, accorda aux habitants de Beaumont une charte de privilège, qui fut confirmée dans la suite par les rois de France, notamment par Louis XI, en 1461(3).

Or, suivant ce document et d'après les usages, le Roi fixe l’étendue du territoire ou les Dex, dans lesquels s'exercera l'autorité des agents de la commune: Ce fut l’objet de l’article 35 des Coutumes.

Il en résulte que le territoire de la bastide comprenait, lors de sa fondation: Castrum Sancti Aviti Senioris, cum pertinenciis suis, c'est-à-dire le bourg fortifié de avec ses dépendances, qui avait été antérieurement rattaché à Lalinde, et qui 1ui était enlevé pour former le territoire de la nouvelle bastide (4).

 

(1) 3 juin 1289 (a R. XVII). Rôles Gascons, t, II, n° 1632.

(2) Les éditeurs des Ordonnances donnent par erreur 1287, mais la 5e année de règne correspond à 1277.

(3) Or. R. de F., t. XV, p. 450.

(4) Comp. les privilèges de la Linde de 1267: Bulletin de la Société hist. et archéol. du Périgord, t. X, et L. Dessales, Histoire du Périgord, t. II, p. 23, le Roi ne faisait qu'exercer la prérogative qu’il s’était réservée, de modifier à l'avenir la concession faite à la bastille.

 

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Castrum de Monteferrando (1), le bourg fortifié de Montferrand, avec toute la paroisse du Bourg et la paroisse de Sainte-Croix et ses dépendances. La bastide aura tous les droits que le roi avait ou devait avoir dans ces localités et leurs dépendances.

Tota ecclesia de Rampio, toute la paroisse de Rampieux suivant voie publique qui de Tourliac se dirige vers l’église de Sainte-Croix et vers Montferrand.

Tota ecclesie parrochia de Brunekello, toute la paroisse de l'église de Bourniquel, au moins dans la portion qui regarde Beaumont, suivant une ligne qui, partant de l'église de Bourniquel, irait à la fontaine de Romegust (2) et de cette fontaine suivant le cours du ruisseau récemment appelé le Casali, arriverait à l’église des Lepreux de Saint-Avit Sénieur (3).

 

(1) Castrum de Monteferrando, c'est le bourg fortifié de Montferrand, qui s'était formé autour du château de Montferrand. Ce dernier appartenait à une branche de la famille de Biron. En 1273, Eymeric de Biron en était le seigneur; il suivait la cause anglaise, et le connétable de Bordeaux, le 22 mars, lui attribue, pour en assurer la défense, 10 arcs, X paquets de flèches et XX cordes (Archives histor. de la Gironde, t. XII, n° CXXXII, p 334 Comptes du connétable de Bordeaux et même recueil, t. XVIII, p. 498, ann. 1299, pièce, sinon fausse, du moins irrégulière par la manière dont elle est datée) L. Delisle, Sénéchaux du Périgord et du Quercy pour le roi de France, t. XXIV, Recueil des historiens des Gaules, p. 220 et suiv.

(2) La fontaine de Romegust est située vers le milieu du cours du Cousage (affluent de la Couze), descendant des plateaux de Saint-Avit Senieur. Cette fontaine est dénommée Romaguet par M. de Gourgues, Dict. topog. de la Dordogne. Roumaydet par de Belleyme, atlas. Le Casali porte le nom de Cousage, de Gourgues, Dict. top.; de Belleyme lui donnait le nom de Courage.

(3) « ... Et tota ecclesie parrochia de Brunekello, scilicet ab eadem citra versus bastidam predictam Bello montis, prout recensetur de predicta ecclesia de Brunekello ad fontem vocatam Romegust et de predicto fonte prout recens vocatus le Casali dirugit ac conscendit usque ad ecclesiam leprosorum Sancti Avitis Senioris... » Ce texte démontre l'existence d'une église des Lépreux, dépendance de Saint-Avit Sénieur, et qui se trouvait vers les parties inférieures du cours du Cousage: elle n'a laissé aucun vestige. Dans tous les cas, la précision de notre texte permet de considérer comme une erreur l’opinion de M. de Gourgues, qui plaçait cette léproserie dans la Becède, ou au lieu de Saint-Avit ou à la Sauvagie (Dict, top., introd. p. L). Nous la placerions vers le moulin del Rey, près le Cousage, sans pouvoir donner une indication précise.

Il faut remarquer que ce document n'attribue à la bastide de Beaumont que la moitié de la paroisse de Bourniquel; l'autre moitié, à partir de l'église vers la Dordogne, dépendait de la bastide de Lalinde; division territoriale qui fut reconnue en 1506 par un accord entre les consuls de Beaumont et ceux de Lalinde (abbé Goustat, Bulletin de la Société histor. et arch. du Périgord, t. X, p. 555-556, extrait du livre consulaire de Lalinde).

 

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Tous ces territoires seront de honore et districtu et foro et pertinentiis dicte bastide de Bellomonte, droit d'autrui sauf et retenue sauve la faculté de modifier cette attribution, en l'augmentant ou en la diminuant (1).

Ainsi, à l'origine, le territoire de Beaumont, à cheval sur rivière de la Couze, eut sur la rive droite une partie de la paroisse de Bourniquel et le bourg fortifîé de Saint-Avit Sénieur, et sur la rive gauche les paroisses de Beaumont, Rampieux, Sainte-Croix et Montferrand et leurs dépendances.

Mais bientôt une augmentation considérable de ce territoire allait se produire, à la suite d’évènements importants que nous devons faire connaître.

Vers l'ouest, le territoire de la bastide de Beaumont touchait aux fiefs et possession de Marguerite de Rudel dite de Turenne, seigneur de Bergerac et de Genciac (2).

Marguerite eut une vie assez agitée; mariée en première noce à Renaud III, de Pons, elle devint veuve en 1272; et, en 1273, elle épousa Alexandre de la Pebrée: à ce moment, elle avait des démêlés avec son suzerain, le duc d'Aquitaine, roi d'Angleterre; elle s'était plainte d’avoir été dépossédée de la terre de Bayac et de ses dépendances (3), dans tous les cas, et certainement de violences qui lui auraient été faites au château

 

(1) 25 nov., de notre règne le 5e, Lucas de Taicy (pour Tany), tunc senescallus wastensis fecit istam bastidam.

(2) Voir ses nombreuses possessions dans son hommage à Edouard Ier le 17 mars 1272, L. Dessales, t. II, p. 4, Histoire du Périgord.

(3) L. Dessales, Histoire du Périgord, t. II, p. 35.

 

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de Cugnac (commune de Sainte-Sabine, canton de Beaumont) par les gens du roi d'Angleterre (1); sa plainte n'avait pas été écoutée par son suzerain, et elle en avait appelé au roi de France à juris defectu, pour défaut de droit; par représailles, le roi d'Angleterre avait saisi le château de Cugnac pour punir sa vassale.

Mais grâce à son mariage et aux bons offices que son second mari rendait au roi d'Angleterre, au service duquel il était attaché, Marguerite renonce à son appel au Parlement, et le roi d'Angleterre, en conséquence, donne main-levée de la saisie de Cugnac, adresse à ses agents les instructions les plus expresses, afin qu'ils n'aient à intervenir dans les affaires pendantes entre lui et Marguerite de Turenne, qu’après lui en avoir référé (2), et marque sa bienveillance pour Marguerite et son mari dans de multiples circonstances, notamment en autorisant Alexandre de la Pebrée à compenser ce qu'il devait du fouage pour ses possessions de la Gascogne, avec des remboursements de sommes que le roi d'Angleterre devait à Marguerite à suite des dépenses faites par elle dans l'intérêt du roi, pendant la guerre de Béarn (3).

Mais, malgré sa bienveillance pour Marguerite et son mari; le roi d'Angleterre ne pouvait oublier les difficultés et conflits qui étaient nés aux environs de Beaumont, entre lui et sa vassale, et les difficultés qui s'étaient produites aussi en d'autres points des vastes domaines de Marguerite et notamment aux environs d’Issigeac. Mais il se prêta à une transaction qui, préparée par ses conseillers et le sénéchal de Gascogne, Jean de Grilly, et examinée après enquête, par Bonnet de Saint-Quentin, fut acceptée par Marguerite de Turenne et le roi.

Aux termes de cet accord (4), Marguerite se voyait attribuer, pour elle et ses héritiers, et à perpétuité, tous les droits du roi

 

(1) R. G., t. II, n° 127. Comp. Olim, t. II, p. 138, XXVI (ann. 1279).

(2) Comp. R. G., t. II, nos 126, 127 (année 1277).

(3) R. G., t. II, n° 524 (ann. 1281).

(4) R. G., t. II, nos 713 et 714 (31 août 1283).

 

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d'Angleterre, dans la bastide de Roquépine (1) et ses dépendances, dans la ville d'Issigeac, et dans le territoire de Bajanès: Marguerite serait investie de tous ces droits, à titre de fief, aux mêmes titres et conditions que de ses autres domaines (2): elle restait, pour ces droits, vassale du roi d'Angleterre, et reconnaissait qu'à ce même titre, elle tenait ses autres domaines.

En retour, elle abandonnait à perpétuité, au roi d'Angleterre, pour en disposer à sa volonté, les droits, propriétés, possessions, domaines, devoirs et redevances de toute nature qu'elle avait ou pouvait avoir dans les paroisses de Naussanes (3), de Bana (4), de Monte-Canino (5) en leur entier; et les droits qu'elle avait dans les villages et paroisses de Monsac (6) et de Perium (7), suivant une démarcation dont le titre donne le détail. On démembrait sur ce point le territoire relevant de Marguerite; à l'avenir, la portion située à l’est de cette démarcation, vers Beaumont, appartiendrait au roi d'Angleterre, et la portion située à l'ouest, vers le château de Cugnac (8), resterait la propriété de Marguerite de Turenne.

 

(1) Commune de Sainte-Radegonde, canton d'Issigeac, arrondissement de Bergerac.

(2) ... ita quod ipsa Margareta predicta teneat in feudum una cum aliis feudis suis... (n° 713).

(3) Naussanes, canton de Beaumout.

(4-5) Correspondant à Banes-sur-Couze et Mont Cany (commune du canton de Beaumont).

(6) Monsac, commune du canton de Beaumont.

(7) Que faut-il entendre par Perium? M. Charles Bémont, l'éditeur des Rôles Gascons, propose de l'identifier au Peyroux, près Monsac, mais avec doute (?) M. L. Dessales, Histoire du Périgord, t, II, p, 35, propose le pin appelé par corruption le pic ou Pic (entre Naussanes et Bardou).

(8) Château en ruines dans la commune de Sainte-Sabine. Sa destruction n'est pas complète, son emplacement est non loin, un peu à l'ouest du confluent des ruisseaux de la Bournègue et de la Serre; il y a une cinquantaine d'années, M. Audierne le décrivait ainsi : « Le château de Cugnac, avec ses tours, ses créneaux, ses ponts-levis. sa salle d'armes, son corps de garde et ses vastes écuries... » Audierne, le Périgord illustré, p. 538.

 

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Le titre qui rappelle cette démarcation, a bien jalonné la limite de Beaumont, et bien que les noms indiqués ne se soient pas conservés dans l'usage, il est facile de la retrouver et de la suivre sur la carte: le château de Cugnac et ses dépendances les plus proches restant à Marguerite de Turenne, et le château se trouvant au confluent des ruisseaux de la Bournègue et de la Serve, nous pensons que la démarcation partait de la Mouthe de Naussaunes (qui serait l'ancienne Mota del Charonluer); elle se dirigeait vers le pont de La Cabanne, sur la Bournègue, en face du village de La Cabanne, à l'est de ce ruisseau et où se trouvent de très anciennes maisons et d'où partent deux anciens chemins, l'un vers le Pic, l'autre, vers Bardou, et dont l'un porte le nom de chemin de la Reine Blanche. A partir de ce point, la démarcation nous paraît suivre très exactement la limite actuelle des cantons de Beaumont et d'Issigeac: elle laisse le Pic vers Beaumont, rencontre entre Bardou et Lepic une mote, dont le lieu dit La Mouthe, rappellerait la mote de Lopdac; de là, elle va à la Peyre-Carade (lieu dit): ce serait la petra vocata Poussineira ou Pousineira; de là, la démarcation allait à la fontaine de la Vacheressa, ou Vaccaressa, et suivait le ruisseau qui sortait de cette fontaine et se jetait dans le ruisseau appelé le Coson, et suivait celui-ci jusqu'au point où il tombait dans la Dordogne; nous verrions la fontaine de la Vacheressa (1) dans une fontaine vers la Micalie, à l'ouest de Monsac; de cette source sort un affluent du Couzeau, assez fort pour faire marcher un moulin (celui de Ronde), et la ligne séparative des territoires de Beaumont (Roi d'Angleterre) et Issigeac (comte de Turenne) suivait ainsi le Couzeau (ancien Cozon), qui arrose la plaine de Lanquais et tombe dans la Dordogne par une cascade de dix mètres, circonstance qui correspond bien aux indications des numéros 713 et 714. R. G., t. II (2).

 

(1) Nom qui ne se retrouve pour désigner actuellement aucune des fontaines de la région.

(2) « Videlicet de Mota vocata del Charonluer, secundum quod rectius, itur ad pontem vulgariter appelatum de La Cabana versus bellum montem et exinde secundum quod goci e rectius procedit sub ecclesia de Pinu versus motam vocatam Lopdac, et de eadem mota, prout rectius itur versus petram vocatam Poussinera (vel Pousineira (n° 714) et exinde prout rectius itur ad fontem de la Vacharesia (Vaccaressa) (n° 714) et exinde secundum quod rivus qui derivatur a dicto fonte, descendit et vadit ad rivum vocatum del Coson, et exinde secundum quod idem rivus del Coson descendit et cadit in fluvium Dordonie... .»

 

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Cette transaction de 1283, qui augmentait d'une façon si considérable le territoire de la bastide de Beaumont, ne fit pas cesser les débats et difficultés entre Marguerite de Turenne et le roi d'Angleterre, puisqu'en 1289 le roi donna à Bernard Favre, chanoine de Saint-Séverin de Bordeaux, et à Bertrand de Panissal, chevalier, pouvoir et mandat spécial de transiger sur les débats et querelles existant entre le roi et les seigneurs de Bergerac relativement aux villes de Issigeac, de Roquépine et de Bajanès (l) et sur l'étendue des droits de juridiction leur appartenant.

Sur un autre point du territoire de la bastide de Beaumont, des conflits de même nature s'étaient produits entre des autorités rivales, et notamment à Naussanes, entre le représentant des Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem et le bayle royal de Beaumont.

Pierre de Valbéon, prieur des maisons des Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem, pour le diocèse de Périgueux, prétendait, par lui et par ses prédécesseurs, être en possession et avoir été, de toute ancienneté, investi de l'exercice des droits de haute et basse justice dans la ville et la paroisse de Naussanes, c'est-à-dire sur les personnes, sur les terres et sur les fiefs desdits Hospitaliers.

Le bayle de Beaumont contestait cette prétention.

En présence des difficultés que faisaient naître ces dires respectifs, il fut fait, par Bonnet de Saint-Quintin, Itier d'Angoulême et Pierre de Valbéon, une proposition de transaction dans les termes suivants:

 

 (1) R. G., t. II, n° 1239. A, 1289.

 

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La haute justice (1) et les produits pécuniaires en dépendant, dans la ville et dans la paroisse de Naussanes, sur les personnes, sur les choses et sur les fiefs desdits Hospitaliers, resteront au roi d'Angleterre, en même temps que lui sera réservée la juridiction entière (haute et basse) sur les fiefs et arrière-fiefs ne dépendant pas dans ladite paroisse des frères Hospitaliers. Mais des frères Hospitaliers relèveront les saisies des possessions ou immeubles appartenant actuellement aux Hospitaliers ou dépendant d'eux.

La basse justice et la juridiction y afférentes dans la ville et la paroisse de Naussanes, à l'occasion des terres, des fiefs et arrière-fiefs desdits Hospitaliers ou relevant de ceux-ci, c'est-à-dire les amendes de soixante sous et au-dessous, infligées, à l'occasion des fiefs, arrière-fiefs ou gens desdits Hospitaliers, seront partagées entre le roi et les Hospitaliers.

L'administration en sera faite par deux bayles, l'un représentant le roi d'Angleterre, l'autre les Hospitaliers; ils se prêteront serment, l'un à l'autre, de se faire compte respectif des produits de la basse justice, restant communs entre le roi et les Hospitaliers. L'assise relative à la basse justice devra être tenue dans la paroisse de Naussanes, ou en tout autre lieu, s'il paraît convenable aux bayles. Chacun des bayles aura qualité pour recevoir les plaintes en justice, mais ni l'un ni l'autre ne pourra, à moins qu'il n'agisse d'accord avec son collègue, ni juger seul, ni proposer seul une transaction.

Si le bayle des Hospitaliers arrêtait un particulier, il devrait le livrer au bayle du roi, duquel relèvent exclusivement la détermination de la peine à appliquer, le jugement à rendre et l'exécution de la peine.

Cependant la compétence et la juridiction, sur les frères et les serviteurs nourris dans le couvent et restant habituellement

 

(1) C'est-à-dire les faits qui entraînaient comme peines; mutilation des membres, dernier supplice, bannissement, rélégation, ou toute peine de perte d'un membre ou d'une partie du corps, ou confiscation de meubles.

 

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à l'intérieur du territoire marqué par les croix de Naussanes, et, dans toute l'étendue de la paroisse, sur les fiefs et les arrière-fiefs relevant des Hospitaliers, la connaissance des infractions au régime des fiefs et aus redevances des fours et des moulins dudit couvent, et au cottum et au gardiennage des terres, fiefs et arrière-fiefs desdits Hospitaliers, dans ladite paroisse, appartiendront exclusivement au représentant du couvent. Mais, en toutes ces choses, le couvent se reconnait le vassal du roi d’Angleterre, qu’il proclame comme son seigneur immédiat et supérieur.

Le roi d'Angleterre et le prieur des Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem de Saint-Gilles, Guillaume de Villaret, donnèrent leur approbation à la transaction proposée, le 12 avril 1289 (1).

Ces débats et ces transactions justifient une observation générale importante. Tandis qu'aujourd'hui, dans chaque partie du territoire, l'autorité est investie uniformément et en chaque lieu des droits de souveraineté, à l'époque où nous sommes il en était autrement; étant donné un territoire affecté à une bastide, dans ce territoire pouvaient subsister des seigneuries indépendantes; et ces seigneurs conservaient par là même, dans Têtendae de leur seigneurie, des droits de souveraineté et juridiction. Il y avait ainsi, dans le territoire de toute bastide des ilots qui échappaient plus ou moins à l’autorité des magistrats municipaux. De là les conflits que nous constatons, ici à Naussanes, entre les Hospitaliers et les agents de la bastide de Beaumont; de semblables conflits se produisent dans le territoire de toutes les bastides, entre les agents de la bastide et les seigneurs locaux (2).

Au reste, il ne faut pas perdre de vue que la bastide, grâce à la prépondérenace de son fondateur, étendait toujours son

 

(1) A Condom. — Rôles Gascons, t. II, n° 1324. Nous n'avons fait que résumer ce document dans notre exposé.

(2) Comp. pour Molières, les conflits entre le seigneur de Badefol et les agents de Molières, etc.

 

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influence; les seigneurs voisins en arrivaient à abandonner à son profit une portion de leurs droits: ainsi Gaston de Gontaut, seigneur de Badefol, lui accorda une exemption de péage, de nature à augmenter ses relations commerciales (1).

Ainsi constitué, le territoire de la bastide de Beaumont présentait une assez grande importance; des documents, dont nous allons analyser les dispositions, permettent de constater que, suivant les événements de la politique générale, ce territoire profita de certaines augmentations ou subit des diminutions, comme aussi, suivant les époques, il fut français ou anglais, jusqu'au moment où les Anglais eurent été chassés définitivement de France (1453) et où la bastide de Beaumont, bastide royale, releva du Roi de France comme seigneur suzerain.

En 1306, la paix signée entre les rois d'Angleterre et de France, Philippe rendit la Guienne à Edouard. Celui-ci s'empressa de mettre de l’ordre dans les domaines qui lui étaient restitués et reçut de nombreuses plaintes « de ces bastilles qui, pendant la guerre ou durant l'anarchie, sous l'apparence des trêves, avaient eu beaucoup à souffrir des seigneurs, tour à tour anglais ou français » (2).

Les consuls de Beaumont furent les premiers à se plaindre; vers 1314, ils rappellent que Renaud IV de Pons, seigneur de Bergerac, au début de la guerre de Gascogne, s'était emparé et avait placé sous son autorité six paroisses dans lesquelles il avait exercé les droits de haute et basse justice: c'étaient les paroisses de Faux (3), de Mons, de Saint-Germain (4), de Verdon, de Saint-Aigne (5) et de Pont Roumieu (6), localités qui, suivant les consuls, étaient et sont encore du détroit, de la

 

(1) Histoire généalogique..., t. VII, p. 317.

(2) L. Dessales; Histoire du Périgord, t. II, p. 89.

(3) Canton d'Issigeac.

(4) Saint Germain et Mons réunis (canton de Bergerac).

(5) Verdon et Saint-Aigne (canton de Lalinde).

(6) Pont-Roumieu n'existe plus comme paroisse et est dans la commune de Saint-Germain et Mons.

 

p. 318 (40)

 

juridiction et des dépendances de Beaumont (1); Renaud IV de Pons avait ainsi privé le roi d'Angleterre d'une part de ses droits.

Les consuls de Beaumont rappelaient que le bayle de Beaumont était en saisine légitime de ces paroisses; qu'un procès avait été suivi par eux devant le Parlement de France et à grands frais: ils demandaient que le roi d'Angleterre voulût bien les garder dans sa main et qu'il ne statuât pas sur le sort de ces paroisses sans les consulter.

Et au dos de ce document est écrit: « En droit de ce que il prient que le Roy ne les mette hors de sa main, répondu est que le Roy nad volunté de mettre hors de sa main de ce que sien est » (2).

Mais une solution favorable ne paraît pas être intervenue à ce moment, puisque les consuls reviennent à la charge le 28 février 1320 et formulent une série de réclamations.

Les consuls de Beaumont rappellent que, par sentence judiciaire, leurs droits avaient été proclamés sur les paroisses de Faux, Bardou, la chapelle de Mons, Pont Roumieu, Saint-Germain et Saint-Aigne.

Ils reclamaient, en outre, comme ayant toujours été des dépendances du consulat de Beaumont et, en leur entier, les paroisses de Monsac, Saint-Cybranet (près de Villeréal), Naussanes, Verdon, et, pour partie, les paroisses de Bourniquel, de Saint-Avit, de Pontours; les bourgs fortifiés de Montferrand, Puybeton (commune de Nojals), Saint-Avit Sénieur, de Mont-Savignac, de Cugnac, Lenquais (commune canton de La Linde) et Lenqueysset (aujourd'hui Varennes): ils demandaient qu'on annexât et qu'on réalisât l'union de ces paroisses et bourgs

 

(1) « Quae erant et adhuc sunt de districtu, juris dictione et pertinenciis Belli Montis... (B. N., coll. Breq., t. XVI.)

(2) Bibl. Nat., coll. Bréquigny, t. XVI, Guienne. — Dessales, t. II, Hist du Périgord, p. 89.

(3) Bibl. Nat., coll. Bréquigny, Rol. gasc, années 13 et 14 du roi Edouard II (folio 12 au dos).

 

p. 319 (41)

 

avec la bastide de Beaumont, dont ces localités étaient des dépendances.

Le Roi ne se prononça pas immédiatement; il ordonna que par enquête, on vérifiât si la décision sollicitée ne lui occasionnerait pas de dommage et si elle ne nuirait pas aux intérêts des paroisses.

Quoi qu'il en soit, nous sommes arrivés au moment où le territoire de Beaumont ne s'étendra plus; au contraire, des modifications postérieures, dans l’ordre administratif, le restreindront beaucoup.

Ainsi, d'après le rôle du fouage de 1365 qui nous fait connaître pour le Périgorrt la division en châtellenies, l'ancien territoire de la bastide de Beaumont est morcelé et réparti entre plusieurs châtellenies de la manière suivante:

1° La châtellenie de Beaumont comprend les paroisses de Beaumont, Lenquais, Montmadalès, Saint-Aubin de Mons, Bardos (ou Bardou), Monsac, Nojals et Clottes.

2° La châtellenie de Montferrand comprend Montferrand et Sainte-Croix, Saint-Romain et Lolme, Saint-Christophe, Soulaure et Saint-Avit rivière.

3° Bruniquel avec Banes font partie de la châtellenie de La Linde et Bayac, de la châtellenie de Couze.

La paroisse de Saint-Avit sénieur est en dehors de toute châtellenie.

Voici les renseignements que donne sur ces diverses paroisses le compte du fouage de 1365, auquel nous avons déjà emprunté des renseignements.

 

Castellania Bellimontis

 

 

Recensements

Habit.

1872

1905

 

P. et locus Bellimontis:

 

Pro CCXXX foc.

230 x 7 =

1610+536=

2146

1926

1343

 

P. de Leucaych (1)

 

Pro XXXIX foc.

39 x 7 =

273 + 91 =

364

194

584

 

P. de Montmadalès (2)

 

Pro XX foc.

20 x 7 =

140 + 46 =

186

184

135

 

(1) Lenquais ou Lanquais (commune du canton de Lalinde).

(2) Montmadalès (commune du canton d'Issigeac); il y avait un prieuré, de femmes dépendant du Bugue.

 

p. 320 (42)

 

 

 

Recensements

Habit.

1872

1905

 

P. Sti Albini de Montibus (1)

 

Pro XXXII foc.

32 x 7 =

224 + 74 =

298

575

509

 

P. de Bardo (2)

 

Pro XVII foc.

17 x 7 =

119 + 39 =

158

166

127

 

Par. de Monsac (3)

 

Pro XL foc.

40 x 7 =

280 + 93 =

373

445

391

 

P. de Noyal cum Clotis (4)

 

Sunt CCC IIIIXX IX foc. (389 faux)

 

 

Chatellenie de Montferrand.

Castellania Montisferrandi

 

 

Recensements

Habit.

1872

1905

 

Par. Sancti-Crucis (5)

 

Pro XXXII foc.

32 x 7 =

224 + 74 =

298

554

375

 

P. Sti-Romani cum de Lolmi (6)

 

Pro XX foc.

20 x 7 =

140 + 46 =

186

259 S. R

191

 

 

 

 

257 L.

187

 

P. Sti Chrystophori (7)

 

Pro XXXVI foc.

36 x 7 =

253 + 84 =

336

585

437

 

Par. de Solore (8)

 

Pro IIII foc.

4 x 7 =

28 + 9 =

37

335

220

 

P. Sancti Avitis de Riperia

 

Pro VI foc.

6 x 7 =

42 + 14 =

56

378

293

Foc. IIIIXX XVIII = 98 f.

 

 

Castellania de Lindia

 

 

Recensements

Habit.

1872

1905

 

Par. de  Bruniquello (10) cum loco de Banes (11)

 

Pro XXVI foc.

26 x 7 =

182 + 60 =

242

267

176

 

(1) Saint-Aubin de Montibus s'appelle aujourd'hui Saint-Aubin de Lenquais (commune et canton d'Issigeac).

(2) Bardou (commune du canton d'Issigeac), cette localité fut au XVe siècle le siège d'une Haute justice sur Bardou, Nojals, Naussanes et Le Pic.

(3) Monsac (commune du canton de Beaumont) devint dans la suite le siège d'une Haute justice sur la paroisse.

(4) Nojals et Clottes, déjà unis ensemble, forment aujourd'hui une paroisse et commune du canton de Beaurnont.

(5) Commune du canton de Beaumont.

(6) Commune du canton de Montpazier et Lolme forme une commune du canton de Montpazier.

(7) Probablement la paroisse de Montferrand qui avait pour patron saint Christophe.

(8) Forme actuelle Soulaure, commune et canton de Montpazier.

(9) Saint-Avit Rivière, commune du canton de Montpazier.

(10) Commune du canton de Beaumont.

(11) Hameau de la commune de Beaumont.

 

p. 321 (43)

 

Castellania de Coza

 

 

Recensements

Habit.

1872

1905

 

Parrochia de Bayaco (1)

 

Pro III foc. et ½

3,5 x 7 =

24,5 + 8 =

32,5

588

426

 

Saint-Avit Sénieur était en dehors de toute châtellenie.

 

 

Recensements

Habit.

1872

1905

 

Par. Sancti Aviti Senioris

 

Pro LIX foc.

59 x 7 =

413+137 =

550

1272

951

 

Telle fut la bastide de Beaumont, jusqu'à la guerre de Cent Ans; pendant cette guerre, elle eut beaucoup à souffrir, fut tantôt française tantôt anglaise. Elle joua un rôle important pendant les guerres de religion. La limite que nous nous sommes imposée nous interdit d'aborder les transformations qu'elle eut à subir, au point de vue administratif et judiciaire.

 

 

c) Molières

 

Molières est actuellement une commune du canton de Cadouin. Cette localité devrait son nom, d'après Audierne (2) à la grande quantité de silex molaires qu'on trouve dans son voisinage; mais plus probablement, elle le doit à la nature générale du plateau où elle se trouve établie (3). Les eaux y séjournent l'hiver, formant des fondrières ou molières. Quoi qu’il en soit, la localité mérite quelques attention: « Ses imposantes ruines, gisant encore silencieuses au sommet d’un mamelon, sont dignes d’arrêter nos regards.

Les vestiges de son ancien château, des murailles d’une épaisseur d’environ trois mètres entourant une forteresse, un puits profond creusé dans le rocher, une tour carrée placée au milieu de la forteresse et sans ouvertures extérieures, une vaste et ancienne église, tels sont les objets for-

 

(1) Commune du canton de Beaumont.

(2) Périgord illustré, p. 351.

(3) Ce nom est très commun dans la Dordogne.

 

p. 322 (44)

 

mant l'ensemble de ces constructions mutilées que l'on voit à Molières (1) ». Ce sont là les débris et les ruines d'un établissement important, d’une bastide anglaise dont nous voulons brièvement rappeler l'histoire.

C'est au commencement du XIIe siècle que Molières apparaît pour la première fois dans l'histoire: Elle est mentionnée dans une donation faite à Cadouin en 1115 (2) Molerii; en 1202 il en est fait mention dans une transaction entre l'abbé de Cadouin et le prieur de Saint-Avit sénieur... Excepto eo quod domus Cadunensis et domus Alliacensis habuerant in parochia de Molieras, ante tempus factae compositionis... (3)

En 1272, Guillaume de Biron, en son nom et au nom de ses frères et sœurs, fit un accord avec le prince Edouard, représenté par Bernard de Panissal, le dimanche après la fête des Rois de l'an 1272.

Guillaume de Biron cédait au prince anglais les haute, moyenne et basse justice de la paroisse de Molières, à la réserve des rentes et autres devoirs qui pouvaient être dus à lui et à ses frères et sœurs; en échange, Edouard lui donnait quatre ayriaux dans le bourg de Molières, dont deux étaient destinés pour des fours, francs et quittes de tous droits et lui abandonnait la justice de Sigoniac (4).

Le roi d'Angleterre fit établir à Molières une bastide désignée dans les documents sous le vocable de Bastida sancti Johannis de Moleriis, du nom du Saint patron de la paroisse (5).

 

(1) Périgord illustré p. 531.

(2) Spicil. de D'achery.

(3) Acte rapporté au recueil de Saint-Avit (fonds Périgord. Bibl. Nat. t. 47, fol. 9).

(4) Hameau de la commune de Badefol-la-Linde (Sigoniat, état-major): cette justice resta indépendante, au XVIIe siècle elle appartenait au seigneur de la Rue. (Dict. topogr. de la Dordogne, v° Sigoniac. Voir: Histoire grands officiers de de la couronne par le P. Anselme... t. VII, p. 310.

(5) D'après M. de Gourgues (Dict. topogr.), Saint-Jean aurait été le vocable du bourg existant avant la construction de la bastide; Sainte-Marie est le vocable de l'église de la bastide; Saint-Jean en fut le patron.

 

p. 323 (45)

 

Jean de Grilly, sénéchal d'Aquitaine, en fut le fondateur (1).

Le 20 novembre 1285 (2), Edouard Ier, roi d'Angleterre, donna à la nouvelle bastide des coutumes et privilèges (3); ceux-ci furent confirmés dans la suite par les rois de France et notamment par François Ier en 1533 et par Henri II en 1558 et sont restés en vigueur jusqu'à la Révolution française.

Voici, d’après ce document, le territoire qui dépendait de la dite bastide de Molières.

L'honor et le districtus, c’est-à-dire le territoire et la juridiction de la bastide de Saint-Jean-de-Molières embrassaient une assez grande étendue et plusieurs paroisses.

Prenons pour point de départ le port de Pomos sur la Dordogne: ce port correspond au port moderne de Pontours; de ce point la limite se dirigeait vers le sud, en droite ligne, vers l'église de Bourniquel; de là, et très directement à la fontaine de Romeguet (ou Romaguet, forme acceptée par M. de Gourgues), et de ce point elle remontait le cours du Cosage (ou Cousage) jusqu'à un petit étang, propriété du prieur de Saint-Avit, et qui se trouvait entre ladite bastide et le castrum de Saint-Avit; de cet étang et directement à l'étang de Montferrand; dans cette partie la limite se confondait avec la limite extrême de la paroisse de Saint-Avit Sénieur, dépendance de la bastide Beaumont; A Montferrand, la limite laissait en dehors le bourg fortifié de Montferrand, dépendance de Beaumont; de l’étang de Montferrand, la limite se dirigeait vers le bourg de

 

(1) N° 1688 Rôles Gasc, t. II.

(2) C'est donc à tort qu'il est dit dans une note du fonds Périgord (Bibl. Nat.), t, XLVII, Molières, qu'à la sollicitation d'Aymeric de Biron, le roi Edouard aurait donné les premiers privilèges à la ville de Saint-Jean-de-Molières, le 27 nov, 1315.

(3) Ces coutumes et privilèges ont été publiés par M. le comte de Cumond dans le Bulletin de la Société historique et archéol. du Périgort, t, IV, p. 415. d'après une copie conservée dans les archives du château du Fraysse, appartenant à M. le comte Octave de Saint-Exupéry. Une autre copie de ces coutumes se trouve à la Bibliothèque Nationale (Fonds Périgord, t. XLVII, fol. 9.) et provient du château de Cardou, paroisse de Bourniquel.

 

p. 324 (46)

 

Marsalès, qu'elle englobait et de là elle se dirigeait à la Salvetat des Moines, qu'elle englobait: c'est le village aujourd'hui connu sous le nom de la Salvetat-de-Becède (1) très voisin de Cadouin et au sud-est. De la Salvetat et en descendant, la limite englobait le village de Maseyrolas et de là elle allait directement aux bornes terminales de Bellovidere: or, si l’on veut remarquer qu'au sud-ouest de Cadouin, la carte d'état-major porte le moulin de Marzelles, qui a conservé le nom de Vicus de Maseyrolas; que la châtellenie de Belvès (Bellovidere) comprenait dans son territoire les paroisses d'Urval et de Paleyrac, que des bornes marquaient la limite de la juridiction, nous pensons que la limite de Molières partait de la Salvetat-de-Becède et allait directement à Mazeyroles pour revenir à l'extrémité du bois de Paleyrac (bornes terminales de Belvès) et laissait le territoire de Cadouin en dehors de la Bastide... et des bornes de Belvès la limite descendait directement à la Dordogne, en suivant dans sa dernière partie le cours inférieur du ruisseau qui descend de Cadouin: elle abordait la Dordogne en amont de Badefol et suivait le cours de cette rivière jusqu'à Pomos (Pontours), notre point de départ (2).

 

(1) Sur ce point les droits de la bastide Molière furent augmentés à la suite d'une donation que leur fit en 1298 Gaston de Gontaud, seigneur de Badefol: il abandonna aux consuls de Molières les droits de guet et les mesures de blé et de vin qu'il avait à la Salvetat, et la 3me partie du revenu de la forêt de Cadouin (5 juin 1298) sous l'hommage d'une lance de fer doré pour lui et ses successeurs. (Histoire des grands hommes de la Couronne, etc., t. VII, p. 317.)

(2) Note collationnée sur les coutumes de Molières au fonds Périgord, 47, fol. 12, et verso.

...Item volumus et concedimus quod honor et districtus dictae bastidae sancti Johannis de Molieris duret et protendatur a Portu de Pomos, prout rectius itur ab ipso portu ad ecclesiam de Burniquel inclusive, et de dicto Burniquel prout directius itur ad fontem de Romeguet similiter inclusive, et a dicto fonte de Romeguet prout directe itur per dictum Lo Casage ad Stancale prioris Sancti Aviti inter dictam bastidam et castrum Sancti Aviti, et a dicto Stancali prout directius itur ad stagnum de Monte ferrando, quo est dimiso tamen et excluso ipso castro de Monte ferrando et ab ipso de Monte ferrando prout directius itur ad Burgum vocatum Marsales inclusive, et ab eodem burgo de Marsales prout directe itur a la Salvetat monachorum similiter inclusive et ab inde prout descend[end]o itur ad vicum de Maseyrolas inclusive et de dictis Maseyrolis prout rectius itur ad terminos dictos de Bellovidere, et de ipsis terminis prout directe descenditur ad Dordoniam et sicut et quantum dicta Dordonia fluit usque ad Portum de Pomos supradictum.

 

p. 325 (47)

 

La constitution d'une bastide, avec territoire et juridiction, amenait presque toujours des conflits entre ses agents et ceux des seigneurs du territoire; dans quelle mesure, les droits de ces derniers pouvaient-ils subsister et s’exercer, en présence des droits conférés aux bayles, aux consuls et autres agents de la bastide?

Pour Beaumont, nous avons constaté des conflits de cette nature entre ses bayles et consuls d’une part, et les prieur et chapitre de Saint-Avit Sénieur, d’autres part; un conflit de même nature s’éleva entre les consuls de Molières et le prieur de Saint-Avit Sénieur.

Les prieur et chapitre de Saint-Avit se plaignaient que les bayles et sergents de Molières et de Beaumont apportassent des empêchements et des troubles à leur juridiction dans la paroisse de Saint-Avit; les agents de Molières y faisaient des saisies et exécutions, au préjudice des habitants, sans adresser au prieur et au chapitre les réquisitions nécessaires, enfin ils commettaient des actes illicites, ils apportaient au régime établi anciennement des innovations non autorisées.

Le roi d'Angleterre défend aux bayles, consuls et sergents de la bastide toutes innovations et violences, et s'il en a été fait quelquefois, il ordonne d'en fournir réparation (1).

Des conflits analogues s'étaient élevés entre les agents de la bastide de Molières et le couvent de Cadouin. Pour les prévenir et les empêcher, un arrangement avait été passé entre Bertrand de Panissal, lieutenant pour le Périgord de Jean de Grilly, sénéchal du duché d’Aquitaine, et les abbé et couvent de Cadouin; il avait été retenu par Hugo de Lagia, notaire

 

(1) Rôles Gasc, t. II, n° 1632 (an. 1289, 17e du règne).

 

p. 326 (48)

 

public (1). Le roi Edouard, après l'avoir approuvé (2), en 1289, recommande de le respecter et de tenir la main à son exécution; il veut qu'on protège l'abbé et le couvent de Cadouin contre les injures, violences et molestations de la part des gens de Molières ou d'ailleurs (3).

En outre des conflits de même nature s'élevèrent entre Gaston de Gontaud, seigneur de Badefol, et les consuls de Molières; les consuls, jaloux de leur autorité, voulaient exercer les actes de juridictions, dans tout le territoire de la bastide, sans de préoccuper des droits des seigneurs locaux.

Avec le seigneur de Badefol, la lutte paraît avoir été très vive et longue, puisque, à son occasion, il nous est resté trois transactions, la première passée le 23 mai 1284 entre Gaston de Gontaud et Jean de Grilly, sénéchal de Gascogne pour le roi d'Angleterre (4); une seconde, à la date du 8 juillet 1288, entre le même seigneur et les consuls de Molières, elle forme le numéro 1526 du tome II des Rôles Gascons (5). Une troisième le samedi après l'Assomption de la Vierge, en 1316, entre les consuls de Molières et le même seigneur (6).

Il résulte de ces documents que, à la suite de l’établissement de la bastide de Molières, le roi d'Angleterre, d'une part, conservait, dans l'étendue du territoire de Badefol, comme Gaston de Gontaud, seigneur de Badefol, dans le territoire de la bastide de Molières et de ses dépendances, les domaines, fîefs et devoirs, relevant d'eux: ce qui comprenait, suivant le rôle gascon de 1288, le droit de connaître et de juger les difficultés

 

(1) Ce personnage fut greffier de la sénéchaussée de Périgord. Rôl. Gasc., t. II, n° 1701.

(2) Rôles Gasc., t. II, n° 1738.

(3) Rôles Gasc., t. II, n° 1688. Le roi d'Angleterre avait antérieurement pris sous sa protection le couvent de Cadouin, en 1254, R. G., t. I, n° 3838.

(4) Fonds Périgord, Bib. Nat., t. CXLII, dossier 194, fol. 28.

(5) Comp. L. Dessalles: Histoire du Périgord, t. II., p. 36.

(6) Fonds Périgord, t. 47, fol. 19.— Les consuls de Molières la firent renouveler en 1356, le premier original ayant été perdu.

 

p. 327 (49)

 

s'élevant entre eux et leurs vassaux, et le droit d'assurer l'exécution des décisions judiciaires intervenues. Chacun, dans sa seigneurie, devait la justice à ses vassaux et tenanciers, c'était pour le seigneur un droit et un devoir; en outre, la juridiction du seigneur s'étendait à tout fait ou violence, commis sur le territoire de ses fiefs, quel que fût le coupable ou le plaignant, si le coupable était arrêté dans la seigneurie.

Et pour éviter les conflits qu'un tel régime pouvait faire naître, on fît une délimitation des juridictions du seigneur de Badefol et des consuls de Molières.

Il fut statué que la justice haute et basse de Molières ne pourrait pas s'exercer sur le territoire immédiatement dépendant du château de Badefol; dans ce territoire, le seigneur de Badefol conservait les droits de justice les plus étendus sur tous et sur tout.

La ligne de démarcation part de l'ouest du château, des environs du village de Leyride (état-major), passe au sud du château de Badefol et va au sud-est aboutir à la limite de la paroisse de Burniquel; les indications très précises du titre ne permettent pas, en dehors de Leyride, d'autres identifications, aucun nom ancien ne s'étant conservé; et ce titre reste cependant intéressant pour prouver l'importance qu'on attachait, à cette époque, aux droits de justice à cause des avantages pécuniaires qui s'y trouvaient rattachés (1).

 

(1) Rol. Gasc, t. II, n° 1526 (8 juillet 1288).

... Videlicet quod juris dictio alta et bassa dicti loci de Moleriis (ait) a mota que est subtus podium dictum Michan, scilicet a via antiqua perquam solet ire de Caduino versus Badafol usque ad metam de Lyrida linea iter sitam in terra Petri de Manso in tenemento de Lyrida, et dehinc prout rectius itur ad combam que est inter tenementum de Mancet et de Linors et de Ffaurenta in quo tenemento de Ffaurenta terra Petru Gelina continetur et dehinc usque ad viam per quam itur de Badafol apud Molerias in eadem comba et de dicta comba, prout rectius itur ad Pratum Griomoardi terria exclusive, et quod dicta comba tota usque ad dictum pratum remaneat de Moleriis et a dicto prato, prout rectius itur ad fossatum prope tenementum Grimoardi Terria, ita quod dictum tenementum remaneat versus Badafol, quod dividit tenementa de la Ffaia et Montsessor et de la Caeria, et de dicta comba rectiusque ad metam de Moleriis et de Brunikel in itinere monachali...

 

p. 328 (50)

 

Ainsi Badefol formait une enclave où le seigneur du lieu était investi de la haute et basse justice, sans que les bayles et consuls de Molières pussent y exercer aucun droit de juridiction, si ce n'est sur les fiefs qui dans le territoire du château relevaient de Molières (1).

Mais bientôt, avec le cours des temps, les bayles et consuls de Molières, au nom du roi d'Angleterre, dont ils étaient les représentants, surent augmenter leurs droits: ils firent admettre que leurs sergents avaient le droit de faire à Badefol et dans le territoire du château tous actes d'exécution et de poursuite, sans avoir à requérir le seigneur du lieu ou ses représentants, pourvu que les actes d'exécution se rattachassent à des opérations juridiques formées ou contractées à Molières ou dans son territoire (transaction de 1316).

Les bastides, suivant les hasards de la guerre, étaient tantôt françaises, tantôt anglaises; dans tous les cas, les deux rois cherchaient à se les attacher par des faveurs ou des privilèges; c'est ainsi qu'en 1313, le roi de France accorda des lettres de rémission aux bayles et aux consuls de Molières accusés d'excès envers Gaston de Gontaud (2) et qu'en 1316, le roi d'Angleterre, pour se rattacher plus étroitement les bastides de son domaine, prit la décision de les rattacher directement à la couronne (3).

La paroisse de Molières ne fut comprise dans aucune châtellenie et au compte du fouage de 1365, elle figure pour 129 feux.

 

(1) Si la bastide de Molières comprenait dans son territoire le bourg de Badefol, et si ses consuls y avaient des droits de juridiction, il ne faut pas oublier que la bastide de Lalinde et ses consuls prétendaient aussi des droits de juridiction dans le territoire du bourg de Badefol, et une transaction intervint entr'eux et Gaston de Badefol et un accommodement fut signé entr'eux en 1288, à Saint-Jean de Mo­lières, le mardi après l'octave de Saint-Pierre (voir Histoire de Lalinde, par l'abbé Goustat, t.X, Bulletin de la Société historique et archéologique du Périgord, p. 555).

(2) Arch. Nat., reg. du trésor des chartes, coté 49, p. 103 et 105.

(3) Arch. Nat., J 623, n° 102, ce qui fut fait pour Beaumont, Lalinde, Molières, Montpazier et Villefranche de Périgord.

 

p. 329 (51)

 

Parrochiae quae sunt extra castellanias:

Parrochia de Molieriis pro VIXX IX foc. = 6 x 20 + 9 = 129 + 1/3 de 129 (43) = 172 feux, en multipliant par 7 on a, pour le nombre des habitants, 1204: soit le double de la population que donne le recensement de 1905, qui ne donne que 624 habitants. Cette bastide, si prospère un siècle après sa fondation, souffrit beaucoup pendant la guerre de Cent Ans et pendant les guerres de religion, et elle est restée jusqu'aux temps modernes, sans pouvoir reconquérir la prospérité des premiers temps.

Au point de vue religieux, le curé de Molières avait à compter avec la maison de chanoines d'Aillac, dépendant du couvent de Cadouin et formant hameau de la paroisse de Molières; d'une transaction passée en 1292 entre le curé de Molières et l'abbé Raymond de Cadouin (1) il résulte que tous les habitants de la paroisse de Molières, tant d'Aillac que d'ailleurs, relèvent spiri­tuellement du curé de Molières; il est fait exception pour ceux qui habitent le bourg proprement dit d'Aillac « infra aream veterem usque ad rivum vocatum del Belegou et a dicto rivo usque ad fontem vocatum de Las Mongas ».

Ceux-ci ne seront obligés d'aller à l'église-mère (Molières) pour la confession qu'au carême, pour la communion qu'à Pâques et à la Saint-Jean; en tout autre temps, ils pourront entendre l'office divin dans le monastère d'Aillac et y faire tout autre pratique religieuse, sans autre condition, pendant deux ans.

Les personnes au-dessus de 12 ans venant à mourir à Aillac seront enterrées dans le cimetière d'Aillac, mais on paiera 7 sous au curé de Molières et les luminaires et offrandes pour la sépulture seront partagés entre le curé et le prieur d'Aillac.

 

(1) Fonds Périgord, t. 47, folio 15.

 

p. 330 (52)

 

d) Montpazier (1)

 

La ville de Montpazier est un chef-lieu de canton de l'arrondissement de Bergerac (Dordogne); elle fut bâtie dans le détroit et juridiction de Biron, paroisse de Notre-Dame de Capdrot.

C'est le 7 janvier 1284, que P. de Gontaud, baron de Byron, fît don à Edouard Ier de l'emplacement nécessaire à sa fondation.

En s'établissant fortement sur les plateaux qui sont situés entre les grandes rivières du Lot et de la Dordogne, le roi d'Angleterre suivait une politique déjà ancienne dont les fondations des bastides de Beaumont, Molières, Montpazier sont les principales manifestations.

Un titre des Rôles Gascons (t. II, n° 1643) nous permet de constater que depuis longtemps son attention s'était portée sur les plateaux du Haut Drot (2); le 7 mars 1273, Pierre et Amanieu de Maumont, du consentement d'Aymeric de Biron, damoiseau, firent don au roi Edouard du lieu ou montagne de Puypito, situé entre Montpazier et Rives (localité des canton et commune de Villeréal) (3); cette donation avait été acceptée par Vitalis de Luyganh, alors bayle de Beaumont, en vue d'y élever une bastide.

Ce projet ne fut pas exécuté; Pierre de Gontaud, seigneur de Biron, prit possession de cette localité; et sur la plainte du

 

(1) L'orthographe officielle, mais fautive, est Monpazier; nous suivrons la forme Montpazier comme reproduisant mieux le Mons Passerius où la bastide fut bâtie.

(2) Les rois de France et d'Angleterre ont eu des démêlés assez longs sur les territoires du Drot, prétendus usurpés par les gens du roi de France après la mort d'Alfonse de Poitiers. Comp. Olim., t. II, p. 43.

(3) Cette localité nous paraît devoir être placée à Pebetou (carte de l'état-major) au nord de Rayet; elle répond mieux aux indications du titre que Puybetou (commune de Nojals) proposé par M. L. Bémont; notre localité est bien entre Montpazier et Rives; elle domine la vallée du Drot. Comp. L. Dessales, Histoire du Périgord, t. II, p. 29 et le père Anselme, Histoire généalogique, de la maison de France, 3e éd., t. VII, p. 350 et suiv.

 

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chevalier Pierre de Maumont, le roi ordonne d'examiner si la restitution de cette localité doit lui être faite (1).

Au reste, le roi d'Angleterre, en s'établissant fortement sur la rivière du Drot, en y fondant des bastides, en développant celles qui devaient leur fondation à Alfonse de Poitiers (2), donnait à son autorité des points d'appui très importants.

Mais revenons à la fondation de la bastide de Montpazier.

Voici les renseignements que nous fournissent les pièces conservées au fonds Périgord t. 47 (fol. 48 à 51);

« Sérénissime prince Edouard, roy d'Angleterre, duc d'Aquitaine possédant le duché d'Aquitaine en paix du temps du roy Philippe régnant en France, eut dessein de faire bâtir une ville dans le pays de Périgord, au diocèse de Périgueux, et l’an 1284, 7 janvier, a cet effet, Pierre de Gontaut, seigneur et baron de Biron, inclinant aux desseins et volonté de sa majesté anglicane, donna le lieu pour bâtir la ville et fut appelée Montpazier (3).

Lequel lieu où la ville fut construite était alors dans le district et juridiction de Biron... », le lieu était abandonné et formait un tènement appelé Mons Passerius, auprès était une forêt, à demi-lieue; cette forêt appartenait aussi à la maison de Biron; elle fut coupée pour servir à la construction de la bastide.

Messire Jean de Grilly, sénéchal de sa dite majesté anglicane, accepta le don que ledit seigneur de Biron lui fît de l'emplacement, et en récompense, au nom de sa majesté,

 

(1) Rôles Gascons, t. II, n° 1643: «... quare vobis mandamus ut si, visis convencionibus vobis constet quod dictus mons datus simpliciter nobis, ipsum retineatis; Si vero sub conditione ut faciamus ibi bastidam et nolimus eam facere, restituatis ipsum montem militi supradicto (an. 17e, 3 juin 1389). — Comp. manuscrit, de Wolfenbuttel (fol. 68, 49, 129). édité aux Archives hist. de la Gironde, t. V.

(2) Notamment Villeréal, Eymet sur le Drot et Montflanquin dans une boucle de la Lède,

(3) L. Dess., Histoire du Périgord, t. II, p, 29.

 

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accepta un paréage, relatif à Montpazier, entre le roi d'Angleterre et le seigneur de Biron.

Par cette transaction, le roi d'Angleterre reconnaissait que le bourg de Capdrot et son église dépendaient, comme auparavant, de la juridiction de Biron;

Que la basse justice et la juridiction de Montpazier seraient communes, par moitié, entre le Roi et le seigneur de Biron;

Que les fours, fournages, boucheries, marché, leude, oblies et acaptes, comme les jardins et cazals, seraient communs et divisés par moitié entre le Roi et le seigneur de Biron.

Celui-ci conservait, comme auparavant, les droits dans les paroisses situées hors ladite bastide et notamment les devoirs et juridictions, les péages, fiefs et arrière-fiefs.

En exécution du paréage, les habitants de ladite bastide et de ses dépendances devaient prêter serment de fidélité à sa dite majesté et au seigneur de Biron; et, chacune des parties, le roi d'Angleterre et le seigneur de Biron, avait la faculté de nommer un bayle à Montpazier.

Cette organisation fut complétée par une nouvelle convention signée le jeudi après l'Epiphanie 1293, par laquelle il fut arrêté que les deux bayles commun aux deux parties;

ser-

Que les consuls représentants de la bastide prêteraient serment de fidélité, à leur entrée en charge : 1° au seigneur de Biron; et 2° à sa majesté ou à son bayle.

Les bayles avaient à exercer en commun les droits de la basse justice, et Guillaume de Conques fut nommé bayle par ledit de Biron à la sortie de mars 1293;  et Bernard de Forzes le fut pour le roi et prêta serment au seigneur de Biron.

bayle par

Ce paréage se maintint dans la suite; mais les droits de Biron furent diminués ou méconnus: dans une note à la suite de l'acte de 1293, analysé plus haut et provenant des archives de Biron, nous trouvons cette mention: « de ce que dessus les seigneurs de Biron ne jouissent plus ».

Nous savons, en outre, par un acte conservé aux Rôles Gas-

 

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cons du 30 mars 1305 (1), que le seigneur de Biron se plaignait des agents du roi d'Angleterre: ceux-ci ne respectaient pas le paréage établi lors de la construction de la bastide; le roi ordonne une enquête et recommande qu'on exécute ce qui paraîtra juste et conforme aux engagements pris.

La bastide de Montpazier n'occupait, à l'origine, que la surface même destinée à sa construction et qui avait été prélevée sur la paroisse de Capdrot (2). Mais bientôt on allait rattacher à son territoire d'importantes paroisses voisines: ce fut l'œuvre du damoiseau Aymeric de Biron (3), seigneur pour partie du château de Montferrand, en Périgord, qui, le 11 février 1285, céda à Bertrand de Panissal, bayle de la bastide de Montpazier, et aux consuls Pierre de la Faye, artisan, Etienne de Mansac, Gilbert de Sarlat, Guillaume du Puy et Arnaud del Camps, consuls en exercice, la haute, basse et moyenne justice, les droits de garde et de surveillance (Coto ac Gardiagio) des champs et récoltes, droits que ledit Aymeric de Biron avait, pouvait ou devait avoir dans les ténements et paroisses des églises de Capdroto (Capdrot), de Marsalesio (Marsalès) (4), de Lavalada (Lavalade), de Gaujaco (Gaugeac), de Sancti Cassiani (Saint-Cassien); les conditions de cet abandon étaient établies dans un acte dressé par Gérald de Bossac, notaire public et général pour les diocèses d'Agen, Périgueux et Cahors et revêtu des cachets des parties.

Cet acte fut approuvé par le roi le 30 mai 1289 (5). Ainsi se

 

(1) Rôl. Gasc., ann. 32 à 33. Edw. 1er, membr. 21, Collection Brequiguy. L. Dessales, t. II, Hist. du Périgord, p. 93.

(2) C'est ce qui explique pourquoi la commune de Montpazier, héritière de l'ancienne bastide, ne s'étend guère au delà des anciennes fortifications.

(3) Comp. sur ce seigneur les Archives historiques de la Gironde, t. XIV, p. 498-499, et les renseignements fournis par le père Anselme, t. VII, p. 351 et 352. Histoire des grands officiers de la couronne.

(4) Il faut remarquer que le bourg de Marsalès, comme nous l'avons constaté antérieurement, faisait partie de la bastide de Molière; Biron ne pouvait céder que les droits qu'il avait, si Molière avait conservé les droits lui appartenant.

(5) Rôles Gasons, t. II, n° 1646. Arch. hist. de la Gironde, t, X, p. 99, d'après Coll. B.,  t. XV, p. 93. L. Dess., t. II, p. 37.

 

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trouvait constitué le territoire de la commune de Montpazier, tel qu'il restera dans la suite.

La fondation d'une bastide emportait avec elle des opérations multiples; en premier lieu, la désignation des habitants qui prêtaient le serment de bourgeoisie et promettaient les obligations en découlant (Rôles Gascons, n° 1403); on attribuait à chaque famille un emplacement sur lequel l'attributaire promettait, dans un certain délai, d'établir une maison; or, parait-il, en 1289, ces obligations n'étaient pas remplies et le Roi exige que les concessionnaires remplissent leurs obligations dans le délai fixé et accepté, au moment de la concession, ou qu’ils paient une amende de « decem librarum monete currentis » ou toute autre par eux promise. Les sommes ainsi recouvrées, d'après l'ordre du roi, seront affectées « ad clausuran bastide, vel constructionem ecclesie dicti loci, vel ad alias utilitates manifestas loci ejusdem » (1).

La construction d'une bastide devenait ainsi un travail d'utilité publique; l'autorité en surveillait l'exécution; de là ces plans uniformes, si caractéristiques et sur lesquels M. le baron de Verneuil (t. VI, Annales de Didron) a fourni des renseignements et qui donnent à toutes ces villes une physionomie particulière.

Dans chacune de ces bastides se trouvait un bayle ou représentant du maître de la bastide: à Montpazier, il y avait, du moins à l’origine, comme nous l’avons vu, deux bayles, l’un pour le roi d'Angleterre, l'autre pour le seigneur de Biron, en conséquence du paréage établi à la fondation. En outre, les intérêts généraux de la cité et du territoire étaient dans les mains des consuls; ces agglomérations avaient une organisation municipale plus ou moins complète: de là la nomination de consuls avec des pouvoirs assez étendus; nous reviendrons sur tous ces points lorsque nous étudierons les chartes et libertés qui furent données à ces bastides.

 

(1) Rôles Gascons, t. II, n° 1403. Comp. L. Dess., t. II, p. 93.

 

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Pour le moment, nous nous bornerons à rappeler quelques points spéciaux résultant des documents.

Suivant les hasards de la lutte entre l’Angleterre et la France, chacune de ces puissances devenait maîtresse des bastides: c'était l'occasion de privilèges et de faveurs à ces villes et à leurs gouverneurs.

Avant la guerre de Cent Ans, Pierre de Gontaut II, seigneur de Biron, fils du fondateur la bastide, qui savait bien que la bastide avait été placée sous la sauvegarde du roi de France, de même que Capdrot et autres lieux circonvoisins, avait envahi en 1327 la bastide, Capdrot et autres localités, avait ravagé le pays et y avait commis des violences de toute nature.

Mais en reconnaissance de ses bons services, le maréchal Bertrand de Briquebec, lieutenant du roi de France en Languedoc, en 1327, lui avait concédé des lettres de rémission, approuvées par le roi, au mois de décembre (l).

Ainsi en 1341, Jean de Marigny, évêque de Beauvais, en considération des services rendus par Aymeric II de Biron, seigneur de Montferrand, par lettres du 10 octobre 1341, datées de Bergerac, accorde à Aymeric et à ses vassaux exemption du ressort et juridiction des baillis ou juges de Montpazier et de Molières, et de leurs assises (2); par là les juridictions royales, desquelles relevaient les juridictions seigneuriales de Aymeric, pour le ressort et la juridiction, se voyaient diminuées; et les juridictions seigneuriales acquéraient par là une autorité plus grande (3).

En 1350 (4), à suite d’un accord fait entre le comte de Penthièvre et de Périgord, etc., et Aymeric II de Biron, seigneur

r quelques

?

 


 


 

(1) Arch. nat., Reg. fr. des ch., côté 64, p. 699. Comp. L. Dessales, t. II, p. 167.

(2) Histoire des grands officiers de la couronne, t. VII, p. 351.

(3) En conséquence, on notifia le 12 octobre 1341, par mandement de Me Guillaume de Badière, sénéchal de Périgord et de Quercy, aux juges royaux de Mont-de-Dome, de Montpazier et de Beaumont, lesdites lettres d'exemption.

(4) Histoire des grands officiers de la couronne, par le père Anselme, t. VII, p. 352.

 

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de Montferrand, le 18 octobre 1350, il fut convenu que l'on donnerait la capitainerie et le gouvernement de Montpazier à Jean de Biron, fils du seigneur de Montferrand, pour l'aider à garder sa place de Montferrand et on lui assurerait 20 livres de revenu annuel sur la châtellenie du lieu de Montpazier.

A son tour, le roi d'Angleterre, en 1375, pour attirer à lui ou maintenir dans son parti, et aussi pour le dédommager des pertes par lui subies en servant la cause anglaise et le récom­penser des services rendus (1), attribue à « Dilecto et fideli nostro Almerico de Bironio Dno de Montferrand de Perigord... locum de Montpazier cum pertinentiis habendum ad vitam suam cum feodis homagiis parrochiis emolumentis revencionibus et aliis profiscuis », mais il est vrai avec la réserve, de nature à contrarier cette concession: « in casu quod ipse locum praedictum super inimicos nostros poterit conquestare faciendo nobis homagium ligeum » (10 sept. 1375, Rôles Gas­cons, an° V, Ed. III, coll. Brequigny). Le roi d'Angleterre ne cédait à Aimeric que des choses que celui-ci avait préalable­ment à conquérir sur les Français.

La condition que ces titres firent à Montpazier a duré fort longtemps, car dans l'aveu de la terre, baronnie et seigneurie de Biron, faite au roi par François de Gontaud-Biron, en titre de première baronnie (2), en 1648, nous lisons, après le dénom­brement des biens, « nonobstant ce que dessus je déclare que c'est sans préjudice à l'ancienne possession de la justice haute, moyenne et basse du Bourg de Capdrot, en la juridiction de Montpazier et au paréage avec Sa Majesté de la basse justice et de la moitié des fours, fournage, boucherie, marché, leudes, etc., qui m'appartiennent dans la juridiction; comme aussi la prestation et serment de fidélité qui m'est dû par les habitants de Montpazier conjointement avec

 

(1) Ainsi, à quelques mois d'intervalle, le même personnage suivait la cause anglaise ou la cause française.

(2) Fonds Périgord; B. N, p. 43, t. XI.

 

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sa dite Majesté; de même la faculté de créer un juge pour y exercer la justice, conformément à la sentence arbitrale passée entre Edouard, roi d'Angleterre, duc d'Aquitaine, et ses commis d'une part et Pierre de Gontaut de Biron, sieur et baron de Biron, un de mes ancêtres d'autre part, et datée du 8 janvier 1284 et le lieu de Montpazier est donné, dans mon détroit et juridiction de Biron. »

 

e) Courtes notices sur les autres bastides du Périgord

 

I. — Bastide d'Eymet

 

La bastide d'Eymet, située sur le Dropt, à l'extrême limite du département de la Dordogne, doit son origine à Alfonse de Poitiers; il en jeta les fondements sur un terrain très anciennement habité, et où l’on a trouvé des restes romains assez importants (1), et lui donna, au mois de juin 1270. des coutumes identiques à celles de Castel-Sacrat (2).

L'honor et le districtus se trouvent déterminés dans le dernier article de ces coutumes (art. 37) de la manière suivante : « Item damus et concedimus pro honore et districtu villas de Ymmeto praedictae, villam de Losumo (3) cum pertinentiis suis, et villam Salvitate (4) cum pertinentiis, et villam seu castrum Perticae cum pertinentiis suis et territoriis et limitationibus eorumdem, retinemus siquidem in diclo loco seu villa de Ym­meto salinum nostrum, sine praejudicio libertatis hominum dictae villae. »

 

(1) Compr. Audierne, le Périgord illustré, p. 351.

(2) Collect. Doat; t. LXXVI, p. 334 et suiv. A tort M. de Gourgues place en 1272 la concession des coutumes par Alfonse de Poitiers.

(3) Probablement Lauzun (Lot-et-Garonne).

(4) La Sauvetat de Dropt.

 

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II — Bastide de Castel-Real (1) et de Dome

 

La fondation des bastides en Périgord fut de la part des Anglais et des Français le moyen le plus efficace d’y asseoir leur autorité.

Louis IX, en abandonnant le Périgord, le Limousin et le Quercy aux Anglais, sous condition d’hommage, avait réservé les droits des privilégiés, c’est-à-dire des vassaux de la couronne, auxquels le roi ou ses frères avaient garanti de ne pas les mettre hors leurs mains.

Les Anglais, dès la prise de possession du Périgord, cherchèrent des points appropriés pour l'établissement de leurs bastides; ils jetèrent les yeux sur un haut plateau, tout près de Siorac-de-Belvès, et dans la châtellenie de Belvès, au nord, il est taillé à pic sur la Dordogne et, au sud, par des pentes assez raides, il offre une position formidable pour l'époque.

C'est vers 1267 que les travaux furent commencés et poussés assez avant; mais l'abbé de Sarlat, dans le fief duquel se trouvait la localité, fief qu'il tenait du roi, fît opposition à cet établissement; opposition à laquelle s'associa Raoul des Trappes, sénéchal du roi de France, et qui fut portée au Parlement de France; les Anglais ne voulurent pas s'arrêter et le roi de France, saint Louis, en vue d'une enquête à faire sur le point de savoir si la localité était une dépendance Sarlat ou non, ordonna la cessation des travaux et prit le lieu sous sa protection (2).

Anglais n'abandonnèrent pas cependant ce projet et, en présence des travaux que Philippe le Hardi entreprenait à Les Anglais n’abandonnèrent pas cependant ce projet et, en présence des travaux que Philippe le Hardi entreprenait à Domme, en 1280, ils réclamèrent au Parlement la main levée de l'interdiction royale.

Le procurateur du roi d'Angleterre suppliait le Parlement

 

(1) L. Dessales; Hist. du Périg., t. II, p 25.

(2) Parlement de la Penteooste, 1268; Olim, t. I, p. 723.

 

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de lever la main-mise, afin de pouvoir achever et terminer un château fortifié, situé en Périgord, appelé Castrum Regale, antérieurement commencé, travail qui avait été arrêté par saint Louis propter quandam parvam inobedientiam.

Les procurateurs de l'abbé de Sarlat s'opposèrent à la supplication des demandeurs et voici les raisons pour lesquelles la requête du roi d'Angleterre ne devait pas être écoutée:

L’abbé et le couvent de Sarlat étaient privilégiés en ce sens que eux, leurs choses et leurs biens ne pouvaient être mis hors de la main du roi de France (1).

Des enquêtes faites par la Cour, il résultait que les gens du roi d’Angleterre faisaient construire un château fortifié « in feodo castri de Syurac (Siorac de Belvès) quod castrum de Syurac cum pertinentiis suis est de feodo dictorum abbatis et conventus. » La construction avait été continuée malgré l'oppo­sition des couvent et abbé de Sarlat, malgré la dénonciation de nouvel oeuvre intentée par eux, et en conséquence, le roi de France saint Louis, en son Parlement, ordonna la destruction du château; le roi, en présence de ces faits, maintint l'opposition faite, et déclara qu'il n'y avait pas lieu d'accueillir la demande de main-levée formée par le roi d'Angleterre, et qu'on ne recevrait plus à l'avenir aucune réclamation sur ce point (2).

Ce projet ne fut pas repris, et les ruines qui couronnent la montagne de Castel Real sont, avec les documents analysés, le seul souvenir de la bastide projetée; et l’office qu’en attendait le roi d’Angleterre fut rempli par les bastides de Molières, Beaumont et Montpazier dont nous avons parlé plus haut.

En abandonnant au roi d'Angleterre le Périgord, saint Louis et ses descendants y conservaient les fiefs qu'ils ne pouvaient mettre hors de leur main; ainsi deux autorités rivales exis-

 

(1) Fait reconnu par le roi d'Angleterre dans la réclamation de 1310 (Bulletin de la Soc. hist. et archéol. du Périgord, an. 1902. p. 201. « In Petragoricinio sunt privilegiati ante pacem habitam inter beatum Lodovicum... Abbas sarlatensis in capite quam in membris ... »

(2) Olim, t. II. p. 179. XXV. Parlement de la Pentecôte de 1281: Philippe III.

 

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taient dans le même pays, et le roi de France pouvait, comme tout autre seigneur, fonder des bastides dans ses domaines.

Ainsi fut fondée, en Périgord, la bastide de Dome ou de Mont de Dome, qui joua dans la suite un rôle important pendant les guerres de l'indépendance.

Cette bastide, dans une très forte position fut fondée par Philippe le Hardi, en 1281; ce prince lui donna des privilèges en 1283; nous en devons la conservation à M. Lascoux, conseiller à la Cour de cassation, qui en a donné la charte originale à la Bibliothèque nationale (1).

Les autres documents relatifs à son histoire ont été rappelés par M. Lascoux, dans une brochure spéciale. Nous pourrions que répéter ce qu'à dit M. Lascoux, beaucoup mieux que nous ne saurions le faire (2) ; nous nous en tenons à cette simple mention.

Un document des Rôles Gascons (3), à côté des bastides qui nous sont connues, et dont nous avons présenté l'histoire, mentionne la bastide de Puy Guilhem, avec les bastides de Fonroque, de Beaulieu (B. de Bello loco) et de Villefranche (B. de Villa franca).

 

III. — Bastide de Puy Guilhem.

 

II faut distinguer Puy Guilhem château et castrum (4) et la bastide de Puy Guilhem.

Puy Guilhem (castrum) est « une ancienne forteresse, aujourd'hui en ruines, assise au sommet d'un vaste plateau, qui semble raconter encore tous les assauts qu’elle eut à soutenir (5) » ;

 

(1) Mémoires de l'Ecole des chartes, année 1877, page 278.

(2) Documents historiques sur la ville de Dome (Dordogne), recueillis et publiés par J(ean) Baptiste L(ascoux). Paris, 1836. — Sur la fondation de Dome, comp. L. Dessales, Hist. du Périgord, t. II, p. 53 et suiv.

(3) R, G. t. II, n° 802.

(4) Aujourd'hui chef-lieu d'une des communes du canton du Sigoulès (arrondissement de Bergerac).

(5) Audierne, le Périgord illustré, p. 550.

 

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il fut cédé en 1265 par les seigneurs du lieu au roi d'Angleterre à la condition « ... qu’el dits senhor Reis, ni l’avandita dona sa molhier, n’il senhor N. Audouars los fils et lor bailles auran mestier à far una bastida clausa ... fora lo casted de Pugh-Wilhem... » (1).

Cette forteresse de Puy Guilhem a joué un grand rôle pen­dant la guerre anglo-française, et y été plusieurs fois prise et reprise par les Français et les Anglais; elle devint par la suite le chef-lieu d'une des châtellenies les plus importantes du Périgord.

La bastide de Puy Guilhem fut établie au sud du castrum, sur un des affluents du Dropt: elle a porté jusqu'au XVIIe siècle le nom de Sainte-Eulalie de Puy Guilhem; elle l’a changé en celui de Sainte-Eulalie-d'Eymet, et forme une commune du canton d'Eymet (2); elle n'a jamais eu une grande impor­tance. En 1365 elle avait 24 feux.

D'après les documents publiés aux Rôles Gascons, les castrum et la castellania de Puy Guilhem avaient été concédés par le roi à Augier Mote, plus jeune, en paiement d'une dette dont le roi était tenu vis-à-vis d'Augier Mote, père; cette concession avait été faite pour quatre années vers 1288; le roi, en 1290, ordonna un règlement pour déterminer ce qui pouvait encore être dû (3), et concéda le castrum et la castellania avec tous les droits qu'il pouvait y avoir et en y comprenant la bastide (n° 1814) à Alexandre de la Pebrée et pour la durée de sa vie; concession dont l'exécution présenta des difficultés (4), à cause des privilèges des habitants; ce seigneur obtint en échange des droits sur Puynormand et ses dépendances.

 

(1) Acte du 26 mars 1265 (Man. de Wolfembuttel, n° 432), la cession était faite par Auger de Puychagut, Grimoart de Picou, Hélie de Saint-Michel et quelques autres chevaliers et seigneurs de Puy Guilhem. MM. Martial et Jules Delpit, Notice sur un manuscrit de la bibliothèque de Wolfembuttel. Notices et extraits de manuscrits de la bibliothèque du roi, t. XIV, 2e partie. Paris, Imp. Roy. 1841.

(2) Vicomte de Gourgues. Dict. top.  v° Sainte-Eulalie d'Eymet.

(3) R. G., t. II, n° 1780.

(4) Comp. Rôles Gascons, t. II, nos 1775, 1779, 1781 et 1814.

 

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IV. — Bastide de Fonroque

 

La bastide de Fonroque fut établie au nord d'Eymet et un peu à l'ouest de Sainte-Eulalie de Puy Guilhem; elle revit aujourd'hui dans la commune rurale de Fonroque du canton d'Eymet; en 1365, au compte du fouage, elle faisait partie de la châtellenie de Puy Guilhem, bastida, cum parrochia de Font  Roqua, avec 41 feux et demi.

 

V. — Bastide de Beaulieu et de Villefranche

 

Où sont situées ces dernières bastides? M. Dessales, dans son Histoire du Périgord, t. II, p. 35, se borne à dire : « La bastide » de Beaulieu pourrait être le lieu qu'on nomme de nos jours la bastide de Puy Guilhem près de Sigoulès, et celle de Villefranche sur laquelle je n'ai pu recueillir que des souvenirs; du reste, nous ne possédons ni charte de fondation, ni franchises, ni privilèges. »

Nous n'avons pas été plus heureux que M. Dessales, et comme lui nous n'avons découvert ni charte de fondation, ni franchises, ni privilèges; mais puisqu'elles ont existé, à titre de bastides, il est à présumer qu'elles ont été placées, sous le régime du droit commun des bastides, avec les privilèges que l'on reconnaissait à toutes (1). Mais tout au moins pouvons-nous fournir quelques renseignements qui permettront de déterminer exactement leur situation et de les identifier.

Il est certain que ces bastides ont été organisées, car elles figurent dans le rôle du fouage de 1365, accolées aux paroisses dont elles faisaient partie et qu'elles étaient situées dans la châtellenie de Puy Guilhem (2).

La bastide de Beaulieu était dans la paroisse de Percusio ou Pertusio, d'après le rôle du fouage. Elle avait une certaine importance, car on lui donne 76 feux; vers la même époque, la description du Périgord mentionne parmi les bastides du

 

(1) Renvoi à l'étude des chartes et des bastides.

(2) R. G., t. II, n° 302.

 

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patrimoine du roi; « Parochia, de Pertusio cum bastida belli loci (1) ». Or, cette ancienne paroisse, attribuée par la bulle de 1153 au monastère de Sarlat, a disparu; le souvenir en revit dans le village de Pertus, près de Sigoulès. C'est donc certainement aux environs de Sigoulès qu'il faut placer la bastide de Beaulieu (Bastida de Belle loco); elle a bien été organisée comme bastide, puisque le mardi qui suivit la fête de la Pentecôte de l’année 1289, les consuls de cette bastide, à la requête de tenanciers de terrains dans la paroisse de Flaugeac (canton de Sigoulès), apposèrent le sceau « communitatis bastide seu ville de Bello loco... in testimonium premissorum », pour donner l'authenticité aux engagements que ces tenanciers prenaient vis-à-vis du roi d'Angleterre (2).

Quant à la bastide de Villefranche, elle était située dans la paroisse de Lenvilla (3); cette paroisse, attribuée autrefois au monastère de Sarlat (1153) et qui n'a disparu qu'assez tard, faisait partie de la paroisse de Monestier (commune actuelle de Sigoulès) et il nous paraît certain que le lieu marqué à la carte d'état-major, sous le nom de Bastide, à l'ouest et tout près de Monestier, est l'ancienne bastide de Villefranche (4).

 

(1) Rôle de 1365. Parochia de Percusio cum bastida Belli loci pro LXXVI foc, et manuscrit Saint-Germain, n° 1444 (Description du Périgord).

(2) N° 1719, Rôles Gascons, t. II.

(3) Compte du fouage de 1365, bastida Villefranche ad parochiam del Lenvila pro XLIII foc. et dimidium.

(4) Cette attribution nous paraît résulter des documents et nous ne saurions accepter l'identification de notre bastide de Villefranche, avec Villafranca de Lopsaco (aujourd'hui Villefranche-de-Longchapt, canton du Bergeracois), qui jamais n'a fait partie de la châtellenie de Puy Guilhem. Nous rejetons cette identification proposée par M. Curie-Simbres, p. 210. Comme aussi et par les mêmes motifs celle qui place au Beaulieu d'Annesse (canton de Saint-Astier), la bastide de Beaulieu de notre document. Les paroisses de Pertusio ou Percusio et de Lenvilla ou Hemvilla, l'une et l'autre sous le vocable de Saint-Martin, sont encore portées sur la carte dressée en 1624 par le chanoine Jean Tarde (Chroniques de Jean Tarde, etc., Paris, 1887); la première est marquée au sud de Sigoulès et séparée de Lenvilla par la paroisse de Lesdignac; Lenville doit donc être placée dans le territoire actuel de la paroisse de Monestier et non dans la paroisse de Flaugeac, comme l'a cru M. de Gourgues, Dict. top.

 

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Ainsi les Anglais, continuant l'oeuvre d'Alfonse de Poitiers, par la reconstruction du château de Puyguilhem et les fondations des bastides de Fontroque, de Puyguilhem, de Beaulieu et de Villefranche, développèrent de nouveaux centres de population et facilitèrent le défrichement et la culture dans cette partie de leurs possessions.

 

VI. — Bastide de Beauregard (Bello regardo)

 

La bastide de Beauregard fut fondée par le roi d'Angleterre, pendant que Jean de Grilly était sénéchal; au mois de novem­bre 1286, des coutumes lui furent accordées par le roi Edouard. Ces coutumes reproduisent d'une manière complète les dispo­sitions formant le Droit commun des bastides, et ne se diffé­rencient que par quelques variantes sans importance des chartes des autres bastides périgourdines (Lalinde, Molières, Villefranche, etc.).

Sa fondation motiva quelques plaintes de la part des seigneurs du voisinage et notamment de la part d'Elie de Talayrand, seigneur de Grignols, qui se plaignait de la réception dans la bastide de ses vassaux, liges et questaux, réception contraire au statut fondamental sur ce point et à la défense du roi; aussi fut-il ordonné qu'après vérification des faits, les vassaux du seigneur seraient renvoyés de la bastide (1).

Le roi d'Angleterre, en fondant cette bastide sur les plateaux qui séparent les vallées de la Dordogne et de l’Isle, voulait y établir fortement son autorité; aussi rattacha-t-il à la bastide un très grand nombre de localités; cette situation est mise en évidence par le dernier article de la charte de 1286.

La bastide était située au centre de ses dépendances, au lieu de Beauregard, dans la commune de Beauregard et Bassac, du canton de Villamblard. Le château ou bastide de Beauregard

 

(1) Rôles Gascons, t. II, n° 1557 (24 mai 1289, année 17e du règne d'Edouard).

 

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était bâti sur un plateau entre deux vallées fertiles qu'arrosent les ruisseaux des Neuf-Ponts et celui de la Crempse.

Voici, énumérées par la charte, les dépendances de la bastide de Beauregard :

Castrum de Claromonte cum honore et pertinentiis suis, le bourg fortifié de Clermont, avec son territoire et ses dépendances. Aujourd'hui, Clermont-de-Beauregard, commune du canton de Villamblard. D'épaisses murailles rendaient cette ville un point de défense important, et sa belle position que de larges et profonds fosses protégeaient, la mettait à l'abri d'une surprise. Les tracés des murs de circonvallation paraissent encore, ainsi que ceux des fossés, qu'on ne peut méconnaître; au pied du mamelon, sur lequel reposent ces ruines, coule le ruisseau du Caudon.

Et castrum de Longo vado cum honore et pertinentiis suis, probablement le château et bourg de Longas, dans la paroisse et commune de Sainte-Foy de Longas.

Et castrum de Monte claro cum honore et pertinentiis suis castrum usque ad dictum rivum Lo Loyra, bourg fortifié de Montclar, dans la paroisse et commune de Saint-Georges de Montclar; le château est bâti dans la vallée du Coudau, sur une motte factice. Les dépendances du bourg, jusqu'au ruisseau de la Louyre, étaient comprises dans le terri­toire de Beauregard.

Et castrum de Vernhio cum honore et pertinentiis suis. Vernh ou Vergt, qui fut le chef-lieu d'une châtellenie puissante.

Et castrum de Estissaco cum honore et pertinentiis suis, le château et bourg fortifié d'Estissac: il fut le siège d'une châtellenie importante, dont le nom revit dans les paroisses de Saint-Hilaire d'Estissac, de Saint-Jean d'Estissac et Saint-Séverin d'Estissac.

Et castrum de Rosilha cum honore et pertinentiis suis. « Non loin de Vern, à gauche de la route, entre Bordas et Saint-Mamet; il est une ruine silencieuse comme la pous-

 

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sière des tombeaux, mais très expressive pour l'histoire. C'est le château de Roussille, de style roman, et dans les flancs duquel le laboureur promène sa charrue. Là vous découvrez encore l'antique enceinte, un puits profond, des pans de murs tapissés de lierre, des voûtes dont la solidité égale le rocher, des fortifications circulaires et un monceau de débris qui révèle la grandeur passée de ce monument; que de souvenirs enfouis dans ces décombres! Roussille, jadis forteresse, fut une des plus anciennes châtellenies et vicomtes de la province. De ce château de Roussille, si remarquable, il ne reste qu'une vieille tour dont la construction remonte à la première race des rois de France (1). »

Parrochia et Burgum de Bassaco cum pertinentiis suis, la paroisse et le bourg de Bassac, avec ses dépendances: la paroisse de Bassac formait autrefois une paroisse distincte, réunie aujourd'hui à Beauregard, sous le nom de paroisse de Beauregard et Bassac.

Et burgum et parrochia de Grunh cum pertinentiis suis, le bourg de Grun forme aujourd'hui une commune du canton de Vergt.

Et burgum et parrochia Sancti Maximi de Pérols cum pertinentiis suis, c'est la commune et paroisse de Saint-Mayme de Pereyrols, du canton de Vergt. On l’a appelé quelquefois Saint-Mayme de Douville.

10° Et burgum et parrochia Sancti Amadi, c'est la com­mune et paroisse de Saint-Amand-de-Vern; canton de Vergt, que de Belleyme appelait Saint-Amand de Villadeix.

11° Et burgum parrochia de Montagnac, c'est la commune et paroisse de Montagnac la Crempse, canton de Villamblard, sur un petit affluent de la Crempse.

12° De Campo Secreto, Camp Segret, commune du canton de Villamblard.

 

(1) Audierne, le Périgord illustré 1858, p. 506 et 507. — Roussille dans la commune de Douville, à l'extrémité de celle-ci, et à égale distance de Douville et de Saint-Mayme-de-Pereyrol, les trois points en ligne droite.

 

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13° De Sancto Juliano, Saint-Julien de Crempse, commune du canton de Villamblard.

14° De Campanhac, village de Montagnac la Crempse (canton de Villamblard).

15° De Beleymas, commune du canton de Villamblard, sur le plateau à la suite de Campagnhac.

On comprenait dans le territoire de cette bastide de Beauregard les dépendances des localités énumérées avec tous les droits qu'y avait ou pouvait y avoir le roi d'Angleterre, celui-ci se réservant la faculté d'ajouter ou de diminuer ces attributions (1).

La bastide de Beauregard n'eut ni grande importance, ni grand avenir. Les guerres qui éclatèrent entre la France et l'Angleterre, bientôt après sa fondation (1294, 1295, 1296), qui entraînèrent la perte de la Guyenne par les Anglais, amenèrent sur tous les points des possessions anglo-françaises des luttes constantes et de grandes modifications dans la répartition des territoires: ceux-ci passaient alternativement des mains des seigneurs anglais dans les mains des vassaux du roi de France, et la paix faite entre les deux pays n'arrêtait pas tou­jours les luttes particulières sur certains points du territoire; à juste titre un poète contemporain a pu dire:

 

On peut bien savoir et congnoistre

Que Englois onc français n'ama.

Male Dragée entre eulz y a:

Hui sont en pais, demain en guerre (2).

 

Ainsi le roi de France, à la suite des campagnes qui abou-

 

(1) Comp. Les Cout, de Beauregard, Bulletin de la Société hist. et arch. du Périgord, t. III, p. 169, d'après une copie du 28 juin 1767. — Une autre copie française de ces Coutumes a été publiée dans le Bulletin héraldique de France (1891); elle donne une variante. Au lieu du château de Longas, elle donne Saint-Maurice (probablement de la paroisse de Saint-Laurent-des-Bâtons), ce qui doit être une mauvaise lecture.

(2) Le dit de la rébellion d’Engleterre et de Flandre, publié par M. Jubinal, nouveau recueil de contes, p. 73.

 

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tirent à la conquête de la Guyenne, avait dans ses mains les bastides anglaises, et à la suite d'un échange de territoires avec le comte de Périgord il abandonna à ce dernier les châtellenies de Puynormand, les bastides de Villefranche de Longchapt, de Saint-Astier, d'Estissac, la bastide de Beauregard avec Clermont, la bastide de Lalinde avec sa pêcherie et Longas, le château de Grignols et d'autres domaines (1).

Cet échange, basé sur les revenus des territoires abandonnés par chacune des parties, nous permet d'affirmer le peu d'im­portance de Beauregard, car cette bastide ne figure que pour un revenu de 59 livres périgourdines, tandis que Lalinde était mentionné pour 872 livres 10 sols et la même différence se rencontrait dans la population: Beauregard n'avait que 950 habitants, tandis que Lalinde en avait 2465.

Tous les territoires cédés par Philippe le Bel au comte de Périgord ressortaient à la sénéchaussée de Gascogne; ils ressortiront à l'avenir à la sénéchaussée de Périgord (2).

Au reste, la paix faite entre les rois d'Angleterre et de France (1303, 20 mai, traité de Paris), les bastides anglaises furent rendues au roi d'Angleterre: celui-ci ne leur garda pas rancune d'avoir si facilement suivi la cause française, et, au mois de juin 1316, Edouard II déclara unir à jamais à la couronne les bastides de Beaumont, Lalinde, Molières, Montpazier et Villefranche de Périgord (3).

D'un autre côté, le roi de France, par des fondations de bastides, cherchait lui-même à se créer des points d'appui pour son influence; c'est ainsi qu'en 1308, à la suite d'un paréage avec l'abbaye de Charroux, il fonda la bastide de Saint-Louis, à laquelle furent attribués une partie des territoires sur lesquels avait naguère autorité Beauregard, ce qui démontre encore la déchéance de cette dernière bastide.

 

(1) Arch nat. reg. du trésor des chartes, côté 38, p. 85.

(2) Loc. cit. Registre trésor des chartes, côté 38, p. 86.

(3) Arch. nat., f° 623, n° 102

 

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VII. Bastide de Sourzac, plus tard de Saint-Louis.

 

î de

 

En 1308, l’abbé et le monastère de Charroux, au diocèse de Limoges, par leurs procureurs Helye Itier, moine, et Raymond de Sparta (ou Lesparta), clerc, proposèrent au roi France Philippe IV, dit le Bel, un paréage ou association; ce paréage avait pour objet les plaines ou plateaux de Chambonio et de la Croix, près de la rivière de Lisle, dans la paroisse de Sourzac. au diocèse de Périgueux: le couvent de Charroux abandonnait « fundus et proprietas, omnimodaque alta et bassa justicia, merumque et mixtum imperium », existant sur ces terrains et leurs dépendances, et les mettaient en société avec le roi; ils agissaient « pro evidenti utilitate abbatis, et conventus et monasterii predictorum », à la charge par le roi de bâtir une bastide « ad opus et ob causam cujusdam bastide ibidem... construende in loco et Plateis predictis... sub infra scriptis conditionibus et forma, videlicet », que la bastide serait gouvernée à perpétuité par des officiers, ministres ou recteurs, communs au roi et au couvent, élus et institués de leur consentement commun, que la juridiction, la prison et la cour de justice seraient communs, et que les produits pécuniaires de toute nature provenant pour le présent ou pouvant en provenir dans la suite, seraient partagés par le roi et le couvent par égale portion; ce paréage devait être maintenu à perpétuité entre le roi et ses successeurs et le couvent, avec cette clause qu’aucun partage ne pourrait être provoqué à son occasion, que le roi ne pourrait mettre ce domaine hors sa main, etc.

Le roi de France accepta le paréage et en exécution de ces clauses fut élevée sur les bords de Lisle, au lieu déterminé, une bastide; elle obtint les privilèges et statuts généralement accordés aux bastides et qui sont rapportés au volume XI, p. 404. (O.R. de France), ils sont semblables à ceux de Mont-chabrier et de Villefranche de Périgord.

 

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Cette bastide porta dans la suite le nom de Saint-Louis, et en 1325, Charles le Bel confirma les privilèges et franchises qui lui avaient été antérieurement donnés (O.R. de F., t. XII, p. 496), en y ajoutant quelques privilèges spéciaux, qui étaient suivis dans presque toutes les bastides; il prit, en outre, cette bastide sous sa protection spéciale, avec recommandation aux sénéchaux « de Saintonge, de la Marche du Limousin et du Périgord de veiller à la conservation et au repos de ses habitants (1). »

L’article 37 des coutumes de 1308 combiné avec l’article trois des coutumes de 1325 fixe l'étendue du territoire de la bastide: Celle-ci comprendra tout et portion de ce que l’abbé et couvent de Charroux avaient dans les paroisses de « Sancti Severini (2), de Ponte Sancti Mameti (3), de Rossilha (4), de Sancta Columba de Dosvile (Bosvilla) (5), de Salutare (Salvitate) 6, de Belesmas (de Benesimas) (7), de Galmares (de Calmares) (8), de Sancto Juliano (9) et de Las Leschas (10), Sancti Frontonis prope Moissidem (Moyssidam) (11), item in Mansis de Landa et de Fabrica habebant et possidebant, que et prout nobiscum in communione et pariagio, prout supra scriptum est, possident pro indivisio de ipsius bastide honore et pertinentiis

 

(1) L. Dessalle, H. du Périg., t. II, p. 170, et Arch. nat., reg. du Tr. des ch.,  côté 64, p. 163.

(2) Saint Séverin d’Estissac (com., canton de Neuvic). Voir plus haut bastide de Beauregard 5°.

(3) Parochia de Ponte Sancti Mameti (usurp. 1310). Pont-Saint-Mamet, village, commune de Douville.

(4) Voir plus haut Beauregard 6°.

(5) Sainte-Colombe, com. de Douville (voir Dict. top. Sainte Colombe de Lalinde).

(6) La Sauvetat Grasset, commune ecart de Douville.

(7) Beleymas, com. et cant. de Villamblard, comp. Beauregard 14°.

(8) Inconnu.

(9) Saint-Julien la Crempse, commune de Villamblard. Voir Beauregard.

(10) Les Lèches, com. du canton de Laforce.

(11) Il ne peut s'agir ici que de Saint-Front-de-Pradoux, commune et canton de Mussidan.

 

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perpetuo remansura, salvo in aliis jure nostro, et jure quolibet et alieno. »

La fondation de cette bastide par le roi de France enlevait au roi d'Angleterre des territoires sur lesquels il avait des droits: aussi protesta-t-il très énergiquement contre cette fondation, et dans le rôle des réclamations, dressé en 1310 par le juge du roi d'Angleterre en Périgord, Me Arnaud du Codex, figure en première ligne la surprise que le roi de France avait réalisée à Sourzac, où il avait fondé la villa franca de Saint-Louis, avec de nombreuses dépendances, au mépris des droits du roi d'Angleterre, qui avait possédé toutes ces localités paisiblement et sans contestation, y avait exercé, depuis plus de trente ans, les droits de juridiction (ressort et supériorité) et y avait levé le commun, toutes choses qu'il pouvait établir par des témoins dignes de foi (1).

Mais ces protestations du roi d'Angleterre, renouvelées à plusieurs reprises dans la suite, n'empêchèrent pas la bastide de Saint-Louis de rester sous la dépendance du roi de France. Elle joua un rôle assez important dans la suite.

Le paréage entre le roi et l'abbaye de Charroux donna lieu à des difficultés; on n'était pas d'accord sur l'importance des rendements de la bastide, à suite d'une convention intervenue entre les parties, on attribua au couvent pour ses droits une somme fixée à cent livres tournois, moyennant que tous les revenus appartiendraient au roi (2).

Et si la somme n'était pas payée, l'abbaye serait rétablie dans ses anciens droits. Vers la même époque (1317), le roi

 

(1) Voir l'information de 1310; elle a été publiée dans le Bulletin de la Société Hist. et Arch. du Périgord, tome XXIX (an. 1902), page 202 et suivantes. « Et isti idem (les témoins) vel plures ex eis viderunt Bernardum de Vilars tenere locum de Sorzaco pro domino rege Anglie et acquitanie Duce, eo tempore quo Dominus Brunus de Saya erat senescallus Petragoricensis, Caturcensis et Lemovicensis pro dicto Domino Rege et Duce. In cujus quidem loci de Sorzaco pertinentiis proprietatem, Dictus Dominus Rex Francia contra dictam pacem supprisit, faciendo ibi bastidam predictam... »

(2) Comp. Un arrêt du 9 août 1317. Olim, t. II. p. 672 XXV.

 

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avait nommé à titre de bailli Jehan Calvet, et comme greffier Arnaud Blanquet (1).

Le roi augmenta bientôt l'importance de la bastide, en y créant un sceau royal et en fixant la juridiction, qui s'étendit sur une grande partie du territoire et comprit dans les limites de sa compétence: Mussidan, Ribeyrac, Montpont, Gurson, Morens, Estissac, Montravel, Fraysse, avec leur châtellenies et leurs dépendances, et les bourgs et paroisses de Beauronne, Douzillac, Neuvic, Issac et St-Pierre d’Eyraud (1).

Dans la suite, de nouvelles difficultés s'élevèrent entre le roi et les religieux; il résulte d'une procédure faite au XIVe siècle, et d'un procès-verbal de vérification du sénéchal de Périgord, le procureur du roi et les religieux appelés, fait, en 1323, que le paréage devait être restreint à ladite bastide de Saint-Louis et aux paroisses de Sourzac et de Bourgnac, sans que le couvent eût aucun droit à prétendre dans les droits de justice des autres localités (3).

Comme les autres bastides situées dans le Périgord, la bastide de Saint-Louis subit le contrecoup des événements politiques; tantôt française, tantôt anglaise; c'est ainsi que le roi d'Angleterre, en 1376, en donna la baillie à Raimond de Montaut, seigneur de Mussidan.

Puis, après l'expulsion des Anglais, cette bastide royale fut cédée à la famille des Masparaud de Longa et passa dans la famille des Cosson, dont l’un des membres avait épousé une Masparaud; le roi Louis XV, en 1723, érigea la terre, seigneurie, ville et bastide de Saint-Louis en comté, sur la tête de Jean-Godefroid de Cosson; et, après l’extinction de cette branche de la famille, cette terre fut revendiquée comme domaniale par le roi (4).

 

(1) Arch. Nat., sect. jurid., 3e reg. cri., fol. I.

(2) Arch. Nat., reg. du tr. des chartes, LX, p. 102.

(3) Documents du fonds Périgord à la Bib. Nat, t. XLVII (Bastide St-Louis) et déclaration de François-Charles Marcial, prieur de Sourzac, en 1464.

(4) Documents du fonds Périgord v° Bastide Saint-Louis, t. XLVII, Bib. Nat.

 

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VIII. — Bastide de Lisle en Périgord (1)

 

Une bastide fut établie à Lisle en Périgord et des coutumes et privilèges lui furent octroyés par Philippe IV, dit le Bel, en juillet 1309: le préambule fait connaître les circonstances de cette organisation.

Une difficulté contentieuse s'était élevée: les seigneurs Helye de Saint-Astier, seigneur de Lisle, et Raymond de Monte inciso, chevalier, frère d'Arnaud de Monte inciso, seigneurs de Lisle, prétendaient que la haute et basse justice de la ville et paroisse de Lisle devait leur revenir, comme ayant appartenu de toute ancienneté à leurs auteurs. Les habitants contredisaient cette prétention comme non fondée; ils faisaient remarquer que Raymond de Monte inciso, moyennant une compensation en argent et payée, avait renoncé au profit des habitants à tous ses droits de justice.

Dans ces conditions, Helye de Saint-Astier et les habitants donnèrent, cédèrent et transportèrent au roi les droits, actions, propriété et domaine, qu'ils avaient ou pourraient avoir dans l'avenir, à la charge d'établir dans la ville une fortification; de garder à jamais pour lui et toujours la haute et basse justice, et de s'interdire toute aliénation de ces droits, et, en conséquence, le roi de France concéda aux habitants de Lisle des coutumes et privilèges, tels qu'on les rencontre dans la plupart des villes libres, toutefois le régime municipal n'était pas organisé, comme dans les autres bastides. Ici, en effet, on n'admettait ni maire, ni consuls; mais, chaque année, à la fête de l'Annonciation de la Vierge, les bourgeois et les habitants de la localité devaient élire six citoyens de la présente ville, exempts de note d'infamie et de soupçon de crime; ils portaient le nom de recteurs de la ville et de la paroisse (2).

 

(1) Comp. L. Dessales, H. du Périg, t. II, p. 108.

(2) Arch. nat., J. 292, n° 12, et Ord. des rois de France, t. XII, p. 417,

 

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La localité dont il s'agit ici est la petite ville de Lisle, sur la Dozelle, affluent de la Dronne (circa Rivum seu aquarn vocatam la Dozela).

 

IX. — Bastides fondées par le comte de Périgord.

 

Le comte de Périgord avait fondé dans ses domaines trois bastides: Bénevent, Montignac-le-Petit et Vergt ou Vergn.

Bénevent était située dans la paroisse de Saint-Laurent-de-Pradoux (1), au diocèse de Périgord; elle reçut à sa fondation, par Archambaud III, des privilèges tout à fait semblables à ceux de Sainte-Foy-la-Grande, et cela au mois de septembre 1270 (2) et qui furent complétés, en 1309, par Helie Talayrand, comte de Périgord.

Le comte, Helie Talayrand, rappelle que la bastide de Bénevent avait été fondée par son aïeul et avait reçu les usages, libertés, statuts et coutumes observés in villa seu bastida Sancte fidis agennensis diocesis (Sainte-Foy-la-Grande), que les jurats et consuls de la bastide de Benavento demandèrent au comte de vouloir bien les autoriser à suivre les usages en vigueur à Sainte-Poy, et qui avaient été complétés depuis la fondation de Bénevent. Une députation, composée de Pierre de Saint-Sauveur et de Guillaume Vigier, consuls de la ville de Bénevent, se rendit à Sainte-Foy, et par le ministère de Egidius de Bayna, notaire du diocèse d'Agen, et en présence des témoins Grimoard Chassens, bayle de Sainte-Foy, pour le roi d'Angleterre, duc d'Aquitaine; de Guillaume Olivier, Réginald Garbauld et Helie Fabre, plus jeune, consuls de la ville de Sainte-Foy, fut dressé l'acte contenant les libertés et usages; dont on use à Sainte-Foy et ses dépendances, usages, qua

 

(1) Ou de Double, aujourd'hui paroisse de Saint-Laurent-des-Hommes.

(2) C'est la date que donne le titre des Archives départ. de Pau E. 698, 1.A./619: Actum et datum apud Benavent mensis septembris anno domini millesimo ducentesimo septuagesimo (1270).

 

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scripta non sunt in consuetudinibus dicti loci scriptis. Le comte éclairé sur ces usages leur donne autorité par son serment et ils seront suivis comme complément des coutumes locales de Bénevent (1).

Un peu plus tard, vers 1281, le comte de Périgord octroya à Montignac-le-Petit, aujourd'hui réuni à Monesteyrol (canton de Montpaon), des privilèges et franchises ; semblables à ceux des bastides, ils marquent la volonté du comte de fonder là une bastide (2).

 

Sans que l’on sache à quelle époque elle a été fondée, probablement vers 1285, on peut affirmer que le comte de Périgord fonda une bastide à Vergn ou Vergt (3); les reproches que le roi d'Angleterre fait à cette occasion dans le mémoire de 1310, ne laissent aucun doute sur ce point; au reste, nous possédons une copie des libertés et franchises accordées à Vergn (4).

Telles sont les principales bastides du Périgord, il nous reste à grouper quelques-uns des faits principaux de leur administration.

 

§ II. ADMINISTRATION DES BASTIDES.

 

Sans sortir des limites que nous nous sommes imposées, nous voudrions dans ce paragraphe déterminer les règles administratives qui présidèrent au fonctionnement des bastides. Ces règles furent identiques, quel que fût le fondateur, roi de France ou roi d’Angleterre.

Ces bastides, dotées toutes d'un consulat, voyaient leur administration municipale confiée à leurs consuls; mais à côté de ceux-ci, le fondateur de la bastide avait un bayle, pour la surveillance et la défense de ses droits; c'était un représentant,

 

(1) Le fonds Périgord à la Bibliothèque Nationale conserve une copie des coutu­mes de Bénevent, t. 52.

(2) Comp. Dessales, Hist. du Périgord, t. II, p. 46.

(3) Aujourd'hui chef-lieu de canton de l'arrondissement de Périgueux.

(4) Comp. fonds Périgord, B. N., t. LII, fol. 302 à 310.

 

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investi, comme nous le verrons plus tard, de pouvoirs très étendus, politiques, judiciaires, financiers et administratifs. Ces bayles étaient placés sous l'autorité des sénéchaux.

Cette organisation existait déjà sous Alfonse de Poitiers; elle fut maintenue par les rois d'Angleterre et pratiquée sous les rois de France.

Les Rôles Gascons et les documents diplomatiques de l'époque nous permettent de proclamer avec quel soin, quelle attention et quelle intelligence, les princes anglais assurèrent l'administration de leurs possessions. La fondation et le développement des bastides se trouvant dans leur territoire furent une de leurs préoccupations, n'étaient-ce pas pour eux des centres d'influence importants et des points stratégiques de premier ordre?

Les baylies étaient à la nomination des sénéchaux. Elles pouvaient être concédées par eux, au fonctionnaire de leur choix, à titre d'office et pour un temps déterminé (1), mais le mode de recrutement, ordinairement suivi, était la mise à ferme (2); et, si en principe chaque bayle ne devait gérer qu'une baylie, souvent nous rencontrons dans les mains du même bayle plusieurs circonscriptions: ainsi, en 1288, Bertrand de Panissal, qui avait été bayle de la bastide de Montpazier, en 1286 (3), obtenait à ferme, sous des conditions particulières, sur lesquelles nous reviendrons bientôt, les bastides de Lalinde et de Saint-Jean-de-Molières (4), et en 1284, Henri le Walois, citoyen de Londres, avait obtenu la ferme du castrum de Puyguilhem, avec les bastides de Fonroque, de Beaulieu et de ViIlefranche, dépendances de ce castrum; des bastides de Beaumont et d'une autre bastide, sa voisine, Saint-Jean-de-

 

(1) R. G., t. II, n° 967. Le roi recommande de confier à Guillaume Arnaud de Sescas les baylies du Beaumont et de Lalinde (11 mars 1286).

(2) R. G., t. II, n° 804, et 1720.

(3) R. G., t. II. n° 1616.

(4) R. G., t. II, n° 1720; avait-il encore à ce moment la baylie de Montpazier, comme le suppose L. Dessales, Histoire du Périgord, t. II, p. 37 ?

 

p. 357 (79)

 

Molières; de la bastide de Lalinde avec le commun de Clarens, de Bassac, de Saint-Avit Sénieur et des autres localités dépendantes de son territoire; et d'autres territoires étrangers à notre pays (1), et comme conséquence de cette dation à ferme, le Roi invite les chevaliers damoiseaux, consuls, prud'hommes, habitants et tenanciers de ces localités et bas­tides d'obéir à le Walois tanquam ballivo ipsorum sub senescallo Regis ducatus predicti et ejus locura tenente (2).

Mettre dans les mains d'un même fonctionnaire l'adminis­tration de domaines si étendus présentait de graves inconvénients; aussi pouvons-nous considérer ce cas comme tout à fait exceptionnel; la règle posée par Alfonse de Poitiers, qu'à chaque baylie devait être préposé un bayle spécial, était beaucoup plus sage, et c'est elle qui fut le plus souvent suivie. Les documents nous permettraient, pour certaines époques, de faire connaître les bayles de ces localités (3), mais les archives des bastides ont été si souvent détruites qu'il est impossible, même pour une localité, de tenter l’établissement d'une liste de ces fonctionnaires.

Les Rois d'Angleterre comme les Rois de France tirèrent des territoires dépendant des bastides des revenus d'une assez grande importance; presque tous ces revenus, suivant une pratique généralement suivie à cette époque, étaient mis à ferme; et le fermier, moyennant le paiement de la somme par lui promise, avait le droit de percevoir les revenus ou impôts affermés; ces revenus varièrent suivant les époques et par leur nombre et par leur quotité: ils se rattachent, les uns, au régime féodal, par exemple les redevances à suite de concessions de terrain (4); les autres à l'exercice de la justice, ce sont les droits

 

(1) R. G., t. II, n° 802.

(2) R. G, t. II, n° 804.

(3) Au début, à une époque indéterminée le représentant du Roi d'Angleterre fut Vitalis de Luyganh (R. G., t. II, n° 1643.) Rappro. les citations faites au cours de nos études.

(4) Comp. plus haut Villefranche de Périgord, p. 21.

 

p. 358 (80)

 

de Justice que percevaient les magistrats ou les droits de Greffe; les autres sont perçus, à titre d'amendes, à suite de délits ou de crime; d'autres enfin à l'occasion des marchés et foires et à l'occasion du transport des marchandises. Quelquefois le pouvoir municipal ordonnait la perception de taxes locales, en vue de la confection de travaux ou ouvrages d'utilité générale. Enfin le pouvoir central (bien que sur ce point son droit pût être contesté) ordonnait la perception de taxes perçues sur les habitants du pays et par feux, d’où le nom de Fouage pour cet impôt.

Dans l'état des documents, il serait absolument téméraire de prétendre faire connaître, pour nos bastides ou pour quelques-unes d'entr'elles, l'importance de l'ensemble ou de quelques-unes de ces redevances; cependant nous avons des documents, qui fournissent sur cette matière quelques renseignements:

Un document de l’année 1306 (1) relatif à un échange de territoire entre Philippe le Bel et le comte de Périgord (2) fixe les revenus de Beauregard à 59 livres, ceux de Lalinde à 872 liv. 10 sols, y compris la pêcherie et Longas, en monnaie chapetoise, monnaie de Bigorre, qui avait cours dans le Midi; la livre chapetoise valait 0,75 de la livre tournois.

 

Un autre document, qui nous a été conservé par Brequigny (3) et relatif aux revenus du roi d'Angleterre en France, donne pour la baylie de Beauregard 120 livres, 13 sols 4 deniers tournois;

Pour celle de Lalinde, 310 livres tournois;

Pour celle de Molières, 160 livres tournois;

Pour celle de Beaumont, 380 livres tournois;

Pour celle de Roquépine, 220 livres tournois;

Pour celle de Villefranche de Périgord, 150 livres tournois; (4)

 

(1) Arch. nat. Reg. du Trés. des ch. côté 38, p. 85.

(2) Voir plus haut à propos de Beauregard, p. 66.

(3) Collect. Brequigny. Bib. nat., t. XVI, et Guienne, t. IX.

(4) Du temps d'Alfonse de Poitiers on estimait son revenu à 200 livres tournois  (voir ci-dessus, p. 9).

 

p. 359 (81)

 

La pêcherie de Lalinde rapportait 59 livres 16 sols tournois, L'ensemble des revenus du roi d'Angleterre pour notre pays s'élevait, d'après M. Léon Dessales, en y ajoutant les greffes et les acaptes de ces mêmes baylies, le produit de quelques procès et autres petites recettes et le commun de la paix (1640 livres pour le duché) « à une somme totale de 3852 livres 16 sols 6 deniers tournois, somme minime en apparence, mais qui, en réalité, représentait de 30 à 40 mille francs de notre monnaie, sinon davantage (1) ».

> 

Enfin les comptes de Filongleye, trésorier du Prince Noir, et édités par M. Jules Delpit (2), nous apprennent que dans fouages de 1363-64, 1365, et 1366, nos bastides payèrent au roi d’Angleterre d’importants subsides.

 

 

 

1363-1364

1365

1366

N° 587

Bast. Sancti Ludovici

71 l.t.

41 l.t.

86 l.t.

N° 603

B. de Bello regardo

Nichil causa predicta quia datur.

N° 604

B. de Lyndia et de Lougwado

60 l.t

60 l.t.

96 l.t.

N° 606

B. de Moleris

9 l.t. 10 s.

9 l.t. 10 s.

9 l.t. 16 s.

N° 607

B. de Bellomonte

36 l.t.

39 l.t.

48 l.t.

N° 609

B. de Montis paserii

29 l.t. 18 s. 4 d.

30 l.t

50 l.t

N° 610

B. Villefranche

72 l.t

46 l.t 16 s.

60 l.t.

 

Tels sont les seuls documents de nature à fournir quelques renseignements sur la situation fiscale de nos bastides, et on voit combien ils sont insuffisants.

Le roi d’Angleterre surveillait, avec un soin jaloux, l’administration de nos bastides, encourageait tous les travaux d’utilité publique:

Ainsi pour Beaumont, en 1289, le roi Edouard Ier autorise les consuls à construire, au-dessus des bâtiments de la boucherie, une maison commune (3), et à Lalinde il ordonna la

 

(1) Léon Dessales, Histoire du Périgord, t. II, p. 67.

(2) Collection générale des documents français qui se trouvent en Angleterre, t. I, n° 192.

(3) R. G., t. II. n° 1710.

 

p. 360 (82)

construction de moulins et d'une pêcherie sur la Dordogne. Les Rôles Gascons nous fournissent sur ces travaux des renseignements intéressants.

Nous avons vu qu'en 1284, le roi d'Angleterre avait affermé les baylies des bastides de notre région à Henri le Wallois, citoyen de Londres. Cette ferme, faite avec des conditions si exceptionnelles, trouvait son explication, et dans la situation du bénéficiaire et par les grands services qu'il avait rendus à Edouard Ier (l); elle était faite pour une durée de dix années consécutives (2).

Il n'est pas bien sûr que cette forme ait été exécutée pendant toute sa durée; car, en 1289 (3), le Roi d'Angleterre, par l'intermédiaire de ses commissaires, maître Bonnet de Saint-Quentin et Itier d'Angoulême, accensa au chevalier Bertrand de Panissal, les baylies de la Linde et Saint-Jean-de-Molières, avec toutes leurs dépendances, de quelque condition et en quelles choses qu'elles consistassent, et avec tous les impôts qui pouvaient en provenir, tels ces revenus que les bayles de ces bastides les avaient établis et levés: la baylie de la Linde était accensée à partir de la précédente fête de la décollation de Saint-Jean-Baptiste (29 août), et pour trois années continues et entières, et la bastide de Molière, à partir de la fête passée de la Nativité de Saint-Jean-Baptiste, pour trois ans continus et entiers. Et, en retour de ces avantages, Bertrand de Panissal s'engageait à faire établir, à ses frais et complètement, une pêcherie en bois et pierre, avec tous les accessoires, pour le service du Roi d'Angleterre, entre les églises de la Linde et de

 

(1) Cet Henri le Wallois (Gallois, Galeys, Wallis, ou Walace), mentionné comme citoyen de Londres, avait été maire de Londres en 1274; maire de Bordeaux en 1275; en 1277 il fut de nouveau maire de Londres, et on le retrouve en cette même qualité eu 1298. Fort riche, il avait prêté des sommes importantes à Edouard Ier, et cette circonstance sert à expliquer la mise à ferme de nos bastides à son profit. (Comp. Jules Delpit, t. I, Paris 1847.) Collect. gén. des Documents français existant en Angleterre. Note 3, p. 70, introd. générale.

(2) R. G., t. II, nos 802, 803 et 804.

(3) R. G., t. II, n° 1720.

 

p. 361 (83)

 

Saint-Front; le travail devait être bon et établi suivant les règles de l'art, d’après l'examen et l'appréciation d'une Commission composée de deux maîtres des pêcheries de Limeuil, de deux maîtres pêcheurs de Castelnaud, et de deux autres maîtres pêcheurs, au choix des commissaires du Roi.

En outre, B. de Panissal s'obligeait à faire construire deux moulins à quatre roues, à l'instar et semblables aux moulins établis dans la pêcherie de Limeuil, suivant l'ordonnance des mêmes maîtres: tous ces travaux devaient être menés à bonne fin, dans les trois ans de la durée de ladite ferme. Ces mou­lins devaient être tournants et moulants, sans aucune dépense à la charge du Roi ou de ses représentants, et la pêcherie complètement disposée, en vue de la pêche.

Ainsi le Roi réalisait, en 1289 (1), un projet fait depuis longtemps et dont nous trouvons la mention, en 1279 (2); dans ce document le Roi demandait à son connétable de Bordeaux de faire établir à la Linde, sur le fleuve de la Dordogne, en un endroit qui paraîtrait convenable « Unam nassam seu paxeriam piscatoriam ad opus nostri ». Le Roi se proposait d'en tirer profit par voie de fermage, avec réserve d'imposer au concessionnaire certaines charges.

La pêcherie fut rapidement établie et, par un acte du 15 février 1290 (3), nous apprenons que le Roi Edouard avait concédé à son clerc bien aimé Etienne de Lafîtte (4), les jeudi ou vendredi de chaque semaine du Carême, sa vie durant, un saumon, deux aloses, deux lamproies, vivantes, à prélever parmi les meilleurs et plus gros poissons, pris ces mêmes jours, dans la pêcherie de la Linde, au rocher de Gortine (ou saut de la Gratusse), et, s'il arrivait que le jeudi ou le vendredi des

 

(1) La convention fut faite à Bordeaux, le 2 avril 1288, et approuvée par le Roi dans sa forme et teneur, à Beaulieu, le mardi après la fête de la Pentecôte de l’année du Seigneur 1289.

(2) R. G., t. II, n° 334.

(3) R. G., t. II, n° 1767.

(4) Il était collecteur des recettes en Agennais. Comp. n° 765, t. II, R. G.

 

p. 362 (84)

 

poissons de cette nature ne fussent pas pris dans la pêcherie, on les prélèverait sur les poissons de même nature, pris les jours suivants, de manière à atteindre le nombre afférent à chaque semaine. Le Roi prenait à sa charge le prix de ces poissons, qui devait être porté en déduction de la ferme de la pêcherie, au profit du tenancier.

La sollicitude royale s'exerçait sur tous les grands travaux d’utilité publique; ainsi, pour la Linde, à la supplication des consuls et de la population, et en vue de la construction d'un pont sur la Dordogne, travail d'intérêt général, et assurant les communications d'une rive à l'autre, le Roi ordonne que pendant dix ans les consuls fassent percevoir à la Linde, au passage de la rivière, un droit de transit, dont le montant sera affecté à la construction du pont. Un cavalier paiera, au passage, un denier bordelais; un piéton, une obole; toute bête chargée, avec son conducteur, trois oboles de la même monnaie (1).

Les bastides étaient des centres d'influence et des points stratégiques importants; placées sur les frontières, il fallait en assurer la sécurité contre les bandes de pillards et contre les ennemis; aussi la construction de fortifications tient-elle une grande place dans les préoccupations des autorités locales et du pouvoir. Pour Beaumont, dans une supplique au Roi, que nous a conservée la collection Brequigny, et que nous citons d'après le fonds Périgord (2), les consuls de Beaumont supplient le Roi d'assurer, par des fortifications, la sécurité de leur ville. « Item supplicant dicti consules quod cum villa Belli montis sit principium aliarum bastidarum dicti domini nostri Regis in

 

(1) R. G., t. II, n° 1726. Comp. Réfection du pont de Bergerac: R. G., t. II, n° 1702; Etablissement de moulins sur le Drot, n° 1183; Projet de régularisation de la navigation du Lot et canal dans le lit du Lot, n° 920, comb. 1121, etc.; Chaussée à Libourne et fortifications de cette ville, nos 448 et 460 (année 1281); Régularisation de la rivière l’Isle, n° 19.

(2) Ce document est écrit au dos d'un parchemin de l'an 18 du règne d'Edouard Ier (an 1290), mais se rapporte à l'année 1314.

 

p. 363

Petragoricinio et habitatores dicte ville nitantur facere bonam villam ad utilitatem et honorem dicti D. N. Regis affectando quam plurimum claudere dictam villam de muribus lapideis, si dicto domino Rege placeat aliquod juvamen ad claudendum dictam villam; ideo supplicant dicti consules Regiae Majestati ut sibi placeat aliquod juvamen facere ad claudendum de muribus dictam villam ita quod dicta villa de Bellomonte ad honorem et commodum dicti domini Regis possit honorifice claudi (Ecrit dans le titre une supplique en français de même teneur); à quoi le roi répond: « En droit de la closture soit mandé au sénéchal que il favorise du prouffit que le Roy pourra avoer que il ly certifie ».

Les consuls de Beaumont revinrent bientôt sur ce sujet, et sous Edouard II, le 28 avril 1320, ils supplient que leur ville, qui est à l'extrémité du duché d'Aquitaine, tout près des possessions françaises, pour sa propre sécurité et celle des paroisses voisines, soit entourée de murailles fortifiées avec portes et tours; le roi ordonne qu'il soit fait une enquête, et qu'on prenne à la suite les mesures nécessaires (1).

Les fortifications furent faites vers les premières années du XIVe siècle; elles serviront dans les guerres entre la France et l'Angleterre, pendant les guerres de religion; on peut juger de leur importance, par les quelques débris qu’il en reste de nos jours.

Pour Molière, les Rôles Gascons de cette même époque nous fournissent quelques renseignements sur les établissements dont les ruines avait frappé M. Audierne. Ces établissements remontent aux premières années du XIVe siècle. Sous Edouard II, Guillaume de Thoulouze, sénéchal du Périgord, avait fait des avances en vue de la construction du castrum de Molière. Le roi ordonne que le remboursement lui en sera fait (2).

 

(1) Rôles Gasc. des ann. 13 et 14 de Edouard II, à la date du 28 avril 1320. Coll. Brequigny) à la Bibl. Nat. (Fonds Périgord, t. XL)

(2) Rôles Gasc. Ed. II, 6 mai 1315 et 18 mai 1316, B. N. Collect. Brequigny.

 

p. 364 (86)

 

En 1316, on constate que, pour enfermer les malfaiteurs, une parva turris.... et dequa iidem prisones frequenter evadebant, était insuffisante en vue de cet objet, et que pour la sécurité du castrum et des localités adjacentes, il serait bon d'établir une grande tour, même avant l'achèvement des fortifications; c'est la grande tour, sans ouverture, qui existe encore.

En 1317, les travaux de clôture et fortification de la de Molière n'étaient pas terminés; le roi le constate, en en confiant la garde à Faydit de Montbreton « ... custodiam Castri novi de Moleriis quod nondum est perfectum » (1).

A quelque temps de là, après une enquête sur l'état des constructions et sur le rapport de son sénéchal de Gascogne (carrisimus consanguineus noster Gilbertus Peuh miles), le roi d’accord avec les consuls, décide qu’il y aurait lieu d’achever les fortifications.

En 1330, sur une demande de Géraud de Sainte-Sévère, trésorier de la sénéchaussée du Périgord, Quercy et Limouzin, le roi ordonne l'achèvement de la construction et la réfection à la Linde des moulins, dont le produit annuel était de plus de cent livres tournois de ferme ou rendement, et que les Fran­çais, maîtres de la Linde, avaient détruits.

Le trésorier avait saisi cette occasion pour se plaindre de l'insuffisance de son traitement, à quoi le roi répond : « Recipiat vadia, sicut solebat et si noluerit, dimittat officium » (2); réponse que souvent le pouvoir devrait méditer!

Nos documents nous fournissent quelques renseignements sur Villefranche de Périgord qu'on nous permettra de grouper; mais, en faisant remarquer qu'il peut y avoir quelque doute sur l'attribution des textes: car, en Périgord, et dans les territoires voisins, il y a plusieurs Villefranche: Villefranche de Queyran (3), Villefranche de Longchapt (4), Villefranche, dépen-

 

(1) Rôles Gasc., ann. 11 et 12. Ed. II. 3 déc 1317. Coll. Breq  (B. Nat.)

(2) Ex Bandellis in turre Lond. Ed. II ann. 14 (1320). (B N. Coll. Brequigny.)

(3) Lot-et-Garonne, arrondissement Nérac, canton de Castel-Jaloux.

(4) Arrondissement de Bergerac (Dordogne).

 

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dance de Puyguilhem (1) et Villefranche du Périgord (2); cependant si l’on remarque que les documents s'appliquant à Villefranche du Périgord, d'une façon certaine, par exemple n° 1390, t. II, R. G., la désignent sur le vocable Villa nostra de Villa Ffranca, Petragoricensis diocesis, sans autre mention, on la distinguera facilement de Villefranche de Queyran, qui appartient à l'arrondissement de Nérac et de Villefranche de Longchapt, désignée toujours « Villa franca juxta Podium normanni ». Comp. n° 801 et autres, R. G., t. II.  Sous le bénéfice de ces observations, nous groupons ici les faits relatifs à Villefranche du Périgord, mentionnés dans les Rôles Gascons (t. II).

Des documents (3), il résulte que la garde de la Bastide de Villefranche avait été confiée, en 1281, à Hugo de Mont-Ménard, bayle royal; son administration avait donné lieu à des plaintes; des indemnités étaient réclamées par les habitants pour abus d'autorité de sa part (en 1285); il fallait pourvoir la baillie d'un nouveau titulaire; le roi prend des dispositions en ce sens et place le bayle de Villefranche de Périgord, sous la direction du sénéchal de Gascogne (4).

Le n° 1797 nous apprend qu'en 1290 Fulco de Soriz, clerc, avait été créé greffier par concession royale, pour la partie du Quercy entre le Lot et la Dordogne et pour Villefranche in Petragoricensi, et il devait en percevoir les émoluments raisonnables quamdiu bene se gesserit et nostre placuerit voluntati (5).

Nous croyons aussi que le n° 1795 s'applique à Villefranche

 

(1) Voir plus haut page 64.

(2) Autrefois Villefranche de Belvès, arrondissement de Sarlat,

(3) R. G. t. II, nos 516 et 856.

(4) Il n'est pas douteux que le second de ces documents s'applique à Villefranche du Périgord, puisqu'on qualifie Villefranche Petragoricensis Diocesis (identification proposée par M Charles Bémont (t. II. R. G., p. 238): ce qui doit entraîner à l'identification pour 516 à la même localité; tandis que M. Bémont propose, pour celui-ci, Villefranche de Queyran; or, dans les deux titres, il paraît s'agir de la même affaire; la baillie de Hugo de Mont-Ménard.

(5) R. G. t. II, n° 1797.

 

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du Périgord et non à Villefranche de Longchapt (identification proposée par M. L. Bémont). Les motifs qui nous entraînent, c'est de voir la Villefranche, dont il s'agit, désignée de la manière suivante: Bastida, nostra de Villafranca sita in Petmgoricensi (forme suivie pour Villefranche du Périgord); nous ne croyons pas qu'il puisse s'agir de Villefranche de Longchapt, car toujours on désigne celle-ci sur la forme Villafranca juxta Podium normanni. Si notre texte ajoute prope castrum nostrum de Salvaterra, nous y verrions une allusion au château de Sauveterre la Lémance, dépendance anglaise à cette époque, et il n'y a rien d'extraordinaire que l’on place Villefranche du Périgord dans la circonscription financière de l'Agennais, Quercy, lectourois et auxitanie, puisque cette localité était rattachée à la sénéchaussée de Gascogne.

Enfin, des documents empruntés à la collection Brequigny (t. XVI) nous permettent de constater qu'en 1290, les habi­ants se plaignent d'abus d'autorité et d'empêchements au libre accès du marché de Villefranche, ils demandaient qu'on entourât leur ville de fortifications; le roi ordonne qu'on leur fasse justice; quant au subside à fins de fortification, il rappelle qu'il a engagé ces revenus à payer ses dettes en Gascogne, et que cela fait, il avisera (1).

En 1305, les habitants de Villefranche se plaignent de ne pouvoir porter, sans entraves, leurs marchandises au marché, bien qu'ils eussent payé les costumas debitas et consuetas (2).

Et le 3 avril de la même époque, le roi autorise les bourgeois de Villefranche de Périgord de transporter dans cette ville, pour y construire une chapelle, les matériaux d'une maison existant dans la forêt de Lespauty, forêt anglaise, voisine de Villefranche (3).

 

(1) Ce document écrit en latin et français a été inséré aux Documents inédits: lettres de Rois et Reines, par Champollion-Figeac, t. I, p. 380.

(2) 1er avril an 33 (1305). d'Edouard Ier. Coll. Brequigny, t. XVL (B. Nat.)

(3) Rôl. Gasc. an. 32 à 35. Edouard Ier, membr. 21.(R. N. Coll. Breq., t. XVI, et fonds Périgord, t. XL)

 

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En même temps que les fondateurs assuraient la construction de la bastide, ils y faisaient élever une église importante; les églises de Montpazier et de Beaumont, remarquables à plus d'un titre et déjà étudiées par de plus compétents que nous, remontent aux premières années qui suivirent la fondation des bastides; aujourd’hui encore, elles en forment le monument le plus important.

* * *

Dans ces agglomérations, composées d'éléments divers, face d'un pouvoir central, faible quelquefois et fort éloigné, un patriotisme local ombrageux se manifesta bientôt: on traitait en ennemis tous ceux qui ne relevaient pas du même territoire ou du même maître; la force formait alors le droit: de là ces déprédations dont les populations des bastides, sous la conduite de leurs magistrats, se rendirent coupables, et contre lesquelles les victimes se plaignaient auprès des fondateurs (1); de là ces expéditions, véritables faits de guerres qu'elles entreprenaient les unes contre les autres; Sully, dans ses mémoires, nous a conservé le souvenir de l'une d'elles, entreprise par Montpazier contre Villefranche de Périgord (2).

Mais dans toutes se développait et se manifestait un grand attachement à la localité; on s'intéressait à sa prospérité, à la gestion de ses intérêts; on la défendait énergiquement, si elle était attaquée; on le vit bien pendant la guerre avec les anglais, comme pendant les guerres de religion.

terri-

Ces localités, prises dans leur ensemble, formaient un territoire bien différent des autres localités de France: là on trouvait une même organisation municipale, une même loi, une même mesure et un même poids. Si le pouvoir central l'eût voulu, quels éléments de reconstitution du pays il eût trouvé là; il ne fit rien pour ces cités, il combattit leurs tendances, contesta leurs privilèges; exagéra les droits de surveillance et la prépondérance de l'Etat; ainsi s'éteignit

eût

 

(1) Corresp. admi. d’Alfonse de Poitiers (Docum. inéd.), n° 1580 et n° 1889

(2) Économies royales, politiques et militaires de Maxi. de Béthune, p. 27 , éd. orig.

 

p. 368 (90)

 

en France ce régime municipal, si original et si prospère à des débuts, et qui eût pu être une grande force pour la France.

 

CHAPITRE II

CHARTES ET PRIVILEGES DES BASTIDES

 

En étudiant les chartes des bastides d’une même région, on s'aperçoit bien vite que ces établissements sont soumis à un régime identique, que ces chartes, sauf des modifications sans importance, présentent la même forme et teneur, et qu'on les retrouve, souvent assez loin de leur pays d’origine, partout où les bastides ont été établies.

Il se produit donc pour ce type d'organisation, comme on l'a constaté pour les établissements de Rouen (1), pour la charte de Lorris (2), pour la charte de Beaumont (3), un fait d'expansion très remarquable; et par là se vérifie la bonne organisation donnée à ces bastides, puisque tant de villes sollicitaient et obtenaient d'être placées sous ce régime.

Mais a qui revient l'honneur d'avoir trouvé la formule qu'acceptèrent les chancelleries anglaises et françaises, et qui, ratifiée par les rois de France, resta jusqu'à la Révolution française le fond de l’organisation d’un si grand nombre de cités?

L’examen des chartes de bastides permet d’affirmer ces deux points

1° Qu'à Alfonse de Poitiers revient l’honneur d’avoir, le premier, trouvé la formule d’organisation des bastides du Sud-Ouest; les fondateurs des bastides, dans la suite, rois de

 

(1) Giry, Etablissements de Rouen.

(2) Les Coutumes de Lorris et leur propagation aux XIIe et XIIIe siècles, par M. Maurice Prou, Nouvelle revue historique de Droit français et étranger, 1884.

(3) Bonvalot. Le Tiers-Etat d'après la charte de Beaumont et ses filiales, Paris, 1884,

 

p. 369 (91)

France et rois d'Angleterre, ou seigneurs locaux, n'ont fait que copier l'organisation donnée par Alfonse de Poitiers;

2° Que les principes généraux de ces chartes se retrouvent déjà, avec quelques variétés, dans les formules, dans les chartes de communes, dans les fondations de villes libres, Sauvetés, Hostises, etc., à partir du XIe siècle. C'est donc un grand mouvement d'émancipation sociale ininterrompu qui se montre à nous; et l’organisation des bastides n’a été qu’un des anneaux de cette longue chaîne d’efforts et de mesures par lesquels la population française, en réaction contre les abus de la féodalité, a obtenu une liberté civile complète et conquis progressivement la direction politique du pays.

Alfonse de Poitiers, comte de Poitiers, et, par sa femme, devenu comte de Toulouse, fut un des princes les plus soigneux de l'administration de ses domaines. Il comprit bientôt, comme le relate un de ses historiens, la nécessité de fixer, par des chartes formelles, les coutumes locales, soit en confirmant les usages anciens, soit en innovant sur certains points: en 1249, le comte reçut de plusieurs villes des subsides pour la croisade, à charge de leur concéder des privilèges, et, en exécution de ces engagements, et à la demande des intéressés, en 1249, il accorda à Riom et à Pont-du-Château les usus consuetudines et franchisie de Sancto Petro monasterii (1).

Mais bientôt ce prince comprit qu'il y avait « quelque inconvénient à donner à une province des lois faites pour une province voisine soumise à un autre maître... (2) »; aussi, voulut-il donner à chaque région de ces Etats des chartes en rapport avec les besoins et les usages du pays, et ces coutumes formulées d'abord pour une localité particulière acceptées par de nombreuses cités: ainsi, il en fut pour l'Auvergne, pour l’Agennais, le Quercy; nous trouvons là une législation type, qui jouit d'une grande notoriété et s'étendit à un très grand nombre de cites.

 

(1) Orig. T. des chartes J. 190, n° 93 pour Riom et n° 91 pour Pont-du-Château.

(2) Edgard Boutaric, Saint Louis et Alfonse de Poitiers, p. 506.

 

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Alfonse, à la prière des habitants de Riom, fit rédiger une nouvelle charte de Privilèges. Cette charte qu’il octroya en 1210 est célèbre, sous le nom d'Alfonsine. Elle fut étendue aux autres communautés de l'Auvergne, qui payèrent pour l’obtenir et devint comme le Code du droit public de cette province pendant tout le moyen âge (1). »

S'il fallait en croire Boutaric, Alphonse aurait fait établir pour chaque province une charte de coutumes type, qu'il aurait donnée aux bastides par lui fondées et on pourrait considérer comme un des types des privilèges concédés aux bastides languedociennes par Alfonse la charte accordée au mois de mai 1270 à Castel-Sagrat (2), charte qui se serait étendue à la plupart des localités du Quercy, du Languedoc et de l'Agennais.

Qu'Alfonse de Poitiers ait formulé pour les diverses régions de ses Etats des chartes qui ont servi de modèles pour d'autres localités, c'est un point admis par tous; mais nous ne voyons pas dans la charte de Castel-Sagrat une de ces chartes type, puisque ses formules et teneur se rencontrent dans des chartes plus anciennes émanées d'Alfonse de Poitiers, comme nous l'établirons bientôt.

Un autre historien de nos coutumes méridionales, M. Edmond Cabié, a écrit, dans la préface de son opuscule Chartes de coutumes inédites de la Gascogne Toulousaine (3), page 11, note 1: « On connaît deux ou trois formulaires différents que ce même Comte (Alfonse) et après lui ses successeurs ou

 

(1) Elle a été reproduite au recueil des ordonnances des rois de France, t. XI, page 495. Ces privilèges avaient été donnés en 1270 à Aymargue près d'Aigues-Mortes peu de jours avant le départ d'Alfonse pour Tunis. — Le texte du recueil des ordonnances du Louvre, d'après E. Boutaric, serait très défectueux. (Voir E. Boutaric. Saint Louis et Alfonse de Poitiers, page 508, note 1. Comp. Warakoenig et L. Stein, Franzosische Staats und Rechts Geschichte, tome I, preuves p. 40.)

(2) Reg. C, fol, 70, et collection Doat, t. LXXIV, p. 300-2 et suiv.

(3) Paris et Auch, 1884: Archives historiques de la Gascogne, fasc V.

 

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des seigneurs particuliers répandirent dans le haut Languedoc et dans les régions voisines de la Guyenne et de la Gascogne. »

L'un de ces types serait les coutumes de Najac et de Villefranche de Rouergue, 1255 et 1256.

Un autre formulaire, le même que le premier augmente de quelques articles initiaux remontant probablement à Alfonse, aurait servi de modèle à un grand nombre de coutumes...

Un troisième type, tout en reproduisant les mêmes termes que le précédent, fait quelques interversions dans l’ordre des matières: ce serait celui de Castel-Sagrat, que l’on rencon­trerait dans de nombreuses localités.

Nous ne pouvons accepter absolument cette manière de présenter les choses: nous croyons avec M, Cabié que les coutumes de Najac, Villefranche de Rouergue, et Villefranche de Périgord (1261) que nous ajoutons, forment un type parti­culier qui n'a jamais eu une grande extension, bien qu'on le retrouve dans quelques autres cités.

Mais nous pensons que le type fondamental, pour nos régions, se trouve dans les coutumes de Monclar et de Montflanquin: cette charte a eu une vogue absolue, on la retrouve dans l’Agennais, le Périgord et jusqu'aux Pyrénées; cette charte aurait donc joué pour nos pays le rôle de l'Alfonsine pour l'Auvergne.

Elle est différente en quelques points de la charte de Castel-Sagrat, qui a été acceptée par quelques localités.

Alfonse de Poitiers, comme nous l'avons rappelé plus haut, suivant les traditions des comtes de Toulouse, avait décidé pour ses Etats, surtout à leurs frontières, la fondation de nom­breuses bastides. Mais à l'occasion de chacune d'elles, des réclamations très vives se faisaient jour, et pour l’Agenais notamment les enquêteurs envoyés par Alfonse dans cette province examinèrent les plaintes des populations ou des seigneurs et il fut fait un règlement spécial fixant les principes

 

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suivant lesquels ces fondations devaient être faites; ces règle­ments furent respectés par le comte Alfonse, par ses agents et représentants (1). A partir de ce moment, les fondations des bastides se poursuivirent sans interruption en divers points; nous ferons connaître la date et le lieu de ces fondations, en marquant, exactement les chartes des coutumes, qui leur furent octroyées, les ressemblances et les différences qu'on peut signaler entr'elles.

Les bastides, dans lesquelles se rencontre la formule type, qui sera suivie, avec plus ou moins d'exactitude, par Alfonse, et dans la suite par les rois d'Angleterre et par les rois de France et par les seigneurs particuliers, sont les bastides agenaises de Monclar et de Montflanquin. Ces coutumes furent accordées en juin 1256 par le comte Alfonse (2) et approuvées de nouveau en 1270.

Des coutumes identiques furent accordées en 1256 à Sainte-Foy-la-Grande, sur la Dordogne (aujourd'hui chef-lieu de can­ton de l'arrondissement de Libourne, Gironde), située dans l'ancien diocèse d'Agen (3).

L'expansion de ces coutumes a été très remarquable, les rois d'Angleterre, les rois de France, les grands seigneurs fonda­teurs de bastides ou villes neuves, les ont acceptées et concé­dées, comme chartes, aux villes par eux fondées.

Pour le roi d'Angleterre, nous pouvons citer, en Quercy, Valence d'Agen (4) (Tarn-et-Garonne, arrondissement de Moissac);

 

(1) K. Ordonnances des enquêteurs envoyés par Alfonse dans le Quercy et l'Agenais en 1252 (Bib. Nat. Baluze Armoire 394, n° 694) et Histoire du Lan­guedoc édit. Privat, t VII, p. 419, où, n° 6 b, se trouve rapporté le règlement sur les fondations des bastides faites par les représentants du pays.

(2) Pour Monclar les lettres sont du mois de juin 1256 (Archives nationales, JJ. 24 B, f° 56 r°); et pour Montflanquin (Arch. Nat., JJ. 24 B, f° 57 v°); dans les mêmes termes, confirmation de ces lettres fut accordée par Alfonse en 1270 (Coll. Doat, t. XCIV, p. 296 pour Monclar, et p. 215 pour Montflanquin).

Ces coutumes ont été publiées par M. H. Emile Rebouis dans la Nouvelle Revue historique du droit français et étranger, année 1890, p. 402 et suiv.

(3) Archiv. Nat., JJ., 24 B. f° 51 (r°),

(4) Rôles Gascons, t. II, n° 748 (28 décembre 1283), et Rymer, 1er vol, p. 226 et 227, et Acta publica, t. II, p. 260, édit. de Londres (1724), et E Rebouis, Bulletin de la Soc. de Tarn-et-Garonne, t. XIV, p. 199 (année 1886).

 

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en Périgord, Villefranche de Périgord (1), Lalinde (2), Beaumont (3), Molières (4), Montpazier (5), Beauregard (6); et en Agenais, Villeréal (7), Saint-Pastours (8), Castel-Amouroux (9), pour ne citer que les principales.

 

(1) Villefranche-de-Périgord, à sa fondation, obtint d'Alfonse de Poitiers, en 1261, des privilèges; ils reproduisent les principes fondamentaux des coutumes types, mais en diffèrent par la forme et la disposition des matières (Bib. Nat., fonds français, n° 11646). En 1357, confirmation par le roi de France de ses coutumes perdues (O.R.F., t. III, p. 201 et suiv.): celles-ci ressemblent complètement (sauf variantes insignifiantes) à la charte type de Montflanquin et Monclar; la charte primitive lui avait-elle été concédée par Alfonse de Poitiers, ou par les rois d'Angleletre, et à quelle époque, nous ne le savons pas.

(2) Ces coutumes furent accordées à la bastide de Lalinde: 1° par le prince Edouard, le 26 juin de la 51e année du règne de Henri III (1267); et par Edouard Ier, le 27 novembre 1286: elles ont été à diverses reprises confirmées par les rois de France et notamment par Louis XIII à Paris, en juillet 1611. Les copies originales sont aux Archives de la Préfecture de la Dordogne, elles ont été publiées par M, Goustat dans le Bulletin de la Société hist. et archéol. du Péri­gord, t. X, p. 88 et suiv.

(3) Fondation en 1272; obtient des coutumes en 1277 d'Edouard Ier, la 5e année de son règne, et confirmées par les rois de France, par Louis XI en 1461 (Or. R. de France, t. XV, p. 445).

(4) Fondation en 1272; concession de coutumes en 1285, publiées dans le Bul­letin de la Société hist. et archéol. du Périgord, t. IV, p. 415, par M. le comte de Cumond.

(5) Montpazier, fondée en 1274, avait des coutumes analogues aux autres bastides du Périgord. Comp. Dessales, Histoire du Périgord, t. II, p. 29.

(6) Beauregard, fondée par Edouard Ier, a obtenu une charte de coutumes en 1286, publiée par la Société histor. et archéol. du Périgord, t. III, et une tra­duction du XVIIe siècle a été donnée en 1892 dans le Bulletin héraldique de France: le fonds Périgord à la Bibliothèque Nationale, t. LI, contient une copie de ces coutumes.

(7) Villeréal, chef-lieu de canton de l'arrondissement de Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne), bastide fondée par Alfonse de Poitiers, lui doit probablement ses coutumes qui furent confirmées par les rois d'Angleterre, conformes à celles de Monclar et Montflanquin), Rôles Gascons, t. II, p. 351: 1er mai 1289, n° 1108, à la fin du titre: Alfonsus quondam C. P. fecit istam bastidam.

(8) Saint-Pastours (Lot-et-Garonne, arrondissement de Villeneuve-sur-Lot, canton de Monclar), 7 avril 1289. Rôles Gascons, t. II, n° 1297, et E. Rebouis, Revue Historique de Droit français et étranger, 1888, d'après la copie de Brequigny.

(9) Castel-Amouroux (Lot-et-Garonne), coutumes du 22 décembre 1287, publiées par E. Rebouis dans la Revue Historique de Droit français et étranger, année 1888.

 

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Les rois de France ratifièrent, sans les modifier le plus souvent, les coutumes que les villes tenaient, soit d'Alfonse de Poitiers, soit des rois d'Angleterre, et à leur tour, à la fondation de villes nouvelles ou bastides, ils concédèrent des coutumes analogues et souvent identiques: tant la formule en était heureuse et répondait aux désirs et aux besoins des populations (1).

Les grands du royaume, dans les fondations de villes neuves, agiront de même et empruntèrent souvent ces coutumes pour les nouvelles cités. Au milieu d'un très grand nombre d'exemples je cite, en Agenais, Castillonnès, chef-lieu de canton très important du Lot-et-Garonne (2), Saint-Sardos, fondé par le couvent de Sarlat (3), et en Périgord, les bastides de Bénevent (4), de

 

(1) Nous citons, sans avoir la prétention d'être complet, la bastide de Monchabrier ou Moncrabier dans le territoire de Pestilhac, en Quercy (avril 1307), O.R.F. XII, p. 362; la bastide de Charroux en Périgord (mars 1308, O.R.F, t. XI, p. 404), qui fut plus tard appelée bastide de Saint-Louis en Périgord (O.R.F. XII, p. 496). Les habitants de cette localité sollicitaient des coutumes, ils produisirent les coutumes de Villeréal, Dome et de Alnayo (Saint-Aulaye) et les coutumes qu'on leur donne, en conformité avec leurs productions, reproduisent les coutumes acceptées dans toutes les bastides de notre région. La bastide de Gardomont (Réalville, janvier 1310, O.R.F., t. XII, p. 383 et 568, etc.)

(2) Sur Castillonnès voir Notice historique sur la ville de Castillonnès, par J.-J Oscar Bouissy (Villeneuve-sur-Lot, impr. X. Dutin, 1875). Cette bastide fut fondée en 1259, à suite d'un abandon fait par Elie, abbé de Cadouin, et Bertrand et Arnaud de Mons, seigneurs du territoire, au profit de Guillaume de Bagnols, sénéchal d'Agenais et du Quercy, pour le comte Alfonse, à charge d'y bâtir une ville nouvelle. En 1266, le comte Alfonse accorda une charte des coutumes et franchises « Cet important document fut détruit lors de la prise et de l'incendie de la ville par les Anglais, en 1346; nous n'en possédons qu'un extrait que nous allons faire connaître ». Archives de l'Hôtel-de-Ville (loc. cit. p 28), d'après l'analyse donnée les coutumes devaient se rapprocher de celles de Montflanquin.

(3) Comp. L. Dessales, t. II, p. 157, et olim, t. III, p. 2, p. 1299. Saint-Sardos fut fondée en 1317, elle fut dotée des mêmes privilèges que les autres bastides.

(4) La charte de Bénevent accordée par le comte de Périgord, Archambaud, à la bastide de Bénevent, située dans la commune de Saint-Laurent-de-Pradoux ou de Double (aujourd'hui Saint-Laurent-des-Hommes) au diocèse de Périgueux, en 1270, est la reproduction de la charte de Sainte-Foy-la-Grande; elle fut complètée, en 1309, par Hélye Talayrand, comte de Périgord, par les usages non écrits suivis à Sainte-Foy, et pour se rendre compte de leur teneur, le comte de Périgord et les consuls de Bénevent envoyèrent une députation à Sainte-Foy. Ces renseignements nous sont fournis par un manuscrit conservé aux Archives départementales des Basses-Pyrénées E698 I.A./619. Ainsi se trouve comblée une lacune de nos historiens locaux. Comp. L. Dessales, Histoire du Périgord, t. II, p. 46. Le Fonds Périgord (Bib. Nat.) contient une copie des coutumes de Bénevent.

 

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Montignac-le-Petit (1), de Verng (2), fondées par les comtes du Périgord.

Toutes les bastides mentionnées jusqu'ici sont dotées de coutumes identiques sauf quelques variantes sans importance, et pour elles nous trouvons en vigueur la charte type du comte Alfonse.

Mais nous savons qu'il y avait d'autres formulaires provenant du même prince, et qui ont été copiés ou imités pour d'autres villes.

L'un de ces formulaires se retrouve dans la charte de Castel Sacrat en Quercy: celle-ci aurait été donnée à cette localité en mai 1270 d'après la copie de Doat, t. LXXIV, p. 300-2, mais peut-être que sa formule est antérieure à cette date, car on la retrouve à Villeneuve-sur-Lot, et elle lui aurait été donnée en juin 1260 (3); quoi qu'il en soit, cette charte a une assez grande importance: elle fut donnée à Eymet (Dordogne) en juin 1270 par le comte Alfonse (4) et servit à d'autres localités, notamment

 

 (1) « Archambaud III, en 1281, octroya des privilèges et franchises à Montignac-le-Petit, aujourd'hui réuni à Monesteyrol (commune et canton de Montpont). Ces privilèges et franchises, semblables à ceux des bastides, prouvent qu'il voulait fonder une bastide à Montignac » L. Dessales, H. du Périgord, t. II, p. 46.

(2) Nous avons vu plus haut (pag. 77) à propos des plaintes du roi d'Angleterre contre le comte de Périgord, que celui-ci avait fondé une bastide à Vern ou Vergt, probablement vers 1285, suivant les privilèges qui lui furent accordés. Comp. Fonds Périgord (Bib. Nat.), t. LII, privilèges de Vern, fol. 302 à 310.

 (3) Comp. Annales de Villeneuve-sur-Lot... par Auguste Cassany-Mazet (Agen, 1846) page 284, 3e acte des pièces justificatives.

(4) Coll. Doat, t. LXXIV, p. 334 et suiv.

 

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à Lunas, près Montpezat (Lot-eL-Garonne) (1); on la rencontre en 1271 à la Sauvetat-de-Gaure; en 1279 à Fonsorbes (2).

Enfin un autre formulaire de coutumes, qui se rapproche plus ou moins de l'Alfonsine (coutume type d'Auvergne) se rencontre dans les coutumes de Najac (1255), de Villefranche de Rouergue (1250) (O.R.F. t. XII, p. 480). Il fut accepté pour Augeville (1270) et pour Fajolles en 1276.

Et ce même type quelque peu modifié, mais pas d'une manière essentielle, fut suivi à Gimont en 1274, à Beaumont de Lomagne en 1279, à Grenade en 1291.

« Il est inséré sans changement dans la coutume de Montfort (1275), de Saint-Martin de Viagne (1278), de Mirande (Gers, 1288), de Villefranche d'Astarac (1293) ». (S. Cabié loco citato.) On le retrouve, avec quelques légères modifications à Marciac (Gers) (1298). O.R.F. t. XII, p. 341; à Tournay (Hautes-Pyrénées), janvier 1307 (O.R.F., t. XII, p. 368); à Peyrouse, près Lourdes (Hautes-Pyrénées), décembre 1308 (O.R.F. t. XII, p. 376); à Solomiac en 1327 (O.R.F., t. XII, p. 500); à Trie (Hautes-Pyrénées), septembre 1325 (O.R.F., t.XII, p. 487); à Rabastens, Saint-Martin-de-Bigorre, avril 1327 (O.R.F., t. XII, p. 504); à Cros en Bigorre (O.R.F., t. XII, p. 514).

Pour que le lecteur puisse se rendre compte des analogies et des différences qui séparent ces diverses coutumes, nous allons reproduire sur trois colonnes juxtaposées, trois des types de coutumes remontant à Alfonse de Poitiers, celui de Monflanquin, celui de Castel Sacrat et l'Alfonsine. Ainsi on se rendra compte du caractère commun de ces documents, et en même temps des particularités que l'on rencontre dans chacun et dans leurs dérivés.

 

(1) Par Philippe le Bel (juillet 1312) O.R.F., t. XII, p. 397.

(2) Comp. S Cabié, Chartes de cout. inédites de la Gascogne Toulousaine, p. 11, note 6.

 

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I. CHARTES DE MONCLAR ET DE MONFLANQUIN (A. Nat., JJ, 24 B, f° 56 et f° 57).

II. CHARTE  DE  CASTEL-SACRAT (Arch. nat. reg. C, JJ, 24B, f° 70).

III. CHARTE DE RIOM dite l'Alfonsine (O.R.F., t. XI, p. 495. Comp. autres cout, de Riom: Layettes du Trés. des ch., t. III, n° 3756 et note finale).

ARTICLE PREMIER (1). Quod per nos, vel successores nostros non fiat in dicta villa, questa, tallia, vel albergata, nec recipiemus ibi mutuum, nisi nobis gratis mutuare voluerint habitantes.

ARTICLE PREMIER. Quod per nos vel successores nostros non fiat in dicta villa tallia, sive questa, vel albergata, nec recipiemus in mutuum nisi gratis nobis mutuare voluerint habitantes.

ARTICLE PREMIER. Quod per nos vel successores nostros non fiat in dicta villa tallia sive quaesta, vel albergata, nec recipiemus ibidem mutuum, nisi gratis nobis mutuare voluerint habitantes in eadem villa.

ART. 2. Item, quod habitantes dicte ville et in posterum habitaturi possint vendere, dare, alienare omnia bona sua, mobilia et immobiha cui voluerint, excepto quod immobilia non possint alienare ecclesie, religiosis personis, militibus, nisi salvo jure dominorum quorum res in feodum tenebuntur.

ART. 2. Item quod habitantes dicte ville vel imposterum habitaturi possint vendere, dare et alienare omnia sua bona mobilia vel immobilia cui voluerint, ita tamen quod si immobilia alienaverint ecclesiae, religiosis personis, vel militibus propter hoc fiat nullum praejudicium nobis vel aliis dominis a quibus res tenebuntur, maxime in hoc cum possint compelli, sic alienata extra manum ponere infra annum.

ART. 2. Quod habitantes in eadem et in posterum habitaturi, possint vendere, dare et alienare omnia bona sua mobilia et immobilia, cui voluerint; ita tamen quod si immobilia alienaverint ecclesiae religiosis personis vel militibus, per hoc nullum fiat praejudicium nobis vel aliis dominis a quibus res tenebuntur, maxime in hoc quin possint compelli sic alienata extra manum ponere infra annum.

ART. 3. Item quod habitantes dicte ville possint filias suas libere et ubi voluerint maritare et filios suos ad clericatus ordinem facere promoveri.

ART. 3. Item quod habitantes dictae villae possint filias suas libere et ubi voluerint maritare et liberos suos ad clericatus ordinem facere promoveri.

 

 

ART. 4. Item quod nemoribus et lapidicinis ad aedificandum et fontibus in proprietate seu dominio nostro constitutis quae ad manum nostram immediate tenemus, quam cum ad nos pertinet, liceat eis uti.

 

 

(1) La division en articles des trois documents ne se trouve pas dans les manuscrits.

 

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ART. 4. Item, quod nos vel ballivus noster non capiemus aliquem habitantem dicte ville, vel vim inferemus, vel saiziemus bona sua, dum tamen velit et fidejubeat stare juri, nisi pro murtro vel morte hominis, vel plaga mortifera, vel alio crimine quo corpus suum vel bona sua a nobis debeant esse incursa.

ART. 5. Item quod nos vel baillivus noster non capiemus aliquem habitantem seu habitatorem dictae villae, vel vim inferemus, vel saisiemus bona sua, dum tamen sufficienter et idonae caveat stare juri, nisi pro murtro vel pro morte hominis, vel plaga mortifera vel alio crimine vel probabili suspicione criminis pro quo corpus suum vel bona sua de jure vel consuetudine commiti confidejussoribus non debeant, vel aliis casibus in quibus de jure esset vel consuetudine patriae faciendum, vel pro delicto quod contra nos,senescallum nostrum, vel servientes nostros ad gagia nostra, vel familiam nostram fuerit perpetratum.

ART 3. Item, nos vel noster bajulus non capiemus aliquem habitatorem dictae villae, vel vim inferemus, vel saisiemus bona sua, dum tamen sufficienter caveat per bona sua mobilia vel immobiha stare juri, nisi pro murtro vel morte hominis, vel plaga mortifera, vel mutilatione membri, vel alia commum vel probabili suspicione criminis, pro quo corpus suum vel bona sua de jure vel consuetudine fidejussoribus committi non debeant, vel in aliis casibus in quibus esset de jure vel consuetudine faciendum vel pro delicto quod contra nos, conestabulum nostrum vel servientes nostros ad gagia nostra, seu in familiam nostram fuerit perpetratum.

ART. 5. Item, quod ad querimoniam seu clamorem alterius non mandabit vel citabit senescallus noster vel baillivi sui, nisi pro facto nostro proprio vel querela aliquem habitantem in dicta villa, extra honorem dicti castri, super hiis que facta fuerint et in dicta villa et in pertinentiis et in honore dicti castri et super possessionibus dicte ville et honore ejusdem.

ART. 6. Item quod ad quaestionem vel clamorem alterius non mandabit vel citabit senescallus noster vel baillivi sui, nisi pro facto nostro negotio vel querela vel servientum nostrorum aut familiarum, aliquem habitantem in dicta villa, extra honorem dictae villae super his quae facta fuerint in dicta villa et in pertinentiis et honore dictae villae vel super possessionibus ejusdem, nisi forte senescallus noster ita esset impeditus, quod ad dictam villam commode accedere non posset, et tunc ad senescalli citationem ad assisias quae erunt in loco propriuquiori dictae villae vel ejus territorio venire et stare juri tenebuntur.

ART. 4. Quod ad quaestionem vel ad clamorem alterius non mandabit vel estabit connestabulus noster Alverniae vel bajuli sui, nisi pro facto nostro negotio vel querela, vel servientum nostrorum vel familiae, aliquem habitantem in dicta villa, extra fines vel honorem dictae villae, super his quae facta fuerint in dicta villa in pertinentiis et honore dictae villae, vel super possessionibus ejusdem, nisi forte connestabulus noster adeo esset impeditus, quod ad dictam villam commode accedere non posset, et tunc ad connestabuli citationem ad assisias quae erunt in loco proprinquiori dictae villae, ejus territorio venire tenebuntur, et juri stare.

ART. 6. Item, si quis habitans in eadem villa moriatur sine testamento, nec habeat liberos nec compareant alii heredes qui sibi debeant succedere, ballivus noster et consules dicte ville bona defuncti descripta tamen commendabunt duobis probis hominibus dictae villae ad custodiendum fideliter per unam annum

ART. 7. Item, si quis habitans in dicta villa moriatur intestatus, vel alias rationabiliter non disposuerit de bonis suis in sua ultima voluntate, nec habeat liberos, nec appareant alii haeredes, qui sibi debeant succederet baillivus noster et consules dictae villae bona defuncti descripta tam commendabunt duobus

ART. 5. Item, si quis habitans in dicta villa moriatur intestatus, vel alias rationabiliter non disposuerit de bonis suis in ultima sua voluntate, nec habeat liberos, nec appareant heredes, qui sibi debeant succedere, Bajulus noster et consules dictae villae de Riomo, bona defuncti scripta commendabunt duobus homi-

 

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et diem et si infra eumdem terminum appareat heres qui debeat succedere omnia bona predicta debent integraliter sibi reddi.

probis hominibus dictae villae ad custodiendum fideliter per unum annum et diem, et si infra terminum eumdem appareat haeres qui sibi debeat succedere omnia bona dicta debeant integraliter sibi reddi, cum fructibus medii temporis.

nibus probis dictae villae, ad custodiendum fideliter per unum annum et diem; et si infra eumdem terminum appareat heres, et qui sibi debeat succedere, omnia bona praedicta debent integraliter sibi reddi cum fructibus medii temporis.

Alioquin bona mobilia nobis tradentur, et etiam immobilia quae a nobis in feodum tenebuntur ad faciendam omni modam voluntatem et alia immobilia quae ab aliis dominis in feodum tenebuntur, ipsis dominis tradentur ad faciendam voluntatem suam, solutis tamen debitis dicti defuncti secundum usus et consuetudines Agenensis, si clara sint debita, non expectato fine anni.

Alioquin mobilia et immobilia quaeque a nobis in feudum vel censivam vel alio quocumque modo tenebuntur nobis tradentur salvo jure veri haeredis, si in posterum appareat, et salvo jure dominorum a quibus aliqua bona immobilia tenebuntur, si de jure vel consuetudine patriae jus aliquod habuerint in eisdem, debita vero de quibus legitime constare poterit, de bonis ipsius defuncti solvantur tam a nobis quam ab aliis, ad quos bona ipsius defuncti pervenerint pro rata bonorum, quae pervenerit ad quemcumque.

Alioquin bona mobilia et immobilia quae a nobis in feudum vel censivam, vel alio quocumque modo tenebuntur, nobis tradentur salvo jure veri heredis si in posterum appareat, salvo jure Dominorum a quibus aliqua bona immobilia tenebuntur, si de jure vel de consuetudine patriae jus aliquod habuerint ineisdem. Debita vero de quibus legitime constare poterit, de bonis ipsius defuncti solvantur tam a nobis, quam ab aliis ad quos bona ipsius defuncti pervenerunt pro rata quae pervenerit ad quemcumque.

(Il y a ici une transposition de matière.)

ART. 7. Item, testamenta facta ab habitatoribus dicte ville in presencia testium fide dignorum valeant, licet non sint facta secundum sollempnitatem legum, dum tamen liberi non fraudentur sua legitima portione, convocato ad hoc capellano loci vel alia ecclesiastica persona, si commode posset vocari.

ART. 8. Item testamenta facta ab habitatoribus dictae villae in praesencia testium fide dignorum valeant, dum tamen liberi aut domini aut alii, sine causa jure suo aut portione debita non priventur.

ART. 7. Item testamenta facta ab habitatoribus dictae villae in praesentia testium fide dignorum valeant dum tamen liberi et Domini aut alii, sine causa jure suo aut portione debita non priventur.

ART. 8. Item, quod nullus habitans in dicta villa, de quocumque crimine appellatus vel acusatus, nisi velit, teneatur se purgare vel defendere duello nec cogatur ad duellum faciendum; et si refutaverit, non habeatur propter hoc pro convicto, sed appellans, si velit probet crimen quod obicit per testes vel per alias probationes juxta formarn juris.

ART. 9. Item quod nullus habitans in dicta villa de quocumque crimine apellatus, vel accusatus fuerit teneatur se purgare vel deffendere duello, nec cogatur ad duellum faciendum, et si refutaverit non habeatur propter hoc pro convicto, sed apellans, si velit, crimen probet, quod objicit, vel per testes vel per legitimas probationes juxta formam juris vel curia ad inquisitionem procedat, si videatur curiae secundum qualitatem criminis expedire.

ART. 6. Item quod nullus habitans in dicta villa de quocumque crimine appellatus vel accusatus fuerit, teneatur se purgare vel defendere de duello, nec cogatur ad duellum faciendum, et si refutaverit, non habeatur propter hoc pro convicto, sed appellans, si velit, probet crimen quod objecit, vel per testes, vel per probationes legitimas, juxta formam juris.

ART. 9. Item, quod habitantes in dicta villa

ART. 10. Item, quod habitantes in dicta villa,

ART. 8. Item, quicumque habet domicilium

 

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possint emere et recipere ad censum vel in dono, a quacumque persona volente vendere vel infeodare aut res suas immobiles dare, excepto feodo fiancali militari, quod emere vel recipere non possint nisi de nostra vel successorum nostrorum processent voluntate.

salvo jure nostro, possint emere recipere ad censum et in dono a quacumque pcrsona libera valente et volente vendere, aut res suas immobiles dare. excepto feudo franchali militari et rebus censivis, quas de jure vel consuetudine patriae vel loci, ubi censiva venalis sita fuerit, vendere non licet sine domini vel tenentis locum suum licentia et assenssu, quod et quas emere et recipere non possint, nisi de nostra vel successorum nostrorum vel aliorum dominorum processerit voluntate, circa vero nobiles personas in hoc casu observetur, quia hactenus extitit observatum.

in villa Riomi non tenetur dare leudam, de quacumque re sua, quando eam vendiderit, vel aliam emerit.

ART. 10. Item, de quolibet solo de quatuor Canis vel ulnatis lato et amplitudine et duodecim in longitudine, habebimus sex denarios, obliarum tantum et secundum magis et minus, in festo Sancti Fidis. Et totidem de acapto in mutatione domini; et si vendatur, habebimus ab emptore vendas, scilicet duodecimam partem pretu, quo vendetur; et nisi predicte oblie solute nobis fuerint predicto termino, quinque solidi nobis solventur pro gagio et oblie supradicte.

ART. 11. Item de qualibet pladura, platea seu ariali, quatuor brassarum in amplitudine et viginti brassarum in longitudine, quae se tenent cum muro vel cum lissis dictae villae, quae vero se tenent cum lissis quatuor brassarum in amplitudine vel undecim in longitudine, habebimus duodecim denarios monetae currentis censuales. Scilicet magis et minus in festo beati Andraeae apostoli, et totidem de acaptamento in mutatione domini et si vendatur habebimus ab emptore vendas, videlicet duodecimam partem pretii quo vendetur et nisi censive sive obliae nobis solutae fuerint terminis assignatis, quinque solidi nobis solventur pro gagio et obliae supradictae.

 

ART. 11. Item, si arsinae aut alia maleficia occulta facta fuerint in villa vel in honore,vel in pertinentiis dicte ville, fiet per nos vel per locum nostrum tenentem emenda super hiis secundum bona statuta et bonos usus approbatos dyocesis Agenensis.

ART. 12. Item, si arsinae vel incendia vel alia maleficia occulta facta fuerint in dicta villa, vel honore vel in pertinentiis dictae villae faciemus fieri per nos vel per nostrum locum tenentem emendam super his secundum bonos usus et consuetudines et bona statuta patriae et approbata.

 

ART. 12. Item, senescallus noster et ballivus dicte ville, tenentur jurare in principio senescallie et baillive coram

ART. 13. Item Bajulus seu praepositus noster dictae villae tenetur jurare publice coram hominibus dicti loci in princi-

ART. 9. Bajulus seu praepositus noster dictae villae tenetur jurare publice coram consulibus dicti loci, in principio ad

 

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hominibus probis dicte ville quod in officio suo fideliter se habebunt et jus cuilibet reddent pro possibilitate sua et approbatas consuetudines dicte ville et statuta rationabilia observabunt.

pio administrationis suae, quod in officio fideliter se habebit, et quod jus reddetur cuilibet pro possibilitate sua et scientia et bonas approbatas dictae villae consuetudines observabit, tenebitur etiam statuta dictae villae a nobis facta vel approbata rationaliter observare.

ministrationis suae, quod in officio illo fideliter se haberet et quod jus reddet cuilibet pro possibititate sua et scientia et bonas et approbatas consuetudines dictae villae observabit, tenebitur etiam statuta dictae villae a nobis facta vel approbata rationabilia observare.

ART. 13. Item, Consules dite ville mutentur quolibet anno in festo Assumptionis beatae Mariae Virginis; et nos vel ballivus noster debemus ponere et eligere, ipsa die, consules catholicos sex de habitantibus in dicta villa quos magis, bona fide, communi proficuo dicte villae et nostro viderimus et cognoverimus expedire.

ART. 14. Item, Consules dictae villae mutentur quolibet anno in festo beati Jacobi apostoli et senescallus vel bajulus noster communicato bonorum consilio debet eligere et ponere ipsa die consules catholicos octo de habitantibus dictae villae, quos nobis et dictae villae proficuo bona fide viderint expedire.

ART. 10. Item, consules dictae villae mutentur quolibet anno in festo B. Johannis Baptistae; et si contigerit quod electi consules ab aliis consulibus in se nollent onus consulatus suscipere bajulus seu praepositus noster dictae villae, ad instantiam et requisitionum praedictorum consulum, ipsos ad haec compellere teneatur.

Qui consules jurabunt baillivo nostro et populo dictae ville quod ipsi bene et fideliter servabunt nos et jura nostra et populum dicte ville fideliter gubernabunt et tenebunt consulatum fideliter pro posse suo et quod non recipient ab aliqua persona aliquod servicium propter officium consulatus.

Qui consules jurabunt senescallo nostro vel bajulo et populo dictae villae quod ipsi bene et fideliter erga nos se habebunt et servabunt jura dictae villae nostra et populum dicte ville fideliter gubernabunt et tenebunt pro posse suo fideliter consulatum et quod non recipient ab aliqua persona aliquod servicium pro officio consulatus.

ART. 11. Dicti consules jurabunt bajulo seu praeposito nostro dictae villae, quod ipsi bene et fideliter erga nos se habebunt et servabunt jura nostra et populum dictae villae fideliter gubernabunt et tenebunt pro posse suo fideliter consulatum et quod non recipient ab aliqua persona aliqua servicia pro officio consulatus. Et praedicti consules debent habere sexdecim consiliarios.

Quibus consulibus communitas dicte ville jurabit sibi dare consilium et adjutorium et obedire salvo tamen in omnibus jure nostro, dominio et honore.

Quibus consulibus communitas dicte ville jurabit sibi dare juxta conscientias suas bonum et fidele consilium, quando ab ipsis fuerint requisiti, salvo tamen jure nostro, dominio et honore.

 

Et Dicti consules habeant potestatem reparandi carrieras, vias publicas, fontes et pontes, et colligendi per solidum et per libram cum consilio viginti quatuor habitantium in dicta villa, electorum a populo missiones et expensas ab habitantibus dicte ville quae propter reparationem fient vel que fient propter alia communia negocia necessaria et redundantia in communem utilitatem dicte ville.

Dicti consules habebunt potestatem reparandi carrerias, vias publicas, et pontes et fontes, et colligendi per solidum et libram et cum consilio duodecim habitantium in dicta villa electorum a populo, missiones et expensas ab habitatoribus dictae villae, quae propter reparationem praedictorum fient, dum tamen necessitas vel evidens utilitas id exposeat.

 

 

De quibus collectis et expensis senescallo nostro

 

 

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vel locum nostrum tenenti fiat fides; pro aliis autem expensis collectas communes facere non poterunt sine nostra vel senescalli nostri voluntate et licentia speciali.

 

ART. 14. Et qui Sordicies in carreriis injecerit a baillivo nostro et consulibus puniatur secundum quod eis visum fuerit expedire.

ART. 15. Et qui sordicies et immunditias in carreriis ejecent a bajulo nostro et consulibus puniatur sicut eis visum fuerit expedire.

 

ART. 15. Item, quicumque Laycus in dicta villa vel in pertinentiis ejusdem habuerit possessiones vel redditus, ratione illarum rerum, ipse et sui successores in expensis et missionibus et collectis que fient a consulibus propter utilitatem dicte ville, ut dictum est, dono faciant prout alii habitatores dicte ville per solidum et per libram et nisi hoc facere vellent, ballivus noster pignoret ad instancian consulum praedictorum.

ART. 16. Et quicumque Laycus in dicta villa, vel pertinentiis ejusdem habuerit possessiones vel redditus, ratione illarum rerum, ipse et sui successores in expensis et missionibus, ac collectis que fient et consulibus, propter utilitatem vel necessitatem dictae villae, ut dictum est, contribuant, prout alii habitatores dictae villae per solidum et libram secundum jura et consuetudines approbatas, et nisi hoc facere voluerunt pignoret eos bajulus noster ad instantium consulum praedictorum.

 

Clerici vero vel alie privilegiate persone ad hoc idem similiter tenebuntur de possessionibus suis omnibus que ad ipsas personas jure hereditario non constiterit pervenisse.

 

 

De quibus rebus hereditariis nichil prestare tenebuntur nisi de earum personarum mera processerit voluntate.

 

 

ART. 16. Item, res comestibilis de foris aportata ad vendendum vel dum aportetur de infra dimidiam leucam ad vendendum, non vendatur nisi prius ad plateam dicte ville fuerit aportata.

ART. 17. Item, res comestibilis de Foris opportata ad vendendum, dum apportabitur et erit infra dimidiam leucam non vendatur alicui eam revendere volenti, nisi prius ad plateam dicte ville fuerit apportata, et si quis contrarium fecerit emptor et venditor, quilibet in duobus solidis et dimidio currentis monetae nobis pro justicia puniatur, nisi esset extraneus qui dictam consuetudinem probabiliter ignoraret.

 

Et quis contra fecerit, emptor et venditor quilibet in duobus solidis et dimidium pro justitia puniatur, nisi esset extraneus qui dictam consuetudinem probabiliter ignoraret.

 

 

 

 

ART. 12. Si quis percussent aliquem coram connestabulo vel locum

 

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nostrum tenentem, ad arbitrium connestabularii secundum consuetudines Patriae puniatur.

ART. 17. Item, quicumque alium percussent vel traxerit cum pugno, palma vel pede, irato animo, sanguine non interveniente, si clamor factus sit, in quinque solidos pro justitia puniatur et faciat emendam injuriam passo secundum rationem.

ART. 18. Item, quicumque alium traxerit vel percussent cum pugno, palma, vel pede, irato animo, gladio fuste petra tegula seu alio modo, sanguine non interveniente, si clamor factus fuerit, in quinque solidos currentis monetae nobis pro justitia puniatur.

ART. 13. Quicumque alium percusserit cum pugno, palma vel pede, gladio, fuste, vel petra, seu alio modo, irato animo, sanguine non interveniente seu interveniente, si clamor factus fuerit, et legitime probatum fuerit. percutiens nobis in LX solidos pro justicia puniatur.

Si tamen sanguinis effusio intervenerit, in viginti solidos percuciens, si clamor factus fuerit, pro justicia puniatur.

Et si cum gladio, vel fuste, petra vel tegula, sanguine non interveniente, si clamor factus fuerit, percuciens in viginti solidis pro justitia puniatur;

et si sanguis intervenerit et fiet clamor, percuciens in sexaginta solidis puniatur et emendam faciat injuriam passo.

Si vero sanguinis effusio intervenerit, percutiens, clamor si factus fuerit, in sexaginta solidis currentis monetae nobis pro justitia puniatur.

 

 

ART. 19. Item, si quis alium percussent et membri mutilatio intervenerit, si clamor factus fuerit ad cognitionem senescalli vel locum nostrum tenentis usque ad viginti libras Turonenses vel infra, secundum qualitatem delicti, nobis pro justitia puniatur, ita tamen quod summam viginti librarum praedictam condemnatio senescalli nostri vel locum nostrum tenentis non excedat.

Si vero coram senescallo nostro vel locum nostrum tenente, aliquis alium percussent usque ad summam viginti librarum Turonensium vel infra secundum qualitatem delicti ad cognitionem senescalli nostri vel locum nostrum tenentis nobis pro justicia puniatur, ita tamen quod summam viginti librarum praedictam condemnatio non excedat.

Si vero sanguinis effusio intervenerit, in praesentia senescalli nostri vel locum nostrum tenentis, et gravis fuerit excessus,

 

 

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seu percussio in triginta libris turonensibus nobis pro justicia puniatur vel infra, ad cognitionem senescalli vel locum nostrum tenentis. Ita tamen quod summam triginta librarum praedictam condemnatio hujus non excedat.

 

ART. 18. Item, si quis alium interfecerit et culpabilis de mortu reperiatur, ita quod homicida reputetur, per judicium curie nostre puniatur et bona ipsius nobis sint incursa, solutis tamen debitis suis.

ART. 19. Item, si quis alium interfecerit, et culpabilis de morte inveniatur, ita quod homicida reputetur per judicium nostrae curiae puniatur, et bona ipsius nobis integre sint incursa.

ART. 14. Si aliquis alium interfecerit, et culpabilis de morte ejus inveniatur, ita quod homicida reputetur, per judicium curiae nostrae puniatur, et bona ipsius nobis integre sint incursa.

ART. 19. Item si quis alicui aliqua convicia vel obpropria vel verba contumeliosa, irato animo, alteri dixerit, ei inde fiat clamor, a ballivo nostro in duobus solidis et dimidio pro justitia puniatur et faciet injuriam passo.

ART. 20. Item, si aliquis alicui aliqua convicia vel opprobria, vel verba contumeliosa, irato animo, dixerit et inde queremonia proponatur, a bajulo nostro in duobus solidis et dimidio currentis monetae nobis pro justitia puniatur et emendam faciat injuriam passo.

ART. 15. Si aliquis aliqua convitia vel opprobria, vel verba contumeliosa, irato animo, dixerit, et inde querimonia proponatur, postquam legitime probatum fuerit a Bajulo nostro, in tribus solidis nobis pro justitia puniatur, et emendam faciat injuriam passo, secundum consuetudinem Dictae villae Riomi diutius approbatam.

Et si quis coram ballivo nostro vel in curia nostra dixerit dicta verba, irato animo, in quinque solidis pro justitia puniatur et emendet injuriam passo.

Et si quis coram bajulo nostro vel curia, in curia nostra dixerit illa, irato animo, in quinque solidis, currentis monetae nobis pro justicia puniatur et amendam faciat injuriam passo.

 

ART. 20. Item quicumque bannum nostrum vel ballivi nostri fregerit vel pignus ab eo factum ob rem judicatam sibi abstulerit, in triginta solidis pro justicia puniatur.

ART. 21. Item, quicumque bannum nostrum vel ballivi nostri in bonis alterius positum, fregerit, in sexaginta solidis currentis monetae nobis pro justitia puniatur.

ART. 16. Item, Quicumque inhibitionem nostram seu calumniam nostram, vel bajuli nostri, in bonis alicujus positam ex causa rationabili, vel ad instantiam alicujus conquerentis fregerit, in LX solidos nobis pro justitia puniatur.

 

ART. 22. Item si pignus ab eodem bajulo seu auctoritate ipsius captum sibi vel mandato ipsius, quis abstulerit, juxta qualitatem excessus puniatur et credatur nuncio curiae jurato eum imo teste jurato fide digno.

ART. 17. Item, si pignus ab eodem bajulo seu auctoritate ipsius captum sibi vel mandato suo, quis abstulerit, ad arbitrium connestabuli nostri secundum usus et approbatas consuetudines Patriae puniatur et super hac ablatione credatur nuncio curiae jurato, cum duobus testibus fide dignis.

 

ART. 23. Item, quod pro debitis non pignoren-

ART. 18. Item, quod pro debitis non pignoren-

 

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tur vestes quotidianae alicujus, nec lectus suus in quo ipse vel familia sua jacuerit, nec ferramenta, nec ustensilia vel aptamenta cum quibus panem suum lucratur.

tur vestes quotidianae alicujus, vel lectus suus in quo ipse vel familia sua jacuerunt, nec ferramenta, nec ustensilia aplamenta cuin quibus panem suum lucratur.

 

ART. 24. Item, quod habitantes infra decos seu terminos dictae villae per senescallum sibi datos, quos tenent pacifice et quiete, gaudeant eadem libertate qua gaudent habitatores dicti loci.

ART. 19. Quod habitantes intra fines seu honorem dictae villae quos tenent, pacifice et quiete gaudeant ea libertate qua gaudebant habitatores dicti loci.

 

ART. 25. Item, quod non pignorari possint nec bannum in rebus eorum poni, nec hostia domorum suarum claudi, nisi prius citati vel moniti fuerint, vel nisi pro re judicata vel contumacia, vel nisi praefixus dies solutionis canonis sit elapsus, vel nisi in casibus in quibus bona et res eorum nobis deberent esse incursa vel commissa de consuetudine vel de jure.

ART. 20. Quod non possint pignorari, neque bannum in bonis seu rebus eorum poni, nec ostia domorum suarum claudi, nisi prius citati vel moniti fuerint, vel nec nisi pro re judicata, vel contumacia, vel nisi praefixus dies solutionis annui census nostri sit elapsus, vel nisi in casibus in quibus bona eorum nobis debent esse incursa vel commissa de consuetudine vel de jure.

ART. 21. Item quicumque leudam furatus fuerit, in decem solidis puniatur.

ART. 26. Item si aliquis leudam furatus fuerit in decem solidis currentis monetae nobis pro justitia puniatur et leudam restituat quam non solvit.

ART. 21. Item, si aliquis leudam furatus fuerit, nobis in septem solidos pro justitia puniatur, et leudam restituat quam non solvit.

ART. 22. Item, adulter vel adultera, si deprehensi fuerint in adulterio, si inde factus fuerit clamor, vel per homines fide dignos convicti fuerint, vel injure confessi quilibet in centum solidis pro justitia puniatur vel nudi current villam et sit optio eorumdem.

ART. 27. Item adulter vel adultera, si deprehensi fuerint in adulterio, vel per homines fide dignos convicti fuerint, super hoc accusatore existente et accusationem suam legitime prosequento, vel in jure confessi, nudi currant villam vel nobis solvat quilibet centum solidos turonenses, et hoc sit in optione delinquentis.

ART. 22. Item, Adulter vel adultera, si deprehensi fuerint in adulterio, vel per homines fide dignos convicti fuerint, super hoc accusatore existente et accusationem suam legitimam prosequente, vel in jure confessi fuerint, nudi currant villam, vel nobis solvat quilibet LX solidos et hoc sit in optionem delinquentis.

ART. 23. Item, qui cutellum vel gladium emolutum contra alium, irato animo, traxerit, in decem solidis pro justitia puniatur et emendet injuriam passo.

ART. 28. Item, qui gladium emolutum contra alium, irato animo, traxerit, licet non percusserit, si clamor idem factus fuerit, in decem solidis currentis monetae nobis pro justitia puniatur, et emendet injuriam passo.

ART. 23. Item qui Gladium emolutum contra alium irato animo traxerit, licet non percussent, si clamor factus fuerit et legitime probatum fuerit, nobis in LX solidos pro justicia puniatur, et emendet injuriam passo, secundum consuetudinem villae diutius approbatam.

ART. 24. Item quicumque aliquod valens duos solidos, vel infra,

 

 

 

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de die vel nocte, furatus fuerit, currat villam cum furto ad collum suspenso et in quinque solidis pro justitia puniatur et restituat furtum cui furatus fuerit, excepto furto fructuum de quo fiat ut inferius continetur.

Et qui rem valentem ultra quinque solidos furatus fuerit, prima vice signetur, et in sexaginta solidis pro justitia puniatur, et si signatus sit per judicium curiae nostrae, modo debito, puniatur.

Et si pro furto quis suspendatur, decem librae, si sua bona valent, solutis debitis suis, nobis pro justitia persolvantur et residuum sit heredum suspensi.

 

 

ART. 25. Item, si quis intraverit de die ortos, vineas, vel pratos alterius et inde caput fructus, fenum, paleam, vel lignum, valens duodecim denarios, vel infra, sine voluntate illius cui fuerit, postquan quolibet anno semel defensum fuerit et preconizatum, in duobus solidis et dimidio, persolvendis consulibus ad opus dicte ville pro justitia puniatur;

ART 29. Item, si quis intraverit de die hortos, vineas vel prata alterius et inde capiat, sine necessitate inevitabili, fructus faenum, paleam vel lignum valens duodecim denarios vel infra sine voluntate illius cujus fuerit, postquam quolibet anno scilicet prohibitum fuerit et proeconuatum,in duobus solidis et dimidio currentis monetae nobis pro justitia puniatur, persolvendis videlicet duabus partibus consulibus dictae villae ad opus dictae villae pro justitia puniatur, partem tertiam dictae muletae nobis et nostris successoribus retinentem

ART. 24. Item, si quis intraverit de die orto[s], vineas, vel prata alterius, et inde capiat, sine necessitate inevitabili fructus, faenum, paleam vel lignum valens XII denarios vel infra, sine voluntate illius cujus res fuerit, postquam quolibet anno, semel prohibitum fuerit vel praeconizatum, in tribus solidis puniatur.

et quid quid consules ex hoc habuerint, debent illud ponere in commune proficuum dicte ville, ut pote in reparatione carreriarum, pontium fontium et constimilium.

et quid quid consules ex hoc habuerint debent ponere id in commune proficuum dictae villae, ut pote, in reparatione carreriarum, fontium et consimilium.

 

Et si ultra duodecim denarios valeat res quam inde ceperit, in decem solidis nobis pro justitia puniatur.

Et si ultra duodecim denarios valent res quam coepit in decem solidis currentis monetae nobis pro justitia puniatur.

Et si ultra XII denarios valeat res, quam ceperit in VII solidis nobis pro justitia puniatur.

Et si de nocte quis intraverit et fructus, fenum paleam vel lignum ceperit, in triginta solidis nobis pro justitia puniatur, et emendet dampnum passo.

Et si de nocte quis intravent et fructum faenum, paleam vel lignum ceperit, in triginta solidis currentis monetae nobis pro justitia puniatur, et satisfaciat competenter in hoc casu et in omnibus superioribus damna passis.

Et si nocte quis intravent, et fructus, faenum, paleam vel lignum ceperit, et probatum fuerit, in LX solidos nobis pro justitia punietur et satisfaciat competenter in hoc casu et in superioribus damna passis.

 

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ART. 26. Et si bos vel vacca vel bestia grossa, ortos vel vineas, vel prata alterius intraverit, solvat dominus bestie sex denarios consulibus dicte ville, et pro porco et sue, si intrent, tres denarios et pro duabus ovibus vel capris vel hircis, si intrent, solvat dominus cujus erunt bestiae unum denarium consulibus dictae villae, qui es hoc faciant, ut predictum est, dampno ei cujus est ortus, vinea vel pratum nichilominus resarcito.

ART. 30. Et si bos, vel vacca vel bestia grossa, hortos vineas, vel prata alterius intraverit, solvat dominus bestiae sex denarios currentis monetae et pro porco vel sue, si intrent tres denarios, et pro duabus ovibus vel capris vel hircis, solvat dominus cujus erunt dictae bestiae unum denarium, de quibus muletis. seu poenis habebimus tertiam partem, ut praedictam est et consules dictae villae, duas partes, qui ex hoc faciant, ut superius est expressum, damno ei cujus est hortus, pratum vel vinea nihilominus resarcito.

Et in mutatione consulum eligatur communis persona, videlicet unus de habitatoribus dictae villae a bajulo et consulibus dicti loci, qui emendas recipiat ipsorum nomine et ad requisitionem ipsorum reddat partem unicumque contingentem, prout superius est dictum.

 

 

ART. 31. Mensurae vero et pondera per senescallum nostrum vel tenentem locum suum et per consules dictae villae ponantur et tradantur in dicto loco.

 

ART. 27. Item, quicumque falsum pondus vel falsam alnam tenuerit, dum tamen super hoc legitime convictus fuerit, in sexaginta solidis puniatur.

ART. 32. Item, quicumque falsum pondus vel falsam mensuram vel falsam alnam tenuerit, dum tamen super hoc fuerit confessus vel legitime convictus, in sexaginta solidis currentis monetae nobis pro justitia puniatur. Negotiationis, in qua sic deliquerit, exercitio nihilominus sibi in perpetuum interdicto.

ART. 25. Item, Quicumque falsum pondus, vel falsam ulnam vel mensuram tenuerit, in VII solidos nobis pro justitia puniatur, et de falsa marca nobis in LX solidos puniatur; et si bis in hoc deliquerit et convictus fuerit vel confessus, ad arbitrium nostri connestabuli puniatur, vel officio in quo sic deliquerit perpetuo privetur.

ART. 28. Item, pro clamore debiti vel pacti vel cujus libet alterius contractus, si statim, id est, prima die, in presencia ballivi nostri, confiteatur a debitore, sine lite mota et sine induciis, nichil nobis pro justitia persolvetur.

ART. 33. Item, pro querimonia debiti vel pacti, vel cujuslibet alterius contractus si statim, id est, prima die in praesentia ballivi nostri, confiteatur debite sine lite mota et sine induciis, nihil nobis pro justitia persolvetur.

ART. 26. Item, pro querimonia debiti vel pacti, vel cujus libet alterius contractus, si statim, id est prima die, in praesentia bajuli nostri confiteatur debitor sine lite mota et sine induciis nihil (1) nobis pro justitia solvetur; sed infra VIII

 

 

 

Sed infra novem dies, ballivus noster debet facere solvi et compleri

Sed infra octo dies vel quindecim considerata debiti quantitate, et per-

 

 

(1) Le texte des Ord. donne muleta, erreur certaine.

 

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creditori quod confessum fuerit coram eo; alioquin debitor ex tunc in duobus solidis et dimidio pro justitia puniatur.

sonae qualitate, ballivus debet facere solvi et compleri debitori, quod confessum fuerit coram eo, alioquin ex tunc debitor in quinque solidis currentis monetae nobis pro justitia puniatur.

vel XV dies, considerata debiti quantitate et personae qualitate, bajulus noster debet facere solvi a debitore, quod confessus est coram ipso et complere, alioquin ex tunc in tribus solidis debitor nobis pro justitia puniatur.

ART. 29. Item pro omni simplici clamore de quo lis moveatur et induciae petantur, post prelationem sententiae nobis quinque solidi pro justitia persolvantur.

ART. 34. Item, pro omni smiplici querimonia civili, de quo lis moveatur et induciae petantur, post prolationem sententiae nobis quinque solidi pro justicia a victo persolvantur. Et actor si in petitione ejus, quod petet, defecerit, in eadem quantitate pro justitia puniatur, vel parti adversae in expensis legitimis condemnetur (1).

ART 27. Item, pro omni simplici querimonia civili, de qua lis moveatur, et induciae petantur post prolationem sententiae tres solidi a victo nobis pro justitia solvantur, et actor si in petitionem ejus, quod petet, defecerit, in tribus solidis pro nobis justitia puniatur.

ART. 30. Itam, deficiens ad diem assignatum per ballivum in duobus solidis et dimidio nobis pro justitia puniatur et parti adverse in expensis legitimis nichilominus condempnetur.

 

 

ART. 31. Itam, ballivus noster non debet recipere justiciam seu gagium usque quo solvi fuerit rem judicatam parti quae obtinuerit.

ART. 35. Item, ballivus noster non debet recipere justitiam seu Gagium usque quo rem judicatam solvi seu satisfieri fecerit, parti quae obtinuit.

ART. 28. Item, Bajulus noster non debet recipere justiciam seu gagium, usque quo solvi fecerit rem judicatam, seu satisfieri parti quae obtinuit.

ART. 32. Item, de questione rerum immobilium post prolationem sententie nobis quinque solidi pro justitia persolvantur.

ART 36. Item in quaestione rerum immobilium post prolationem sententiae a victo nobis in quinque solidis pro justitia puniatur.

ART. 29. Item, in quaestione immobilium rerum, post prolationem sententiae tres solidi a victo nobis pro justitia persolvantur.

ART. 33. Item, de omni quolibet facto de quo lis moveatur, si actor defecerit in probando, in quinque solidis actor pro justicia puniatur et parti adverse in expensis legitimis hujus condempnandus.

 

NOTE: La fin des chartes de Montflanquin et de Castel-Sacrat est semblable, dans les deux, sauf quelques détails. Mais elle diffère complètement des articles qui terminent l'alfonsine; il est inutile de reproduire ceux-ci, car ils fixent des règles de Droit civil, que les chartes des bastides laissaient de côté. En voici l'analyse.

 

 

ART. 30. Organisation de la prescription acquisitive des immeubles par dix ans, fondée sur titre et possession paisible et non troublée.

 

 

ART. 31. Tous les habitants du territoire de Riom participeront, sui-

 

(1) Eymet, qui présente le même texte, se termine ainsi:

« Item, si ad diem sibi assignatum citatus non venerit contumaciter se absentans per bajulum nostrum in duobus solidis et dimidio nobis pro justitia puniatur, parti adversae in expensis legitimis nihilominus condempnandus. »

 

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ART. 34. Item, mercatus dicte ville debet fieri in die jovis et si bos, vel vacca, porcus vel sus unius anni et supra, vendatur ab extraneo in die fori, dabit venditor unum denarium nobis pro leuda;

 

ART 37. Item, mercatum dictae villae debet fieri die mercurii, et si bos vel vacca, porcus vel sus unius anni vel supra vendatur ab extraneo, in die fori, dabit venditor extraneus unum denarium nobis pro leuda;

 

et de asino vel asina, equo vel equa, mulo vel mula unius anni et supra, dabit venditor extraneus duos denarios nobis pro leuda; si infra nichil.

et de asino vel asina, equo vel equa, mulo vel mula unius anni vel supra dabit venditor extraneus duos denarios nobis pro leuda et si infra nihil.

 

Et de Ove, ariete, capra vel Hirco unum obolum,

et pro ove, ariete, vel capra, vel Hirco unum obolum;

vaut leur fortune, aux charges municipales.

de summata (ou saumata) bladi unum denarium; de sextario unum denarium; de mina unum obolum, pro leuda et pro mensuragio, de quarterio nichil dabit;

de somata bladi unum denarium, de sextario unum denarium; de Emina unum obolum et de minori quamde emina nihil;

ART. 32. L'adultère n'est pas punissable, si on a ignore que la femme fut mariée.

de onere hominis vitrorum, unum denarium aut vitrum valens unum denarium;

de onere hominis vitrorum unum denarium, vel unum vitrum valens unum denarium;

ART. 33. Saisie à rencontre du changeur réglementée.

de summata coriorum grossorum duos denarios de onere hominis aut de corio grosso unum denarium.

de somata coriorum grossorum duos denarios; de onere hominis aut de uno grosso corio unum denarium.

ART. 34. Réglementation de la vente de l'objet donné en gage.

de summata ferri, pannorum, laneorum, duos denarios;

De somata ferri, pannorum, laneorum, duos denarios;

ART. 35. Saisie des biens du débiteur; le créancier, au cas où les acquéreurs ne se présenteraient pas, pouvait garder en paiement les biens du débiteur « ad arbitrium consulum et aliorum proborum virorum et ad compulsionem nostram. »

de sotularibus, chauderiis, anderiis, patellis essatis, payrolii, cutellis, falsibus, sarpis piscibus salsatis et rebus consimilibus, dabit venditor extraneus, in die fori, pro leuda et pro intragio, duos denarios; de summata et de onere hominis rerum predictarum et consimilium unum denarium;

de cauderiis, landeriis, patellis, aisetis, payroliis, cutellis, cassis, falcibus sarpis, piscibus salsatis et rebus consimilibus dabit venditor extraneus, in die fori, pro leuda et pro intragio duos denarios; de somata vel onere hominis rerum praedictarum et consimilium unum denarium;

ART. 36. Gage et fidejussion.

L'article 37 s'en réfère au droit romain, au cas de silence de la coutume. « Si casus aliquis vel aliquod factum vel negotium evenerit in dicta villa Riomi, de quo in presenti scripto non fiat mentio, per bajulum nostrum cum consilio consulum ejusdem villae et aliorum proborum virorum, secundum jus, vel prope jus, vel secundum consuetudines dictae villae statuatur. »

de summata urnarum vel canarum unum denarium; de onere hominis unum obolum.

de somata urnarum vel canarum unum denarium de onere hominis unum denarium et de minore quam de onere hominis nihil dabit.

ART. 38. Concession et confirmation des usages et coutumes relatives aux leudes, aux ventes, aux moulins, aux fours et « alias consitetudines observatas ab eisdem temporibus retro actis, bonas, antiquas, rationabiles et obtentas pacifice et quiete. »

ART. 35. Item, nundinae sint in dicta villa, terminis assignatis, et quilibet mercator extraneus habens troussella vel plures trossellos, in dictis nundinis, dabit nobis prô introitu et exitu, et taulagio et pro leuda, quatuor denarios; et de onere hominis, quicquid portet, unum denarium,

ART. 38. Item, nundinae sint in dicta villa, per quatuor dies ante festum beatae Ceciliae virginis et per alios quatuor post dictum festum, quibus mercator extraneus habens Crossels vel plures crossellos in dictis nundinis dabet nobis pro introitu et exitu et taulagio et pro leuda qua-

ART. 39. Alfonse mentionne les droits particuliers par lui retenus, nonobstant la concession de la charte de liberté, « omnem justitiam, jurisdictionem, subjectionem, reverentiam, exercitum et cavalcatam, secundum usus et consuetudines Patriae, et alia quae cumque verus dominus potest et debet habere in terra sua,

 

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de rebus emptis ad usus domus alicujus, dabitur nichil ab emptore pro leuda.

tuor denarios et pro onere hominis quid quid portet, unum denarium et de rebus emptis nihil dabitur ab emptore in dicta villa habitante.

ac in praemissis omnibus et singulis retinemus potestatem declarandi secundum quod propter varietatem temporum et causarum viderimus expedire. »

 

ART. 39. Item redditus macellorum dictae villae ad manum nostram retineamus, et pro quolibet bove vel vacca ibidem vendito, dabuntur nobis duo denarii et pro porco unus denarius, pro ove vel ariete unus obolus.

 

ART. 36. Item, quicumque voluerit, poterit habere et facere furnum in dicto castro et barro ejusdem castri; et de quolibet furno in quo quis panem de coquet ad vendendum, vel panem vicini sui, solventur nobis, qualibet ebdomada, duodecim denarii obliarum.

ART. 40. Item furni dicte ville, erunt nostri, pro viginta panibus de coquendis dabitur vigesimus et non plus et omnes habitantes in dicta villa tenebuntur de coquere panem suum in furnis nostris, hoc excepto quod panem proprinm ad opus eorum et familiae de coquere eis hecat sine furnagio in furnis propriis, non tamen panem vicini sui, nec venalem: et qui contra fecerit nobis in quinque solidis puniatur.

 

ART. 37. Item, instrumenta facta per notarios ville illam vim obtineant quam publica obtinent instrumenta.

ART. 41. Item instrumenta facta per notarios dictae villae legitimam auctoritatem habentes, per nos vel factum nostrum positos, vel etiam ponendos, illam vim obtinenant quam publica obtineant instrumenta.

 

NOTE: Dans presque toutes les chartes de bastide, on trouve ici un article qui détermine le ressort de la bastide ou les dex; et quelquefois quelques articles particuliers, et variant suivant les localités, mais peu importants.

NOTE: Le document se termine par une réserve de certains droits, au profit d'Alfonse, et notamment de modifier, s'il en était besoin, les dispositions de la coutume locale.

 

 

A quoi tenait donc cette prodigieuse expansion et ce succès des chartes d'Alfonse de Poitiers? A leur caractère profondément libéral, à l'équité et à la sagesse de leurs dispositions.

Rappelons très rapidement les préceptes de droit public qu'on y rencontre:

 

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I. Garanties politiques

 

Un des fléaux de la féodalité était le droit du Seigneur de fixer arbitrairement les taxes de toute nature, imposées aux habitants de la seigneurie: aussi de bonne heure, à partir du XIe siècle, vit-on, dans toutes les chartes de coutumes et commune, la préoccupation de déterminer avec précision les redevances, et même, dans la suite, d'appeler les redevables à en consentir l'établissement.

Les chartes d'Alfonse, en proclamant ces principes, ne font que confirmer des conquêtes faites par les populations au détriment des seigneurs.

L'article premier des chartes des bastides rappelle ce principe: « quod per nos vel successores nostros non fiat in dicta bastida, questa tallia vel albergata nec recipiemus ibi mutuum nisi gratis mutuare voluerint habitantes ». (Montclar et Montflanquin, art. Ier; Beaumont, art. Ier, Lalinde, Molières, etc., etc.) Dans quelques bastides, on prévoit la suspension de l'immunité au cas de guerre nisi vigente guerrarum necessitate. (Art. Ier Villefranche de Périgord, Villeréal.)

Le fondateur renonçait par là à toutes les redevances, souvent arbitraires, produit du régime féodal sous la dénomination de queste, taille, alberge, prêt, etc.

Fixer nettement les redevances à payer était un principe qui était, on peut le dire, le droit commun des communes, villes libres, franches ou neuves, et cette préoccupation des populations on la retrouve très anciennement, dès qu'elles eurent commencé à secouer le joug seigneurial. La lecture des anciens textes le justifie amplement; qu'on nous permette d'en citer quelques-uns, empruntés à des groupes divers (1):

 

(1) Charte de libertés et coutumes de Saint-Antonin (Aveyron) des années 1140 à 1144: charte accordée aux habitants de Saint-Antonin, par les trois frères Jourdain, propriétaires par indivis de la vicomté de Saint-Antonin (Teulet, Layettes du trésor des Chartes, t. 1, n° 86, p. 55: « Donamus absolvimus in perpetuum illam malam consuetudinem que vocatur questa, preter hoc quod nobis dare voluerit sua propria volunlate.... ita quod nunquam queramus eis suam pecuniam, vel aliquid de suo extra suam voluntatem. » Celle de Lorris, dont l'expansion fut si grande, art. 9, concédée par Louis VII, 1157. D'après Prou (Revue Historique de droit franc. et etran., 1884, t. VIII: « Nullus, nec nos, nec alius hominibus de Lorriaco talliam, nec ablationem, nec rogam faciat. » Franchises de Bourges et de Dun-le-Roi (vers 1181) d'après Giry: « Ab omni tolta, et tallia et botagio et cultitrarum exactime omnino quieti et liberi sunt. » Etablissement d'Hôtes, sur la terre d'Acquebouille (Loiret, arrondissement de Pithiviers, canton d'Ontarville, commune de Faronville 1142 (sixième année du règne de Louis VII): Si igitur Hospites hujus ville, preter de redditibus supra denominatis, ab omni tallia, ab omni exactione liberi erunt et immunes manebunt. La suppression, suivant les coutumes, est plus ou moins étendue, le seigneur se réservant en tout ou en partie quelques redevances; quelquefois l'immunité n'est que temporaire.

 

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Les privilèges des bastides furent souvent méconnus par le pouvoir; après la paix de Brétigny, les Anglais traitèrent la France en pays conquis; les fouages vinrent périodiquement faire échec aux privilèges des populations (1), auxquelles on donnait pour seule consolation des déclarations suivant lesquelles la levée du fouage ne porterait aucune atteinte à leurs privilèges; aussi s'explique-t-on que les bastides se soient associées à l'appel devant le Parlement de France contre leur seigneur, le roi d'Angleterre, au moment de la rupture de la paix de Brétigny.

Les rois de France, dans la suite, combattirent les privilèges des bastides pour les frapper d'impôts, dont leurs privilèges les rendaient exempts.

 

II. Liberté civile

Un second point, caractéristique de ces chartes de bastides, est une forte organisation de la liberté civile et individuelle; les droits de l'habitant étaient, à certains points de

 

(1) Alphonse de Poitiers (Corresp. admin., n° 1895) avait reconnu que l'on ne devait pas percevoir de fouage sur les bastides, à moins de décision spéciale contraire.

 

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vue mieux garantis qu'ils ne le sont aujourd'hui même. A cet ordre d'idées se rattachent les dispositions suivantes de nos chartes: Protection est accordée au citoyen contre les saisies arbitraires pour sa personne et pour son patrimoine: Item quod nos nec bajulus noster non capiemus aliquem habitantem in dicta villa vel vim inferemus vel saziemus bona sua, dum tamen velit et fidejubeat stare juri, nisi pro murtro vel morte hominis vel plaga mortifera, vel alio crimine quo corpus suum vel bona sua nobis debeant incursa, esse: Formule empruntée à la charte de Bénevent et qui se retrouve dans toutes les chartes des bastides. (Art. 4, Montclar et Montflanquin, Villef. du Périgord art. 4, Villeréal, Valence, Beaumont, Lalinde, Molières, Beauregard, etc.) Ainsi toute personne était protégée contre les arrestations arbitraires et en outre, en cas de poursuite en justice, en cas de crime ou de délits, en donnant caution, elle évitait l'arrestation préventive, sauf dans certains cas ou crimes particulièrement graves: ces principes, généralisés par le droit commun des bastides, avaient été déjà posés par la grande ordonnance de saint Louis 1254 (Or.R.F) I, p. 67, mais il faut reconnaître que ces principes furent, dans la suite et très souvent, honteusement violés « et de nos jours même, les emprisonnements préventifs, inutiles et prolongés, ont en vain soulevé l'indignation de quelques magistrats pénétrés de la grandeur de leurs devoirs. Il serait à désirer, au milieu du XIXe siècle, que l'on voulût bien appliquer les ordonnances de saint Louis: ce serait là un grand progrès que nous souhaitons vivement voir se réaliser (1). »

Les saisies arbitraires des objets de toute nature, que les seigneurs se permettaient à l'encotre de leurs vassaux, tenanciers et serfs, disparaissaient ainsi: on assurait à chacun les produits de son activité et de son travail; ici encore ces chartes ne faisaient que répéter et consacrer des principes pro-

 

(1) Ed. Boutaric, saint Louis et Alfonse de Poitiers, p. 148.

 

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clamés antérieurement par de nombreux textes; tant le besoin de sécurité a été de tout temps la préoccupation de tous (1).

Et comme conséquences de ces principes, on proclamait, pour les habitants des bastides, le droit de disposer, comme ils le voudraient de leurs biens, soit à titre onéreux, soit à titre gratuit, de marier librement leurs enfants et de choisir pour eux la carrière qui leur conviendrait: on garantissait la libre dévolution de la succession testamentaire ou ab intestat: voici les articles qui se rattachent à ces divers points:

« Item quod habitantes dictae villae et in posterum habitaturi possint vendere alienare dare omnia bona sua mobilia et immobilia cui voluevint, excepto quod immobilia non possint alienare ecclesiae, personis religiosis militibus nisi salvo jure dominorum quorum res in feodum tenebuntur. » (Ces de Bénevent (2)): on retrouve cette règle dans toutes les chartes des bastides, mais les formules finales sont quelquefois en d'autres termes, bien que le sens reste le même (3).

L'aliénation des biens, conséquence de la reconnaissance du patrimoine, se comprenait très bien pour les biens, qui, dans les mains du propriétaire, ne relevaient de personne et formaient des alleux: le propriétaire les vendait librement, à qui il voulait, la vente ne donnait lieu qu'au paiement des redevances, à titre d'impôt, qui pouvaient l'atteindre. Cette liberté

 

(1) Charte de Saint-Antonin (a. 1144 (Teulet I, no 86) quod eis nullam vim ingeramus neque pecuniam vel aliquid de suo eis auferamus, nec aliquis de consilio nostro... Comp. lettres de fidélité mutuelle entre Raymond V, comte de Toulouse et Bernard Atton VI, vicomte de Béziers (Teulet, I, p, 107 vers 1174). Franchises des habitants de Villemur: a. 1178, Teulet I, p. 120... « que ja no los prengo ni los forso lor corses ni lor aver e neguna guiza... el ni one ni femma per lor, ni per lor gein, ni per lor consentement. »  Art. 3 de priv. de Philippe-Auguste en faveur de la Charité-sur-Loire (a. 1181) (A. Giry; Docum. sur les relations de la royauté avec les villes de France) nullus eorum capietur nec res alicujus eorum, quamdiu salvium plegium vel bonum securitatem prestare poterit et voluerit quod justicia stabit... etc.

(2) sic Montclar et Montflanquin, (Art. 2); Villefranche de P. (art. 2); Beaumont (art. 2); Lalinde, Molière, Beauregard. (etc.).

(3) Notamment Castel-Sacrat et ses dérivés.

 

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d'aliénation proclamée par la charte de Lorris d'une façon si énergique (1) se retrouve ainsi dans toutes les bastides.

Le droit d'aliénation pour les choses tenues à fief ou à censive soulevait plus de difficultés: le seigneur, qui avait choisi son vassal, ou tenancier, avait intérêt à le garder, et à ne pas avoir sur son domaine une personne qui ne serait pas en état de remplir les obligations du contrat, ou qui ne serait pas d'humeur à en supporter l'exécution; de là vis-à-vis du vassal, des restrictions diverses au droit d'aliéner le fief et la tenure, restrictions qui ont varié suivant les époques et que nos textes rappellent par leurs dispositions.

La constitution des bastides ne faisait à cet égard que poser le principe; mais les coutumes locales fixaient les conséquences et les règles suivies dans la pratique: ainsi, dans les coutumes de Villefranche du Périgord, tandis que la coutume des bastides, reproduite dans l'ordonnance de 1357 ne parle que du droit d'aliéner, la coutume de 1261, octroyée par Alfonse de Poitiers, lors de sa fondation, organise le droit de retour ou retrait lignager au cas d'aliénation, en faveur des parents de l'aliénateur et subsidiairement en faveur du seigneur, et formule les conditions du fonctionnement de ce droit de retrait (2).

 

(1) Charte de Lorris, art. 17. Et eorum quilibet res suas, si vendere voluerit, vendat, et, redditis venditionibus, a villa, si recedere voluerit, liber et quietus recedat, nisi in villa forisfactum fecerit.

(2) Fol. 17 et 18. sy vente en est faite que les parents du vendeur la puissent retraire devant aultruy, dans quinze jours, sy sont en Perigord ou en Quercy ou en Agennais, pour aultant que un autre en voudra donner et à bonne foy et que lui fassien aultant bonnes payes, et si n'estaient dans les dits trois éveschés, que le puissent retraire par le même prix dans ung an et ung mois et non delà en avant. Toutes fois icelluy parent ne le puisse avoir devant autre, si par sa propre personne ne le voulloit à sa table, et que jure qu'il le tiendra ung an pour le moins à sa table, et qu'il rendra à la personne qui l'aura achapté aultant comme il ausera jurer a bonne foy que luy aura costé; et sy ne le voullait retenir à même prix ou ne voulloit rendre l'argent à l'achapteur, que le seigneur du phieuf achapté le puisse retenir, s'il le veut, en la mesme manière que dict est du Parent... B. N. Ce de Villefranche, fonds Français, n° 11646. S. Fr., 540, 16.

 

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Le droit d'aliéner s'accommodait mal des restrictions nombreuses que la féodalité avait mises en honneur. En beaucoup d'endroits et de localités, sous forme de bans de blé, vins ou autres objets, les seigneurs s'étaient arrogé de véritables privilèges, très onéreux à la population; toutes ces restrictions disparaissaient avec la constitution libérale des bastides (1); la charte de 1261 pour Villefranche de Périgord s'en explique formellement fol. 33. « Et que le seigneur de Villefranche ny autre personne n'aye ban ny advantage de vendre vin, ny bled, ni autre chose à Villefranche et ses appartenances, mais que en icelles ventes de bled, vin et autres choses aye autant davantages et franchises le petit comme le grand, le pauvre comme le riche ». On est heureux de trouver une formule si libérale, et si vraie en économie politique, dans un document dû à l'initiative du frère de saint Louis.

A la faculté d'aliéner correspondait la faculté d'acheter et d'augmenter son patrimoine, et dans les bastides cette faculté était très libéralement organisée:

Art. 9. Item quod habitantes in dicta bastida possint emere, vel recipere ad censum vel in dono a quacumque persona volente vendere vel infeudare aut res immobiles dare, excepto, feodo francali militari, quod emere vel recipere non possint nisi de nostra vel successorum nostrorum processerit voluntate. (Cet article se retrouve dans toutes les chartes de bastide (2).)

La restriction se comprenait pour des fiefs d'où dépendaient des obligations militaires qui pouvaient compromettre la sécurité de la bastide et étaient en contradiction avec les obligations imposées à ses habitants.

 

(1) Comp. sur les bans et leurs suppressions dans les communes la charte de Lorris, art. 10, et les documents cités en note par M. Prou.

(2) Montclar et Montflanquin, art. 9; Villefranche-du-P. art. 9; Lalinde Beauregard, Molières et Beaumont arrêtent leur texte à dare. Villeréal, R. G., n° 1108, comp. Castel-Sacrat, Sainte-Foy (Doat, t. LXXIV, fol. 303) le texte est plus développé.

 

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Le patrimoine, reconnu au profit des habitants, on proclame pour chacun la faculté et le droit de le transmettre à sa mort, soit par testament, soit par succession ab intestat; et on formule les dispositions les plus sages pour garantir cette transmission. Ainsi disparaissent toutes les restrictions qui, à diverses époques, avaient paralysé le droit de disposer.

La féodalité, dans l'intérêt du seigneur, avait paralysé, chez ses vassaux, ses tenanciers et ses serfs, les droits du chef de famille; et le seigneur, substitué a celui-ci, présidait, au choix d'une épouse, aux conditions du mariage et à sa réglementation; avec le régime nouveau, avec la liberté individuelle proclamée, comment toutes ces restrictions auraient-elles pu être maintenues? Aussi affirme-t-on, pour chacun, le droit absolu de marier ses enfants et de leur choisir telles carrières qu'il conviendra. « Item quod habitatores dictae villae possint filias suas libere et ubi voluerint maritare et filios suos ad clericatus ordines facere promoveri » Montclar et Montflanquin, art. 3; Villefranche du Périgord, art. 3, et chartes de toutes les bastides (1), et ainsi tombaient et disparaissaient dans les bastides, les perceptions de ces droits pécuniaires qui rappelaient et rachetaient l'ancienne dépendance des hommes de la seigneurie, au regard de leur seigneur (2) (Droit de formariages, et autres.)

 

(1) Cette liberté proclamée pour tous était le résultat d'une longue lutte et de réclamations très anciennes, que permettent de supposer d'anciennes Chartes. Charte des libertés accordées par Henri Ier roi d'Angleterre, 5 août 1100. Teulet t. I, n° 34 « et si quis baronum meorum vel hominum, filiam suam nuptis tradere voluerit, sive sororem, sive nuptam sive cognatam, mecum loquatur. Sed ne indeque ego pro hac licencia de suo aliquid accipiam, neque defendam ei, quin eam det, excepto si eam dare velit inimico meo. » Charte de Saint-Antonin (a. 1141 à 1144) « Dominus S. A. non debet compellere aliquam viduam vel aliquem mulierem ut ducat virum; nec se debet intromittere sine assensu ipsius vel amicorum suorum. (Teulet, I, n° 86). Comp art. 3 et 5, de la charte de Chaumont 1248, pièces justif. XX du travail de M. Prou sur les coutumes de Lorris. (Revue hist. du droit fr. et etr., p. 542).

(2) Comp. le texte curieux, relatif à la seigneurerie de Blanquefort prouvant que le droit de prémice et de déflorement existait encore en 1302 (texte publié par M. Aug. Cassany-Mazet, Annales de Villeneuve-sur-Lot. Acte 5e des preuves et les textes publiés par M. de Lagrèze pour les cout. pyrénéennes.

 

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La constitution d'un patrimoine comporte nécessairement le droit de le transmettre: dans les coutumes des bastides, on fait allusion et à la succession testamentaire et à la succession ab intestat.

Le testament s'était probablement maintenu dans le Midi: dans tous les cas, on en facilitait la confection, en n'imposant aucune autre formalité en dehors de la présence de témoins et du curé du lieu ou de tout autre prêtre, et en interdisant toute atteinte à la légitime des enfants. Donc le testament verbal, comme le testament écrit par notaire, étaient valables, sans être soumis à des formalités spéciales.

(Art. 7.) « Item testamenta facta ab habitatoribus dicte ville in presencia testium fide dignorum (1) valeant, licet non sint facta secundum solemnitatem legum dum tamen liberi non fraudentur sua legitima porcione convocato ad hoc capellano (2) loci vel alia ecclesiastica personna si commode posset vocavi. » (Montclar et Montflanquin, art. 7; Villeréal, 7; Valence 7; et Villefranche du Périgord et toutes les bastides périgourdines. Castel-Sacrat présente à la fin de l'article une petite modification dans la forme.)

Nos chartes ne fixaient pas les règles de la succession ab intestat: elles se référaient sur ce point aux coutumes particulières, mais toutes présentent un système protecteur au cas de successions vacantes.

 

(1) La bastide de Montchabrier présente une leçon un peu différente: Testamenta facta, ab habitatoribus dicti castri seu bastidae in presencia quatuor testium valeant, licet desit alia solemnitas legis dum tamen liberi non fraudentur sua legitime portione.

(2) « Le curé du lieu y figurait le plus souvent, puisque le testament était la suite de la confession; son ministère devint obligatoire; on vit en lui non seulement un scribe constatant par écrit les dernières volontés du de cujus mais une sorte d'officier public chargé de veiller à la régularité de l'acte et d'en assurer l'exécution. » Conci. Albi 1241, C. 37 (Labbe, XI, 2370), Brissaud, Manuel d'Histoire du Droit français, p. 1593.

 

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(Art. 6.) « Item si quis habitantium in dicta villa moriatur sine testamento, nec habeat liberos nec appareant alii heredes qui sibi debeant succedere, Baillivus dicti domini nostri et consules dicte ville bona defuncti descripta tamen, commendabunt duobus probis hominibus dicte ville ad custodiendum fideliter per unum annum et diem; et si infra eumdem terminum appareat heres qui sibi debeat succedere, omnia bona debent integraliter sibi reddi; alioquin bona mobilia dicto domino nostro tradantur et etiam immobiliaque ab eodem domino nostro in feodum tenebuntur, ad faciendam suam omnimodam voluntatem et alia immobilia que ab aliis, dominis in feodum tenebuntur, ipsis dominis tradantur, ad faciendum suam voluntatem: solutis tamen debitis dicti defuncti secundum usus et consuetudines Diocesis Agennensis (1) si clara sint debita tam de mobilibus quam immobilibus per solidum et libram non expectato fine anni » (Villefranche et autres bastides.(2))

Les chartes de Bastides ne posaient que les principes généraux, et elles se référaient aux privilèges locaux; pour la détermination de points quelquefois très importants: ainsi la comparaison pour Villefranche du Périgord, de la charte de 1357 (charte type des Bastides) et des privilèges de 1261 (n. s. 1262) nous permet d'affirmer l'existence d'un droit local important: nous y trouvons la réglementation de la succession ab intestat; l'organisation du retrait lignager; la fixation des libéralités entre époux; la détermination des droits des bâtards; par là, la charte de Villefranche, se rapprochant de la coutume de Bordeaux, nous montre dans notre pays qu'à côté du droit romain auquel on se réferait comme législation complémentaire, s'était formé un droit local dans lequel les principes cou-

 

(1) Ou Caturcencis ou autre dioces., suivant la localité.

(2) Des règles analogues pour la régularisation du droit de déshérence au profit du seigneur justicier se retrouvent dans les anciennes chartes de coutumes. Comp. Ch. de St-Antonin. (Teulet, t. I, n° 86.)

 

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tumiers de conservation des biens dans les familles tenaient une grande place (1).

Ainsi semble-t-il, suivant le texte de nos chartes, l'égalité devant la Loi était organisée et respectée; mais l'ère de la tolérance religieuse n'avait pas encore sonné; au début de nos établissements, sous Alfonse de Poitiers, les hérétiques étaient placés hors la loi, et leurs biens confisqués formaient une ressource importante pour le prince: c'était le dernier écho de la guerre des Albigeois dans notre pays. A Villefranche tout hérétique était chassé et mis hors la ville; personne ne pouvait le recevoir, lui donner secours, mais « ains que le saura, que le preigne et que le rende au baille et au conseil et que le baille en

 

(1) Comp. cout, de Bordeaux; Histoire de la Nouvelle 118 de Justinien dans le Midi, par M. Emile Jarriand. Sans reproduire le texte des coutumes de Villefranche de 1261 y voici le résumé des dispositions relatives au Droit civil: la femme, au cas de mort de son mari sans enfants de l'union, recouvre la dot, qu'elle avait apportée à son mari (comp. ce d'Agen, art. 27) et elle aura à titre de douaire une quantité de meubles, en valeur égale à sa dot: c'est l'augment de dot, ou douaire des pays de droit écrit. Au cas d'existence d'enfants de l'union, la femme reprenait sa dot, mais n'avait pas de douaire. Si la femme mourait avant le mari, celui-ci aura une valeur égale à la dot reçue; c'est le contre-argument venu du droit romain au profit du mari. Tel était le droit commun avec faculté pour les conjoints d'y apporter des modifications par contrat de mariage. La femme dotée par ses père et mère n'avait rien à prétendre dans leur succession, quelque fût le chiffre de la dot: c'est le droit commun des pays méridionaux. (Rapp. ce d'Auvergne et art, 55 ce de Bergerac.)

A Villefranche, comme en Agenais, Quercy et Périgord, on suivait en matière de succession la règle paterna paternis, materna maternis, afin d'assurer à la famille d'où ils provenaient les biens du défunt. On prenait des mesures de conservation pour le cas où une succession ouverte, il n'y avait pas d'héritier connu (droit commun des bastides) et dans ce cas, « toutes fois si advenait enfants bastards naturels n'estant campis, qu'ils eussent des biens de leur père et mère (décédés) sans testament la seitzième partie et le demeurant de touct soit aux seigneurs directs, comme dict est, les debtes payés. » fol. 33. On réglemente la forme des donations et testaments; on détermine les règles de capacité et prescrit de ne pas porter atteinte à la légitime des enfants « comme le droit escript leur octroye à tout le moings, si mieux faire ne le voulait » fol. 34.

 

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fasse la justice que doibt estre faite à ung Heretge, ce que fera soudainement, et tout homme qui faira le contraire, contre les dites coutumes, que soyt puny comme faulteur et resellateur d'Heretges. » (Ces de 1261, fol. 27.)

Dans la suite le calme religieux se rétablit, avec la suppression des poursuites pour cause de religion; les juifs seuls sont dans une condition inférieure aux bourgeois; ils ne peuvent arriver aux honneurs municipaux; et l'on voit les municipalités et le pouvoir prendre contre eux des mesures de rigueur et purement arbitraires, qui restent la honte de notre histoire.

 

III. Organisation municipale des bastides

 

Toutes les bastides présentent une organisation municipale, qui donne aux habitants la direction des affaires de la cité. Par là elles entrent dans la catégorie des communes, et leur histoire est une branche de l'histoire communale; mais nous avons la volonté de ne pas aborder ici l'histoire de la formation communale; le voudrions-nous, ce sujet serait au-dessus de nos forces. Nous n'y ferons allusion qu'en tant qu'il sera nécessaire pour l'étude de nos bastides.

En acceptant que l'essence de la commune consiste, dans le droit, pour le groupe communal, d'avoir des représentants permanents, en vue de la défense et de la direction de ses intérêts; droit qui élève l'agglomération à la hauteur d'une universitas, communauté, ou personne morale; le signe extérieur de son existence sera le sceau; le beffroi et la maison commune deviendront des attributs accessoires (1).

S'il se rencontre des bastides qui n'aient pas de représentation permanente, celles-ci ne seront pas des communes; mais là où se rencontrera la représentation permanente des intérêts de la localité, là se trouvera une commune (2), et c'est

 

(1) Voir sur tous ces points, avec les références: Histoire des institutions politiques et administratives de la France, par Paul Viollet, t. III, p. 12 et suiv.

(2) Comp. P. Viollet, p. 19, loco cit. Mais il faut remarquer que l'organisation varie suivant les localités; ainsi la bastide de Lisle en Périgord n'avait qu'une organisation municipale rudimentaire et cependant elle était une ville libre. O.R.F. t. XL, p. 417.

 

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la situation ordinaire pour nos bastides, qui presque toutes ont été organisées sous le régime du consulat.

Cependant on retrouve entr'elles certaines différences, et pour caractériser leur condition juridique, il faut étudier leur organisation municipale, suivant les chartes de leur fondation.

Commençons par Villefranche du Périgord: cette bastide présente cette particularité que son organisation nous est révélée et par la charte de sa fondation en 1261, et par ses coutumes de 1357. Voici ce que nous apprennent ces documents relativement à l'organisation municipale.

D'après la charte de 1261, Villefranche du Périgord formait une association entre le seigneur (Comte Alfonse de Poitiers) et la communauté; chacun des associés avait, vis-à-vis de l'autre, des devoirs à remplir et des droits à exercer, et ils s'engageaient à y faire honneur, sous un serment solennel, qui renforçait, à l'époque, l'énergie de l'engagement obligatoire; ainsi tous ceux qui seront liés par ce serment formeront l'association communale; les textes parleront de ceux qui seront du serment de Villefranche ou jurés, pour désigner les membres de l'association, et cette formule révélera cette condition qu'ailleurs et dans la suite on caractérisera par l'expression de bourgeois (1).

 

 (1) Fol. 4 et 5, ch. de 1261. (A) Serment du Seigneur. « Scavoir en premier lieu que quand le seigneur majeur de Villefranche commencera à régner, après le décès de son père ou d'autres, par lequel ou duquel il sera héritier, que tous les hommes, qui seront soubmis aux dites coustumes seront tenus venir devant luy, estant de luy mandés, et jurera le dict seigneur devant toucts, sur les saints Evangiles de Dieu, qu'il sera bon et loyal seigneur aux consuls et à tous les habitants et qui y habiteront à Villefranche et ses appartenances et qu'il leur gardera et entretiendra franchement les fors, coustumes, libertés et franchises, en ce contrat contenus et toucts leurs establissements, et leurs raisons et leurs droictures, comme bon seigneur, et les gardera et les deffandra contre soy-même et d'aultruy dedans et du dehors, par toucts lieux de toutes causes loyallement et de tout son pouvir à bonne foy, envers et contre toucts, de toutes injures, forces et griefs qui leur pourraient estre faicts par aultruy. »

(B) Serments des habitants. « Et faict le dict serment par le dict seigneur, toucts les hommes de Villefranche et ses appartenances, étant de l'âge de vingt-trois ans en sus, jureront et promettront au dict seigneur, qu'ils luy seront bons et loyals et fidelles et garderont, sa vie, ses membres et sa seigneurie, ses droicts et ses causes par toucts lieux à leur loyal pouvoir et bonne foy et que seront soubmis à sa seigneurie et à son pouvoir, saulves à eulx leurs coustumes et leurs franchises et luy garderont toucts ces droicts et debvoirs et l'auront et contenteront en touctes choses par bon seigneur naturel, sans aulcune tromperie ny faulceté; de volonté ny de faict, à touct leur loyal pouvoir et à bonne foy. »

 

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Le seigneur fondateur de la bastide conservait dans le territoire des droits importants: la seigneurerie et la haute justice, à la charge de respecter les libertés concédées aux habitants et le consulat par lui établi. Le seigneur pouvait exercer lui-même ses droits; mais en général il agissait par l'intermédiaire de ses représentants, le Sénéchal et les Bayles.

Le bayle, représentant du seigneur dans la bastide était choisi par le sénéchal, à la suite d'une mise à ferme et moyennant redevance au moins dans les premiers temps.

Alfonse de Poitiers, comme ses successeurs les rois d'Angleterre ou les rois de France, apportèrent le plus grand soin au choix de ces fonctionnaires (1), et surveillèrent très étroite-

 

(1) Correspondance administrative d'Alfonse de Poitiers Docum. inédits, (9 mai 1267), n° 421. Au sénéchal d'Agen et de Cahors, sur la mise à ferme des baylies. « Aufonz, fiuz de roi de France, coens de Poitiers et de Tholose, à son amé et son feel au Seneschal d'Agenois et de Caorsin, saluz et amour... Derechief nos vos mandons que quant vos affermeroiz nos baillies de vostre seneschaucie, iceles affermez à tornois chascune par soi et le Port de Mirmande, si bien et si sagement et si clerement, en la meilleur manière et la plus loial que vos porroiz, selon les conditions que vous avez pieça, que l'en vaie bien qu'il n'i ait point de chanlandise, ne ne les affermez mie à gens souspeçonneuses de heresie, d'usure ne d'autre crime, ne à juis, ne à vos parenz, n'a voz cousins, n'à voz afins, ne à autre de vostre mesniée, n'a autres qui soient à nos gages ne aus voz, ne ne souffrez qu'il en aient parçonnier et nos renvoiez en escrit par vostre clerc, comment elles seront affermées, ne à qui, et combien chascune par soi... et en toutes ces choses dessus distes et on boen et ou laial gouvernement de nostre terre soiez curieus, diligenz et ententis. »

 

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ment leur administration (1), qui quelquefois donna lieu à de vives protestations.

Le bayle, avant son entrée en fonctions, prêtait serment de remplir ses fonctions avec zèle et dévouement (2).

D'après la charte de 1261, la direction des affaires de la communauté était confiée à un conseil ou consulat de huit membres: ce conseil était nommé pour un an et était installé, le jour et feste de Notre Dame de febvrier, et, ce même jour, les membres du conseil ou consulat prêtaient, en présence du baille (réprésentant le seigneur) et de la communauté, un serment analogue à celui que le baille entrant en charge devait prêter lui-même (3); à l'expiration de leur mandat, les consuls en exercice et le baille choisissaient, à l'élection, les nouveaux consuls: ainsi, le seigneur, représenté par le baille, participait

 

(1) 18 avril 1267, n° 418 correspond. adm. de Alfonse de Poitiers... enquête sur les forfaits reprochés aux juges, bayles, sergents et greffiers faite par Pons Astoaud, chevalier et maître Odon de Moutonnière; le sénéchal leur donnera aide et conseil.

(2) (C) Serment du baille ou représentant du seigneur:

« Et quand le seigneur mettra son baille à Villefranche icelluy baille jurera aux consuls pour eux et pour toute la université et communauté du dit lieu de Villefranche, en la même manière que dessus est dict au seigneur majeur, qu'il faira droit, au grand et au petit, de toucts les procès et causes qui seront devant luy; mais le conseil, ny la université, ne doibvent faire aucun serment au baille pour raison de seigneurie ».

(3) (Charte de 1261, fol. 6 et 7. B. Nat n° 11646 manus. franc) « Et sera le conseil de Villefranche de huict personnes, estant prudhommes, gens de bien, et loyals et estant aussi du serment de Villefranche. Lequel conseil ou consulat y soit mis pour touct temps, le jour et feste de Notre Dame de febvrier et que facent les dicts conseil ou consulat, le dict jour en présence du baille et de la communauté et que le dit conseil ou consulat face tel serment, comme dessus est dict que doict jurer le baille.

Et qui contreviendra ou répugnera la élection que sera de luy faicte pour estre du conseil ou consulat, que luy coste dix livres caorcenques, payables la moiytié au seigneur et l'autre moiytié à la ville et que ledit conseil et baille de Villefranche commencent facent et mettent au bout de leur année autres huict consuls prudhommes de telles personnes bonnes et loyales que soient du serment de Villefranche, et qu'ils soient bons et loyals à bonne foy et qu'ils tiennent le sceau, les papiers et les causes communes de la ville... »

 

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au choix des nouveaux consuls, sans que nous sachions, comment cette élection se faisait et la part qu'y avait le bayle (1).

La direction des affaires municipales appartenait donc au conseil ou consulat, formant collège, et devant discuter et se mettre d'accord sur les affaires à conclure.

Ce collège recevait, dans les huit jours de son élection, le serment des habitants de la bastide, et il pouvait, toutes les fois qu'il lui paraissait convenable, appeler les habitants à l'aider de leurs conseils: ainsi l'assemblée générale du peuple avait participation à la direction des affaires publiques (2).

Ce même système d'élection des nouveaux consuls, par le bayles et consuls sortant de charge, est encore relaté dans les chartes de certaines bastides (3); pour d'autres, soit en pratique, soit en vertu de textes formels, le système électoral a été modifié, aussi pourra-t-on dire des rois d'Angleterre et des rois de France, ce que l'on a dit d'Alfonse, comte de Poitiers, qu'aimant peu les libertés municipales dans les anciennes villes, ils n'ont donné aux bastides que la dose de liberté politique, compatible avec leur autorité et leurs pouvoirs.

Ces innovations ne provoquaient au reste, aucune résistance, de la part des populations; car on a vu, quelquefois, celles-ci

 

(1) Dans d'autres communes l'élection des nouveaux conseils se faisait sans que le seigneur ou son représentant eût à y participer. Comp., Histoire de la châtellenie de Belvès, p. 112 et suiv.

(2) Charte de 1261, fol. 7. « Et toucts les hommes qui seront de quatorze ans en sus, du serment de Villefranche jureront sur les saincts Evangiles, au conseil, chaque année, le jour ou dans les huict jours apprès que le dict conseil ou consuls, seront faicts, que loyallement les acconseilleront et ayderont, en estant requis, et que tiendront secret et scellé le secret et conseil des dicts consuls et tout ce que au dict conseil sera arresté et leur seront hobéissants aux droictures du seigneur et du commung profict de la ville, en touct saulve la seigneurie du dict seigneur. Et qu'ainsi ne faira que luy en couste cinq souls et par moitié au seigneur et  moytié à la ville. »

(3) Beaumont, art. 13; Molières, art. 13; Lalinde et Beauregard, dans ces chartes on trouve la même formule: et nos vel baillivus noster cum consulibus praedictis debemus ponere et eligere... consules...

 

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consentir à l'abandon de leurs prérogatives municipales. Nous ne pouvons croire que le gouvernement ait été complètement étranger à ces déterminations; probablement, au contraire il les a provoquées. Quoi qu'il en soit, nous constatons cette déchéance, sous Alfonse de Poitiers pour Castel-Sarrazin et Moissac (1) et pour d'autres localités (2).

La même tendance se retrouve pendant la domination anglaise. C'est ainsi qu'au cas où le bayle et les consuls viendraient à élire des gens notablement insuffisants (et un semblable prétexte peut toujours être invoqué), le sénéchal ou le juge ordinaire auront le droit, en remplacement des consuls incapables, d'en nommer d'autres, plus aptes à remplir leurs fonctions: et par là le pouvoir devenait maître des élections consulaires qu'il contôlait (3).

 

(1) 30 mai, anno 1245, les consuls en fonctions et la majeure partie de la population consentent à ca que le comte de Toulouse, ses héritiers, son délégué ou bayle puissent seuls instituer les consuls à Castel-Sarrazin « quot numero et quos cumque voluerint, annuales vel prolixioris aut brevioris temporis, et destituere et mutare eosdem pro suo et suorum beneplacito voluntatis » (même disposition pour Moissac): Histoire du Languedoc (édit. Privat), t. VIII, n° 382.

(2) Dans la coutume de Castel Sagrat (an. 1270 mai, coll. Doat, t. 4, p. 300 n° (omis par Vigié), nous lisons que le sénéchal ou le bayle à son défaut, doit: « eligere et ponere ipsa die » (fête de Jacques apôtre) huit conseillers ou consuls catholiques pris parmi les habitants de la ville « communicato bonorum consilio »: ainsi le conseil des Douze était consulté et avait un droit de présentation. Rapprochez la décision du Parlement de Toulouse, relative à une requête des habitants de Marmande, qui se plaignaient que le bayle s'arrogeait le droit de nommer seul les consuls; le Parlemeut répondit que la justice est mieux sauvegardée par la voie autoritaire que par le régime de l'élection libre, et qu'ainsi sont assurées la paix et la tranquillité publique (a. 1270). Boutaric; Saint-Louis et Alfonse de Poitiers, p. 511). Et quia istud expedit paci et tranquillitati villarum, et justicia melius servatur quam si libera electio consulum universitatibus remaneret, non videtur super isto articulo peticio admittenda. Trés. des chartes, I, 1031, n° 11.

(3) R. G., t. II, n° 1362, pour Villeréal (a. 1289)... Rursus volumus et concedimus ad dictorum consulum et habitatorum instantiam, quod si bajulus et consules ville predicte, qui nunc sunt vel pro tempore fuerunt, alios consules minus sufficientes creaverint senescallus vel judex noster ordinarius Agennensis per se vel alios alium aut alios sufficientes consules possit creare, insufficientis vel insufficientium loco.

 

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Et bientôt le roi change le système de nomination: il ne laisse à l'autorité municipale qu'un simple droit de présentation; sur la liste dressée, le bayle choisira les nouveaux consuls: c'était enlever à la commune, au profit du pouvoir central, les nominations des magistrats municipaux.

Ce système apparaît, en 1289 pour Villeréal (1) et pour Montflanquin (2) et devient, dans la suite, la règle générale pour toutes les bastides; c'est celui que formulera pour Villefranche de Périgord, la charte de 1357 (3).

Par cette charte une double modification était réalisée: le nombre des consuls était réduit à six, de huit qu'il était, d'après la charte de 1261; et leur nomination était l'oeuvre exclusive du Seigneur ou de son bayle, à la charge de les choisir sur une liste de douze candidats présentés par les consuls sortant de charge.

Ce droit de présentation des consuls à élire, survivance du

 

(1) R. G., t. II, n° 1374 pour Villeréal (a. 1289). Rex omnibus... Sciatis nos propter utililatem habitatorum bastide seu ville Villeregalis, eisdem habitatoribus concessione quod consules dicte ville seu bastide mutentur quolibet anno, die in ipsorum libertatibus constituto, et creentur hoc modo:

Videlicet quod consules anni preteriti eligant ipsa die XII probos viros de habitantibus in dicta villa seu bastida, et bajulo suo eorum nomina tradans in scriptis; qui noster bajulus ipsa die vel in crastinum ad longius sex de dictis XII quos utiliores nobis et dicte ville seu bastide cognoverit in consules anni sequentis eligere teneatur sub virtute prestiti juramenti; non obstante quod in cartis nostris libertatum eis per nos concessarum aliter in quadam clausula caveatur de creatione consulum predictorum, et per presentes eamdem clausulam corrigi volumus, ut dictum est, in cujus, etc. Ainsi l'article 13 des coutumes de Villeréal, qui se trouve dans les mêmes termes dans beaucoup de chartes de bastide, se trouvait modifié. Comp. n° 1108, art. 13, et n° 1374 (R. G., t. II)

(2) R. G. t. II, n° 1375, lettres dans les mêmes termes pour Montflanquin. (a. 1289).

(3) Ch. 1357. O. R. de Fr., t. III, 201. Art. 13. « Item consules ville mutentur quolibet anno, dominica proxima post dictum festum Purificationis Beate Marie; et consules anni praeteriti debeat eligire ipsa die duodecim probos homines catholicos de habitantibus in dicta villa et dicto bajulo nominare; et dictus dominus noster vel baillivus suus praedictus debent ponere et eligere ipsa die vel in crastinum de dictis duodecim consules sex quos magis bona fide communi utilitati ville viderint et cognoverint expedire....        

 

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droit de nomination par le peuple, était encore une conquête sur la nomination par le pouvoir, seul maître de l'élection, système que nous trouvons dans les chartes de Montclar et Montflanquin (art. 13) et qui revivra dans la charte de Bénevent (1).

A Eymet, les consuls, suivant la charte de fondation (2), étaient nommés par le sénéchal ou le bayle, mais après avoir pris l'avis des prud'hommes; et, dans la suite, les consuls paraissent avoir eu le droit exclusif, en sortant de charge, de nommer leurs successeurs (3).

Cette nomination se faisait le jour fixé par la charte des libertés et ce jour correspondait toujours à une fête, devenue la fête locale de la ville (4).

Les consuls avaient l'administration de la cité et de tous les objets d'utilité publique, et le droit, dans ce but, d'imposer les habitants et de percevoir les redevances communales, comme les autres redevances qui pouvaient peser sur la commune; le droit de police et de basse justice leur était confié comme aussi le soin d'assurer la défense de la cité et de prendre et ordonner, dans ce but, telles mesures qui leur paraîtraient convenables.

Ces pouvoirs, les consuls les ont partout, beaucoup plus

 

(1) ... Et nos vel ballivus noster debemus ponere et eligere, ipsa die consules catholicos sex de habitantibus in dicta villa quos magis bona fide communi proficuo dicte ville et nostro vidimus et cognoscimus expedire (fol. 2, col. 2),

(2) Doat, t. LXXIV, fol. 334, semblable à Castel Sacrat.

(3) ... Auquel jour seront reçus les six consuls sullement, sans ne eslire outre ledit nombre de six, lesquels seront eslus par les consuls presedants, lesquels esleus feront le serment.... transaction du 24 juin 1519 entre le seigneur et les habitants d'Eymet. (Bull. de la Société hist. et arch. du Périgord, t. III, p. 327.)

(4) Pour Villefranche le dimanche après la purification de la vierge Marie; pour Beaumont, les fêtes des apôtres Philippe et Jacob; pour Valence, fête cathédre sancti Petri (18 janvier); pour Montchabrier, l'annonciation de la Vierge Marie; pour Lalinde, la fête de la purification de la Vierge; pour Villeréal, la fête du bienheureux Michel; pour Benevent, le jour de l'Assomption de la bienheureuse Vierge Marie; Beauregard, le jour de la fête de Saint-Hilaire; pour Molières, fête de la décollation de saint Jean-Baptiste.

 

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étendus au début que dans la suite; mais la manière de les exercer a varié, suivant les localités; ainsi on distingue des bastides où les consuls ont les pouvoirs les plus étendus et les exercent seuls, comme à Beaumont (art. 14), où les consuls ont le pouvoir de constituer un procureur, syndic ou agent, pour toute l'université de la bastide, et le pouvoir de faire, d'une façon générale ou spéciale, tout ce que l'universitas sive communitas dicte bastide facere posset et deberet; donc les consuls représentaient seuls la cité et ses intérêts, sauf à eux le droit de consulter, s'il leur paraissait convenable, l'assemblée générale des habitants. Sic Molières, Lalinde, Beauregard.

Mais, dans un très grand nombre de bastides, on a apporté aux pouvoirs des consuls des limitations de diverse nature. Dans l'Alfonsine, nous constatons que les consuls debent semper habere sex decim consiliarios; c'était là un petit conseil, émanation de rassemblée du peuple, qui assistait les consuls dans tous les actes importants d'administration.

Ce conseil spécial, que nous retrouverons dans beaucoup de bastides, paraît à l'origine n'avoir été institué qu'en vue d'une affaire spéciale; plus tard il est devenu permanent, avec l'organisation des jurats et de la jurade.

A partir de ce moment, l'assemblée générale du peuple pourra bien encore être convoquée quelquefois, mais à titre exceptionnel et dans des circonstances particulièrement graves (1).

 

(1) A Villefranche, d'après la charte de 1261, il y avait 8 consuls chargés de l'administration, avec faculté de recourir à l'assemblée du peuple, mais on ne trouve aucune mention d'un conseil spécial; mais dans la charte de 1357, on voit apparaître la mention d'un conseil de 24 habitants de la ville élus par le peuple et devant intervenir, toutes les fois qu'il y avait lieu de lever per solidum et libram missiones et expensas ab habitatoribus dicte ville... à Castel Sacrat (1270), le conseil était de 12 habitants de la ville, et paraît n'avoir à intervenir que pour l'imposition des missiones et expensas. A Béneveut, conseil de 24 habitants; de même à Valence, Villeréal, Montflanquin, etc. Ce conseil n'est mentionné ni pour Beaumont, ni pour Lalinde, ni pour Molières, ni pour Beauregard, au moins d'après la charte de fondation.

 

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Les chartes des bastides ne font que poser les principes auxquels l'administration sera soumise, et sans entrer dans les détails particuliers de l'administration; la charte de 1261 pour Villefranche-de-Périgord mentionne quelques règles particulières, qu'il est bon de rapporter: ainsi, pour toute imposition ou dépense, qui dépassait 20 sous tournois, il devait y avoir unanimité des huit consuls; et pour l'apposition du sceau communal sur une pièce, la présence de deux consuls au moins était nécessaire, si l'affaire dépassait en importance 20 sous (1).

L'égalité devant les charges communales était déjà acceptée; et pour la rentrée des impôts communaux, on recommandait aux consuls de « tailler loyallement, sans garder les amis ou ennemys, toutes les questes communes, livre par livre; et toucts les emprunts communs qui seront faicts à Villefranche et touctes mises nécessaires qui soient levées avec les rôles communs de la ville, et tout homme gui sera du serment de la ville qui y aye sa part et que le conseil la lève livre pour livre, selon ce que aura dans les susdits dex et suivant son bien et hiretat... » (fol. 23). Ce même principe a été respecté dans toutes les bastides et consacré par des articles formels (2).

Les consuls avaient la gestion financière de la cité; la charte de 1261 rappelle à cet égard quelques-unes de leurs obligations « de toutes les mises et dépenses que les dits consuls mettront et despendront en causes communes de la dicte ville et communs proffit d'icelle, en rendront bon et loyal compte aux autres consuls qui viendront et seront élus apprès eulx, ce que fairont dans huict jours, apprès que par les dits nouveaux consuls en seront requis, et tout ce que leur demeurera de leur années le rendront et bailleront aux nouveaux consuls et s'ils ont frayé quelque chose pour la dite communauté, en

 

(1) (Fol. 10 et 11) charte de 1261.

(2) Beaumont, art. 15; Villefranche de P. 1357, art. 14, Valence, Villeréal, etc.

 

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faisant apparoir de leurs frais, seront payés et satisfaits par les consuls nouveaux ».

On chercherait vainement ici, dans cette organisation municipale rudimentaire, les distinctions entre l'ordonnateur et le comptable, que la séparation des pouvoirs et les règles d'une bonne comptabilité ont généralisées et fait appliquer dans toutes les communes. A Villefranche, comme dans toutes les bastides, les consuls avaient, réunis dans leurs mains, les pouvoirs d'ordonnateurs et de comptable: le maniement des deniers, l'imposition, la direction et le contrôle des dépenses leur appartenaient; mais dans la suite des principes nouveaux s'introduiront et modifieront la situation faite aux consuls, au point de vue financier.

Les chartes fixaient les règles, mais elles n'enchaînaient pas l'avenir; et les consuls restaient les maîtres d'y apporter telles modifications qui leur paraîtraient convenables; en cette matière, la charte de Villefranche de 1261 apporte une restriction intéressante, « le conseil et baille de Villefranche ensemble pourront faire établissement de coutumes touts genres et toutes fois que leur plaira; lequel établissement fairont escripre et que vaillent tout autant, comme ils seront consuls et baille en leur année, et que vaille aultant comme si estait coustume sans le pouvoir révoquer... fol. 27, ch. de 1261. »

Ainsi le pouvoir réglementaire des consuls n'avait autorité que pendant l'année de leurs fonctions de consulat (1); si la mesure prescrite était bonne, soit par usage, soit par confirmation, elle pouvait être maintenue.

Mais enlever aux consuls le droit de révoquer une mesure prise paraît au premier abord difficile à justifier, à moins qu'on n'ait voulu par là empêcher les mesures prises, au profit d'une personne ou en vue d'un intérêt spécial, et qui, son effet produit, auraient été immédiatement révoquées.

Peut-être voulait-on aussi rappeler aux consuls qu'ils ne

 

(1) Il en était ainsi dans beaucoup de coutumes, notamment à Lézat, art. 64.

 

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devaient soit prendre quelque mesure, soit établir quelque règlement nouveau, qu'après en avoir pesé les avantages et les inconvénients; une fois prise, la décision ne pouvait plus être révoquée par eux.

En face des consuls étaient les communiers ou bourgeois: c'étaient tous ceux qui étaient domiciliés dans la bastide et y avaient prêté le serment de bourgeoisie: en général la bourgeoisie n'était pas acquise par la simple habitation, mais par le serment de remplir les devoirs imposés par cette condition; et ce serment, prêté par le chef de famille, autorisait tous les membres de sa famille à invoquer les coutumes de la localité (1).

De même que leur volonté les faisait bourgeois, de même ils restaient les maîtres, quand ils le voulaient, d'abandonner la ville et la bourgeoisie et de se fixer ailleurs « qui voudra yssir ou sourtir de Villefranche, pour aller demeurer en autre lieu, que le puisse faire, quand luy plaira, après qu'il y aura demeuré ung an, et que le baille et conseil et consuls le guident dans toutes ses causes, de leur pouvoir, en le gardant de tort et de force d'aultruy, de leur pouvoir, ses dettes payées; et tout ce qu'il laissera a Villefranche et ses appartenauccs, meubles et immeubles, qui soient saulves et seurs aussi bien que s'il y demeurait, tant qu'il faira debvoirs et coustumes dudit lieu, pour ce qu'il y laissera, au regard du conseil en payant les services du phieuf qu'il y tiendra, comme s'il y demeurait. » (loco citato, fol. 19) (3).

Ces règles n'ont pas été reproduites dans les chartes des bas-

 

(1) « .. Et les filz et les filles et la femme de celuy qui sera du serment de Villefranche, qui demeurera avec luy, seront des coustumes de Villefranche, tout ainsin que s'y avaient juré et presté le serment, tant que demoureroient avec lui, et toucte la famille estant à leur pain et à leur maison. (Charte de Villefranche de P. 1261, fol. 15).

(2) Ces principes se retrouvent dans de très anciennes chartes, notamment dans une charte de 1107 (voir arch. Histor. du Poitou t. VI, p. 1 à 4). Quant à la mention d'avoir demeuré an et jour, elle se rattache très probablement, suivant l'opinion de M. Prou, à des dispositions du Droit Germanique, de Migrantibus.

 

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tides, au moins en général, mais elles formaient le droit commun, en présence des garanties de la liberté individuelle fonctionnant dans leur territoire.

Aucune incompatibilité n'existait entre la qualité de bourgeois et celle de noble ou de clerc: les uns et les autres pouvaient faire partie de l'association communale et étaient soumis aux mêmes obligations et avaient les mêmes droits: c'est la règle généralement suivie dans le Midi (1). Dans notre région, elle peut s'induire de diverses dispositions insérées dans les chartes et de ce fait que l'on réservait, dans les municipalités, aux nobles un certain nombre de places de consul (2).

Cependant au cas où les clercs et les nobles étaient admis à faire partie de l'association communale, on leur accordait quelque faveur en vue du paiement des charges locales (3), par exemple leurs biens patrimoniaux n'étaient pas portés sur les rôles des taxes locales.

Telle fut, d'après les chartes, l'organisation municipale des bastides. Ainsi dès le début, nous voyons en lutte des principes différents, et, si nous poursuivions l'histoire de l'organisation municipale jusqu'à la Révolution française, nous constaterions cette lutte à toutes les époques. Dès l'origine,

 

(1) Comp. Paul Viollet, Histoire des institutions politiques et administratives de la France, p. 47 et note 7.

(2) Organis. municipale de Belvès (loco cit.). Cout. de Fumel, art. 2: six prudhommes consuls, dos sien cavaliers, ho donzels, o de paratge et li quatre que sien berses o mercadiers, o autres bons hommes de la villa e Conseilhat (arch. Hist. de la Gironde, t. VII, n° III (2 juin 1265). A Preyssas, le consulat ou conseil se composait de 6 prud'hommes, 2 pris parmi les seigneurs du château, et 4 parmi les habitants de la ville) Revue Histor. du Droit français et étranger 1864.

(3) Disposition que nous retrouvons à Valence d'Agen, Montflanquin, et Bénevent, etc. Voici la disposition des cout. de Bénevent « Clerici vero vel alie privilegiate personnae ad hoc idem sibi tenebuntur de possessionibus suis omnibus quae ad ipsas personas jure heredetario non constiterit pervenisse, de quibus rebus hereditariis nihil persolvere tenebuntur, nisi de earum plenarie mera processerit voluntate » (fol. 2, verso, col. 2).

 

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suivant le principe démocratique, on fait appel à tous sans distinction, on reconnaît des droits égaux à chacun, mais bientôt le pouvoir intervient, préside aux élections, y joue un rôle prépondérant, et tend à créer, dans chaque agglomération une oligarchie qui aura l'exercice du pouvoir: la situation sera signalée par Beaumanoir, ch. 50.7, (édit. Beugnot, t. II, p. 267 et édition Salmon, t. II, n° 1522), « nous veons, dit-il, plusieurs bones viles que li pouvre, ne li moine n'ont nules des administrations de la vile, ainçois les ont toutes li riche ». Les pratiques administratives concourent au succès du même principe, on abandonne le principe primitif de la majorité, et on le remplace par l'avis de la majorité la plus saine, major pars et sanior, « car en faict de communauté, se faut plus prendre à la saine partie que à la greigueur pour ce que vérité est que plus pèsent les riches et les notables le faict de la chose publicque, que ne font les petits qui ne désirent que leur propre volonté ». (Somme rurale, Bouteiller, liv. II, ch. XIX). Ainsi à la fiction de l'unanimité des grands et des petits, des pauvres et des riches, a succédé, dans l'organisation municipale, la fiction de la supériorité morale des classes riches, fiction qui justifie leur domination.

A un autre point de vue, des modifications se produiront dans le cours des temps, dans le fonctionnement des municipalités: en face d'un pouvoir central, mal organisé, les municipalités ont eu, en matière administrative, les pouvoirs les plus étendus; peu à peu, leurs magistrats virent apporter des restrictions nombreuses à leurs pouvoirs, perdirent leurs prérogatives les plus importantes, et confinés dans la simple administration de la cité, ils furent placés sous la tutelle très étroite des intendants et des représentants de l'administration centrale, devenus les véritables maîtres des municipalités.

 

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IV. Juridiction; droit civil et droit criminel

 

A). Juridictions

 

Notre intention ne saurait être de présenter un tableau des juridictions dans le midi de la France, aux XIIe, XIIIe et XIVe siècles, ni de chercher à fixer les règles de Droit civil et de Droit criminel suivies à cette époque; ce sujet, très difficile en lui-même, n'aurait que des relations éloignées avec nos études; nous voulons, seulement, pour nos bastides, faire connaître les juridictions civiles et criminelles que l'on y rencontre, déterminer leur compétence et, d'après les chartes et les documents authentiques, faire connaître le Droit civil et le Droit criminel qui y étaient en vigueur (1).

Nos bastides périgourdines présentent une grande variété, si l'on s'en tient à leur origine; les unes ont eu pour fondateur Alfonse de Poitiers (Villefranche de Périgord, Eymet), les autres ont été fondées par les rois d'Angleterre: Ladinde, Beaumont, Molières, Montpazier, Beauregard; celles-ci par le comte de Périgord (Bénevent, Vergt, Montignac le petit); enfin quelques-unes, par le Roi de France Dome par exemple, St-Louis, Lisle; cette diversité d'origine n'a pas cependant grande importance pour notre sujet, si l'on veut bien réfléchir que toutes ces bastides ont été placées sous une organisation uniforme, que leurs chartes présentent une identité absolue de dispositions; cette variété d'origine n'a pas été cependant sans

 

(1) Nous avons consulté pour cette partie de notre travail: Edgard Boutaric: Organisation judiciaire du Languedoc au moyen âge (Biblio. de l'Ecole des Chartes, an. 1855, p. 201 et 532, et an. 1856, p.97) Victor Fons, Aperçu historique et Géographique de l'organisation judiciaire dans la sénéchaussie de Toulouse du XIIIe au XVIe siècle (Acadé. de législation de Toulouse année 1860); et du même auteur le Juge de Toulouse (eodem loco) année 1864. Les notes de M. Aug. Molinier, dans l'Histoire du Languedoc de dom Devic et dom Vaissette (édit. Privat.) la Correspondance administrative d'Alfonse de Poitiers (docum. inédits;) les Rôles Gascons (doc. inédits;) Ch. V. Langlois, le règne de Philippe III le Hardi (Paris 1887;) D. Brissaud: les Anglais en Guyenne. Paris 1875.

 

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avoir quelque influence sur certains points particuliers, que nous ferons connaître.

Ces bastides furent, dans la suite, toutes rattachées à la Couronne de France et se trouvèrent ainsi placées sous un régime identique.

Dans toutes ces bastides se rencontrent trois sortes de juridiction: 1° les juridictions municipales, conséquence de l'organisation des bastides; 2° les juridictions seigneuriales, relevant du fondateur de la bastide, et 3° enfin les juridictions seigneuriales indépendantes, dont le siège se trouvait dans le territoire de la bastide.

 

a) Juridictions des seigneurs locaux

 

Le fonctionnement de seigneuries indépendantes dans le territoire de la bastide n'avait rien d'incompatible avec l'existence de la bastide; ces seigneuries locales avaient une juridiction plus ou moins étendue, suivant les cas, et formaient des îlots où devaient se rencontrer et se trouver en conflit les autorités de la bastide et les représentants du seigneur local: nous l'avons constaté pour Beaumont relativement à Naussanes, pour Molières relativement à Badefol, Cadouin et St-Avit Senior. Le régime féodal obligeant le seigneur à rendre la justice à son vassal, c'était la coexistence sur un même territoire de juridictions différentes. Il est fait allusion à cette situation dans les coutumes de Villefranche de 1261; après avoir proclamé (fol. 13) le principe que toute personnes du Serment de Villefranche ne peut être assignée qu'à Villefranche et non ailleurs, le texte mentionne les juridictions devant lesquelles peut être appelé le bourgeois de Villefranche « ou devant le bayle, ou devant le conseil des Consuls, ou devant le seigneur phieuzatier, si de son phieuf estoit le procès »; ainsi la fondation de la bastide, son autorité dans un territoire déterminé (les Dex), n'entraînaient pas la

 

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suppression des juridictions locales seigneuriales, mais elles en modifiaient le fonctionnement et l'indépendance, puisque le procès à l'occasion du fief sera sans frais, et se poursuivra à Villefranche en la place ou la maison commune (fol. 59); mais le seigneur aura le droit de saisir le fief sur le vassal pour faulte de payement de la rente (fol. 22). Au cas de jugement rendu par une juridiction seigneuriale, on réserve à la partie qui se croirait lésée par la décision le droit d'en appeler « et qui se tiendra grevé du jugement des seigneurs du phieuf qu'il en appelle, s'il veut, au bayle et au conseil de Villefranche et qui se tiendra grevé de leur jugement que puisse appeler au sénéchal d'Agenais et de Luy à notre seigneur le comte... » fol. 64 (1).

Cette mention suffît pour les juridictions seigneuriales particulières (2).

 

b) Juridictions municipales;

juridictions relevant du fondateur de la bastide

 

En second lieu étaient établies dans la bastide les juridictions propres à la bastide ou juridictions municipales, et les juridictions relevant du fondateur de la bastide.

La juridiction municipale fut une conséquence de l'organisation du territoire en commune.

 

(1) Des règles identiques furent suivies dans toutes les bastides comme conséquence du régime féodal, nous les trouvons consacrées formellement par les coutumes de Bénevent (fol. 11, col. 1re et 2e). Item Dominus feudalis tenetur feudario suo curiam et judicem constituere infra clausuram dicte ville et non extra et ibi jus facere de illis de quibus ad ipsum spectat cognicio, nisi pro monstra pro qua semel idem dominus eidem feudatori potest diem certam in dicto feudo assignare et nihil domino debetur pro monstra feudi.

(2) Nous ne disons rien des juridictions ecclésiastiques, dont il faut respecter la compétence et qui pouvaient amener les bourgeois à répondre devant un tribunal dont le siège était en dehors de la bastide; pour Villefranche « excepté que des demandes des actions personnelles que sont par droit escript du for et costume de saincte esglize, que (les bourgeois) fassent droict justement à qui devra être fait » fol. 14, ch. 1261.

 

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A cette époque, les pouvoirs administratifs, judiciaires, financiers, n'étaient pas encore distingués et les consuls, au nom de l'agglomération, étaient investis de tous les pouvoirs: à eux appartenait la juridiction municipale.

Leur compétence, à ce point de vue, a varié, suivant les époques et suivant les localités, mais on peut affirmer que dans les petites agglomérations communales, et les bastides étaient de ce nombre, les consuls ne reçurent lors de la fondation que l'exercice des pouvoirs de police et une juridiction civile insignifiante (1), tandis que dans les grandes cités les autorités consulaires eurent, tant en matière civile qu'en matière criminelle, une compétence beaucoup plus étendue, et qui, dans la suite des temps, fut diminuée ou contestée; ce que l'on rencontre dans toutes les grandes villes, Toulouse, Montpellier, Montauban, etc.

Que les consuls aient eu, tant en matière civile qu'en matière criminelle, une certaine juridiction, les documents le démontrent; mais le vague des formules ne permet pas d'en fixer exactement les limites (2); en matière criminelle, leur compétence ne dépassa pas les limites de la basse justice: ce fut la règle générale au XIVe siècle, où l'on ne donne aux consuls que le droit d'infliger les peines de soixante sous et 1 denier et inférieures à ce taux (3).

 

(1) Edgard Boutaric loco cit, p. 218.

(2) Dans de nombreux passages des coutumes de Villefranche de Périgord de 1261, on mentionne le tribunal des Consuls sous le vocable de conseil « et toucts chevalliers, donzels et clercs qui seront du serment de Villefranche seront tenus de faire droict en toutes causes, comme ung autre homme et devant le bayle et devant le conseilh. » (f. 12). Le bayle, débiteur et poursuivi par son créancier, devait répondre et prendre droit « comme ung autre homme et devant le conseilh ou consuls de Villefranche et touts les jurés de la dite ville » (fol. 12 in fine), et ce point est confirmé par les coutumes de Villefranche de Périgord de 1357. O.R.F. III, p. 210, art. 2, « item quod ipsi consules... perq uae possint et debeant judicare, ordinare, et condempnare et cognicionem habere de causis de quibus ipsi et predecessores ipsorum hactenus usi sunt et prout fuit et est ibidem fieri consuetum. »

(3) Comp. art. 44 charte pour Montchabrier de Philippe IV dit le Bel (avril 1307) O.R.F. XII, p. 762.

 

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Le tribunal des consuls siégeait à jour fixe, probablement une fois par semaine; il était présidé par l'un des consuls ou par leur procureur désigné par mandat spécial (1); les consuls étaient assistés de jurés, suivant l'usage de l'époque, à ce tribunal étaient attachés des sergents, agents d'exécution, chargés d'assigner les parties et d'exécuter les ordres et les décisions consulaires, sans avoir à appeler le bayle (2); ils avaient le plein  exercice de l'office de sergenterie.

Dans la bastide, à côté des juridictions municipales, fonctionnaient des juridictions relevant du seigneur, fondateur de la bastide.

Le bayle, représentant du seigneur, en fut le président; cette juridiction fut appelée cour du bayle; sa compétence était étendue, elle jugeait les affaires civiles et les affaires criminelles.

Suivant les traditions, le bayle ne jugeait pas seul; il était assisté de jurés, choisis soit parmi les prud'hommes, soit parmi les consuls. On a donc pu dire de ces derniers qu'ils pouvaient siéger dans les juridictions locales, soit comme juges, soit comme jurés; et même, dans certains endroits, les consuls furent-ils choisis, soit de préférence, soit exclusivement, pour exercer les fonctions de jurés.

Le bayle était le président de la cour; souvent il se faisait suppléer par son lieutenant, qui, comme son représentant, avait les mêmes fonctions que lui et devait prêter serment de fidèlement les remplir (3).

 

(1) Item curia consulum debet teneri ad diem veneris, in quolibet septimana, per ipsos consules, vel unum eorum vel pro eorum procuratore ad hoc specialiter designato... Ces complémentaires de Bénevent, empruntées aux usages non écrits de Ste-Foy la Grande. (Fol. 8 v°, col. 1.)

(2) Item duo servientes, electi per consules debent eis concedi per Senescallum; quilibet eorum negocia et sententias consulatus, eum opus fuerit, et per eorum aliquem requisiti fuerint executantur, non requisito bajulo et illi duo servientes possunt arma portare et ut alii servientes bajuli servientarium officium exercere (Cout. de Bénevent, loco cit., fol. 9). Comp. pour Villefranche du Périgord, ord. de 1357, art 3, O.R.F., III, p. 210.

(3) « Item locum tenens bajuli debet jurare bajulo in presencia consulum, si hoc consules pecierint » (Cout. de Bénevent, fol. 14).

 

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Mais, dans nos bastides, comme dans les grandes villes, le bayle ne conserva pas exclusivement ses fonctions judiciaires; les emplois multiples auxquels il était préposé, étaient souvent un obstacle à ce qu'il pût conserver son rôle de juge; souvent il était chargé de plusieurs baylies, comment aurait-il pu, dans ce cas, remplir ses fonctions judiciaires avec la régularité nécessaire; fermier de la baylie, intéressé à en augmenter les revenus, comment aurait-il pu rendre une bonne justice? Aussi, de bonne heure, admit-on que le bayle ne remplirait ses fonctions judiciaires qu'avec l'aide et en présence d'un juge qui devait l'assister, dans les actes judiciaires; on le constate dans presque toutes les villes, Toulouse, Montpellier, Carcassonne; pour Castel-Sarrazin, Moissac en 1203 (1).

Or bientôt, il fut admis que le juge, assistant le bayle, pourrait juger sans le bayle et ainsi se forma une juridiction parallèle à celle du bayle qui au XIVe siècle se rencontra dans la plupart des bastides.

Nous le constatons pour Bénevent, où, à côté du bayle, nous trouvons le Judex ordinarius; l'analogie est donc frappante entre nos bastides et les bastides toulousaines; faut-il s'en étonner, les coutumes de Bénevent suivent les usages de Sainte-Foy-la-Grande, fondation d'Alfonse de Poitiers,

 Mais la création du Judex ordinarius n'amena pas suppression de la Cour du Bayle: celle-ci conserva sa compétence, et au criminel et au civil; elle continua à fonctionner avec l'assistance de jurés avec un greffier et des sergents, comme agents d'exécution.

L'assistance de jurés s'est maintenue plus longtemps en matière criminelle, elle tomba rapidement en désuétude au civil.

La Cour du Bayle au civil, et c'est le point important à

 

(1) Fragment d'enquête cité par Boutaric, p. 210 (loco citato): publicavit infra scriptos testes P. Imbertus de Castlario, in curia domini Raimundi Comitis Tolose, coram Poncio de cerveria, ejusdem domini comitis bajulo in castro Castlari, assistente ei Petro Fulcidio judice (Archiv. nat. J, 223, n° 62)

 

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remarquer, formait la juridiction de droit commun, à moins qu'un texte formel la déclarât incompétente, par exemple pour la vente des immeubles en justice, à laquelle le bayle ne pouvait procéder que sur mandat du juge supérieur (1).

A côté de la juridiction du bayle s'était formée et développée la juridiction du judex ordinarius; si leur compétence fut de même étendue au début, on peut supposer que les connaissances juridiques firent préférer ce dernier par les justiciables, et, dans la suite, le judex ordinarius en arriva à avoir une juridiction propre, en certaines matières, à l'exclusion du bayle (2).

La prépondérance du judex ordinarius fut telle, que dans certains endroits, notamment à Benevent (3), il fut juge d'appel pour les décisions émanées du bayle. Cet appel pouvait aussi être porté devant le Sénéchal; il nous est impossible de dire si cette disposition fut suivie dans toutes les bastides, mais un point certain, et qui est vrai pour toutes les bastides, est l'organisation hiérarchique des juridictions; pour la sauvegarde des intérêts des justiciables, on admit pour le plaideur qui croirait avoir à se plaindre, soit de déni de justice, soit de mauvais jugement, le droit de porter l'affaire par voie d'appel, à une juridiction supérieure.

Les juridictions des bayles et des consuls formaient les juridictions inférieures; l'appel de leurs décisions était porté devant

 

(1) Item bajulus potest cognoscere de omni causa civili prout judex ordinarius per se et re criminali consulibus vocatis vel majore parti eorumdem (Fol. 14 v°, col. 1). Item bajulus, si et per ut mandetur per superiorem potest rem immobilem subhastatam vendere vel vendi facere, aliter non. Ces de Bénevent (fol. 13 v°, col. 1.)

(2) Item judex ordinarius vel ejus superior solum possunt et debent, si requiantur, bonis vacantibus et minorem de tutore vel curatore prout eorum aetas exigat, providere emancipationem concedere et (les scellés) ... cum juris solempnitate in causis in quibus fuerint apponenda -- tamen bajulus ad litem tantum minorum providet curatorem, (Ces de Bénevent, fol. 9).

(3) Item ab audiencia bajuli appellatur ad judicem ordinarium vel senescallum... Ces de Bénevent (fol. 9 v°, 2° col.).

 

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les juridictions supérieures, Sénéchal et Cour du fondateur de la bastide.

Arrêtons-nous donc à la juridiction du Sénéchal, qui fut, pour toutes les bastides, une juridiction supérieure ou d'appel, devant laquelle on porta les appels des décisions émanées des bayles et des consuls.

 

c) Sénéchaux

 

Les Sénéchaux furent pour le midi, ce qu'étaient les grands baillis pour le nord (1).

Leurs fonctions furent nombreuses et de nature diverse. Ils étaient préposés à l'administration des domaines du Seigneur, à la gestion de ses revenus; ils nommaient directement les agents inférieurs placés sous leurs ordres et remplissaient dans la sénéchaussée des fonctions politiques, administratives, militaires et judiciaires.       

Ils apparurent certainement dans le comté de Toulouse au XIIme siècle et à partir du XIIIme siècle les comtes de Toulouse eurent un sénéchal par diocèse (2).

Quelquefois le sénéchal avait dans son administration plusieurs provinces: en 1250 Alfonse de Poitiers avait réuni l'Agennais et le Quercy sous l'autorité d'un sénéchal unique, sénéchal d'Agennais et de Quercy.

Les rois de France, héritiers des comtes de Toulouse, maintinrent cette organisation pour le comté de Toulouse, comme aussi dans les autres provinces, pour la surveillance de leurs droits et de leur autorité, ils eurent des sénéchaux préposés

 

(1) Si l'expression sénéchal leur est généralement appliquée, quelquefois on les nomme bayles ou baillis; mais pour marquer l'importance de leurs fonctions et les distinguer de celles des bayles, agents administratifs préposés aux baylies, on les appela baillis supérieurs; les bayles, préposés aux baylies, étaient les baillis inférieurs.

(2) Sénéchal de Toulouse en 1210; sénéchal d'Agennais à la même époque sénéchaux de Rouergue en 1226; de Quercy en 1229; d'Albigeois en 1236.

 

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soit à une province déterminée, soit à plusieurs, et ainsi suivant les époques, nous trouvons des sénéchaux du roi de France sous les titres suivants: sénéchaux du Limousin, Périgord et Quercy; sénéchaux du Périgord et Quercy, etc. (1). A la même époque, les rois d'Angleterre, pour les nombreux territoires que les guerres ou les traités leur avaient concédés (notamment traité de 1258 avec saint Louis et du 25 mai 1279 avec Philippe le Hardi, cession des trois évêchés, Périgord, Limousin et Quercy et plus tard de l'Agennais) avaient organisé de grandes sénéchaussées, dont le nom et le nombre ont varié suivant les époques, et qui ont compris une ou plusieurs provinces: C'est ainsi que nous trouvons un sénéchal de Gascogne, un sénéchal de Saintonge, un sénéchal d'Aquitaine, un sénéchal d'Agennais, un sénéchal de Périgord, etc. (2).

Mais, suivant l'organisation donnée à ces territoires, si les Anglais y avaient leurs sénéchaux particuliers, les rois de France avaient dans les mêmes territoires les leurs pour la sauvegarde de leurs droits respectifs: ainsi pour une même province, le Périgord par exemple, on trouve à la même époque et un sénéchal pour le roi d'Angleterre, et un sénéchal pour le roi de France. On comprend la rivalité et les conflits que faisait naître une telle situation.

« Les vastes domaines du roi d'Angleterre étaient gouvernés avec une habileté consommée; les officiers de Edouard Ier, Jean de Grailly et Lucas de Tany, sénéchaux

 

(1) Voir la liste des sénéchaux des rois de France, sous les règnes de saint Louis, Philippe le Hardi et Philippe le Bel par Léopold Delisle, introduction, p, 201, t. XXIV, collection des Historiens de France.

(2) Comp. pour le Périgord, province souvent rattachée au Quercy et au Limousin la liste des sénéchaux anglais dressée par M. Philippe de Bosredon (Bulletin de la Société archéolog. et Hist. du Périgord, t. XVIII, p, 420); les renseignements fournis par les Rôles Gascons permettent de combler quelques lacunes; pour notre époque, il faut ajouter Guillaume Raymond de Saint-Dizier (R. G., t. II n° 272); Bertrand de Ciconiis (ou Cigomiis) en 1249 fut sénéchal du Limousin, Périgord et Quercy (R. G. t. II, n° 254 et 255.) Ebles IV, vicomte de Ventadour, sénéchal du Limousin, Périgord et Quercy en 1274 (R. G., t. II, n° 26).

 

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de Gascogne; Thomas de Sandwich, sénéchal de Ponthieu; maître Bonet de Saint-Quentin, qui fut chargé, en 1285, de la réforme administrative du Duché; maître Raymond de la Ferrière, ont été en effet des hommes pleins de zèle et de mérite. Ils ont laissé beaucoup plus de témoignages de leur activité que les baillis et les sénéchaux de France. Les rapports très détaillés qu'ils adressaient à Londres sur l'état de leurs circonscriptions et sur les nouvelles politiques du jour, prouvent que, non contents d'établir systématiquement une ligne défensive de bastides sur les frontières du Duché et de distribuer aux villes des chartes de franchise très libérales, ils se préoccupaient d'informer leur prince de tout ce qui lui importait de savoir... Les lettres des sénéchaux anglais sont pleines de consultations, de nouvelles et de conseils de cette espèce. Edouard Ier ne manquait pas d'y répondre et il envoyait à ses agents, à propos de chaque affaire, des instructions précises (1)... »

Avec un pouvoir central faiblement organisé, les sénéchaux étaient les véritables maîtres du pays; aussi tant les rois de France que les rois d'Angleterre portèrent leur attention, et de bonne heure, sur les sénéchaux, pour déterminer leurs pouvoirs et empêcher les abus d'autorité.

«  Avant d'entrer en fondions, les sénéchaux prêtaient serment d'être fidèles et loyaux dans leur office, de rendre une exacte justice à chacun, sans acception de personnes, selon leur conscience et leur pouvoir, de ne recevoir aucun don de leurs administrés, ni eux, ni leur femme, ni leurs enfants, ni les gens de leur maison. En outre dans les états d'Alphonse, ils juraient, ainsi que les autres officiers du comte, d'observer un règlement dans lequel étaient insérées les

 

(1) Ch. V., Langlois, le Règne de Philippe III le Hardi... Paris, 1887, et pièces justificatives, principalement nos VII, p. 424; XIV, p. 433; XVII, p. 435; XIX, p. 438. Nous espérons que la publication projetée des lettres des rois d'Angleterre de 1272 à 1485 (Annuaire-bulletin de la Société de l'Histoire de France, année 1906, p, 51) aidera à combler les lacunes de notre étude.

 

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principales libertés civiles du Languedoc, libertés qui furent confirmées pour toute cette province par une ordonnance de Louis X, de l'an 1315        

Les sénéchaux ne restaient pas longtemps à la tête de la même province, on craignait qu'un long séjour ne leur fit contracter des amitiés qui auraient amoindri leur zèle pour le prince et apporté des obstacles à leur bon gouvernement. Ils ne devaient pas épouser une femme de leur sénéchaussée. Quand ils quittaient leurs fonctions, ils étaient tenus de rester un certain temps dans le ressort de leur ancienne juridiction pour repondre aux accusations qui seraient portées contre leur conduite ou leur administration (1) ».

Ces règles sont condensées dans l'ordonnance de Saint-Louis, en 1254 (2) pour la réformation des deux sénéchaussées du Midi et dans un règlement du comte Alphonse sur le même sujet (3).

Les rois d'Angleterre ne furent pas moins que les rois de France soucieux de fixer les règles de l'administration; de là de nombreux règlements et ordonnances rendues à diverses époques: citons l'ordonnance de Edouard II du 7 août 1319, qui réforme la justice, et présente un air de famille avec les ordonnances de nos rois sur le même sujet (4).

Les fonctions judiciaires des sénéchaux, les seules que nous ayons à étudier ici, doivent être distinguées en deux groupes. Les sénéchaux avaient en certaines affaires, une compétence exclusive, et agissaient comme juges; en outre, ils étaient juges d'appel pour toutes les décisions émanées des juridictions inférieures (5).

 

(1) Edg. Boutaric, loc cit., p. 538 et 539,

(2) Ordre de Saint-Louis, 1254 (Histoire du Languedoc (édit. Privat)).

(3) Règlement d'Alphonse, comte de Poitiers et de Toulouse (Histoire du Languedoc (édit. Privat)).

(4) Voir livre des Bouillons, (arch. de Bordeaux), p. 51 et 52, la ordenation que fet nostre senhor lo rey de sos officiers (7 août 1319) et Ord. de 1323 d'Ed. II (Rymer, t. II, part. 2, p. 61, 62).

(5) Cette distinction des pouvoirs des sénéchaux était suivie en France, comme en Angleterre. Comp. requêtes des représentants d'Edouard II à Philippe le Bel (vers 1310), Ch. V. Langlois, textes relatifs à l'Hist. du Parlement... p. 188.

 

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§ 1. Sénéchaux juges de 1ere instance

 

Il y aurait erreur à considérer les sénéchaux, comme investis du droit de juger les conflits se produisant entre les personnes nobles, car nous avons constaté antérieurement que les juridictions municipales, bayle et consuls, avaient une juridiction s'étendant, sans distinction de personnes, tant aux nobles, donzels et bourgeois (1).

Les sénéchaux étaient les gardiens des droits du seigneur, et si l'intérêt du prince, comme chef, était engagé, les sénéchaux devenaient compétents: ainsi, ils avaient à connaître des plaintes portées par les vassaux du comte ou du roi, contre ceux qui les troublaient dans la possession de leur fîef; et pour déterminer l'étendue du fief concédé (2); dans la suite, à partir de Philippe le Bel, on attribua aux sénéchaux la connaissance des affaires domaniales et fiscales, dont la solution pouvait compromettre la fortune ou les prérogatives du prince (3).

En 1315, Louis X voulut que les causes fiscales inférieures à 100 livres tournois fussent jugées par les sénéchaux.

Les sénéchaux siégeaient assistés des juges locaux, de jurisconsultes, des membres de la noblesse et de la bourgeoisie; à leurs assises étaient publiées les ordonnances royales, étaient données les vidimus des lettres royales.

En matière criminelle, ils jouissaient d'une compétence, qui alla s'augmentant avec le temps; ils intervenaient dans toutes les affaires, qui formèrent dans la suite des cas royaux (les meurtres sur les chemins publics par exemple), les atteintes à la paix publique (délit de port d'armes, etc.) et, plus tard, les crimes de lèse-majesté.

 

(1) Villefranche de Périgord, c. de 1261,

(2) Nos duximus ordinandum quod omnes et singulae causae propietatem nostram tangantes coram vobis (senescallis) in vestra curia ventilentur et diffiniantur (ord. R. de F. t. XII. p. 416).

(3) Mêmes règles pour les possessions anglaises, R. G., t. II, n° 389, le sénéchal de Gascogne connaîtra des difficultés entre des vassaux du roi.

 

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Les Sénéchaux étaient les supérieurs hiérarchiques des bayles et autres agents inférieurs; à l'issue de leurs assises, ils recevaient les plaintes que l'on portait contre ces officiers et les jugeaient sommairement et sans délais (1).

 

§ 2. Les Sénéchaux juges d'appel

 

Les Sénéchaux étaient juges d'appel des décisions rendues par les juridictions inférieures (bayles et consuls, viguiers et jugeries); mais les Sénéchaux, qui conservèrent la prérogative de présider la Cour du Sénéchal, perdirent bientôt le droit de juger eux-mêmes: il leur fut attribué un magistrat (2) (juge mage ou juge d'appeaux) pour vider les appels portés devant la Cour du Sénéchal; à certaines époques, il y eut un juge d'appel pour les affaires civiles et un pour les affaires criminelles.

La même hiérarchie dans les juridictions se trouve dans les provinces anglaises: au premier degré, les bayles et les juridictions municipales; avec cette observation pour celles-ci que tandis que dans les bastides les consuls en avaient l'exercice, dans beaucoup de villes du sud-ouest et de l'ouest des possessions anglaises on rencontre le major, ou maire, qui, assisté de jurats, avait l'exercice de la juridiction municipale.

Comme juge d'appel, le Sénéchal et son juge mage sont souvent mentionnés dans les textes (3); il serait facile d'apporter de

 

(1) Audiat (Senescallus) querimonias contra judices bajulos et alios officiales dictae judicaturae summarie et de plano et excessus ipsorum corrigat et faciat emendare. Arch. nat. J. 329, n° 43. Même règle pour les possessions anglaises. R. G., t. II, n° 1161 in fine.

(2) Il ne faut pas confondre ce magistrat avec le lieutenant du Sénéchal; ce fonctionnaire, qu'on appelait quelquefois vice-sénéchal, remplaçait le sénéchal empêché, avait le même rôle, et est investi des mêmes fonctions que le Sénéchal lui-même; tandis que le juge mage avait des fonctions spéciales et déterminées et distinctes de celles du Sénéchal.

(3) En 1289, était juge mage en Agennais Magister Reymundus Sancii. R. G., t. II, n° 1008; et Reymond de Campagoe, sénéchal. R. G. t. II, n° 1063; le juge ordinaire d'Agen, en 1289, était Bernard Martin (experta fidelitate, sciencia et industria .... eumdem constituimus et ponimus nostrum judicem ordinarium Agenesii in tota diocesi supradicta, exceptis locis existentibus ultra Garonam qui non sunt de Castellaniis et assisiis locorum citra Garonam existencium, necnon in bastidis nostris Castri Sacrati et Montis Gandii et pertinenciis eorumdem.... (R. G., t. II, n° 1016). Il avait en cette qualité pour gages 200 livres tournois et la moitié des recettes du seing et du contre-seing. R. G., t. II, n° 1012; et le juge ordinaire ultra Garonam (partie non attribuée à Bernard Martin), était Jacques de Mons judex ordinarius terre Agennensis site ultra Garonum ex parte Condomi, et terrarum Regis Auxitane et Lectorensis dioceseum... pour un temps indéterminé (1289). R. G., t. II, n° 990, avec la garde des sceaux pour cette partie, avec un traitement de quatre-vingt livres tournois et la moitié des produits des sceaux (eod. loc. n° 991). Pierre Dupuy (Petrus de Podio) était juge au nom de l'Angleterre in partibus Petragoricensibus (R. G., t II, n° 270).

En 1387, il y avait un juge des appels civils et un juge des appels criminels Rymer, t. III, part 3, p. 37, et en 1399, sous Henri IV de Lancastre, Bertrand de Asta, docteur en droit, fut juge des appels civils, et Me Guillaume de Bouevve, juge des appels criminels.

 

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nombreuses preuves de cette organisation, nous nous bornerons à rapporter celle qui résulte d'un document des Rôles gascons, t. II, n° 1161, relatif à des difficultés intervenues entre le roi d'Angleterre et l'évêque d'Agen, au sujet du paréage existant entr'eux à l'occasion des haute et basse justices d'Agen.

Le texte commence par déterminer très exactement ce que comprenait le paréage relatif à cette justice commune au Roi et à l'evêque, dont les emoluments devaient être partagés par moitié entr'eux; le Roi interdit au sénéchal d'Agenais et à son juge, en faisant citer les personnes sujettes à cette juridiction commune, de frauder les droits de l'évêque.

Mais ce paréage ne devait pas s'étendre aux affaires dont la connaissance et la juridiction étaient dévolues au sénéchal d'Agenais, per appellationem vel alium modum: ce qui s'applique au cas où les plaideurs auraient confié la connaissance de leurs procès au Sénéchal ou à son juge, « qui talia sicut propria quoad cognicionem processum et judicium communicavi non debent ». Ces affaires restaient en dehors du paréage.

Pour l'exercice de cette justice commune en paréage, le

 

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roi d'Angleterre avait un bayle et l'évêque un autre. Ces bayles se prêtaient réciproquement serment de se communiquer et de se partager les émoluments de la justice commune.

Quant aux décisions judiciaires rendues par ces bayles, l'évêque affirmait que, de tout temps, on en avait autorisé l'appel, soit au lieutenant du roi, soi à l'évêque et ensuite au sénéchal; le roi fait remarquer que cette pratique, bien qu'établie sur d'anciens écrits, paraît contraire au paréage et à ses effets (licet hoc contra jus et naturam dicti pariagii videretur), mais il en maintient l'application sous certaines réserves. En conséquence, si l'appel est fait au sénéchal, celui-ci se dessaisira, au profit d'une personne désignée par le roi et l'évêque, comme seigneurs en commun à Agen.

Mais s'il arrivait que l'on vînt à annuler ou à abandonner ces premiers appels, alors il serait appelé de ces bayles au sénéchal d'Agen et à son juge, sine aliquo medio.

L'appel au sénéchal des jugements rendus par les juridictions inférieures restait donc la règle, et il serait facile d'en fournir de nombreux exemples.

La cour du sénéchal n'était pas attachée au siège de la sénéchaussée, elle s'y réunissait ou en tel autre lieu choisi par le sénéchal; mais, quelquefois, par privilège spécial et pour rapprocher le juge du justiciable, les assises du sénéchal devaient être tenues en un lieu déterminé: Villefranche-du-Périgord jouissait d'un semblable privilège, implicitement reconnu par Alfonse de Poitiers en 1261, et consacré par l'ordonnance de février 1357 (O.R.F., t. III, p. 210); le sénéchal de Périgord devait tenir ses assises, tous les six mois à Villefranche-du-Périgord, pour y juger les appels provenant de ladite ville ou de ses dépendances; là et non ailleurs (à moins de consentement contraire des parties) devaient se poursuivre et être terminées les instances d'appel (1).

 

(1) Le texte des ordonnances dit; sine debito, que les éditeurs ont traduit par les mots: sans frais. Nous croyons qu'il faut lire fine debito, c'est-à-dire sans autre voie de recours possible.

 

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§ 3. Appel au seigneur suzerain de la bastide

 

L'appel au sénéchal n'etait pas le seul recours admis à notre époque; en vertu du principe que toute justice relève du seigneur, on avait été amené à admettre que les justiciables pouvaient délaisser les juridictions ordinaires et porter l'affaire devant le seigneur.

Cette pratique fut suivie et au temps d'Alfonse de Poitiers et sous les rois d'Angleterre.

Nous trouvons, dans les lettres d'Alfonse, la preuve de ces recours directs à sa justice; le prince, la plupart du temps, renvoyait ces plaintes au sénéchal du lieu avec ordre d'y faire droit et de juger avec équité (1).

Cette tendance, chez les particuliers, à délaisser les juridictions établies et à recourir directement au suzerain avait les plus graves inconvénients; le comte Alfonse la réglementa par une ordonnance du 12 juillet 1269 (2) adressée au sénéchal de Poitiers et notifiée à tous les sénéchaux: le comte rappelle qu'il a institué pour rendre la justice des fonctionnaires intègres, offrant aux justiciables toutes garanties, il ne peut admettre qu'on les délaisse pour aller chercher loin la justice que l'on a à sa portée (2).

Aussi pour remédier aux inconvénients nombreux qui résultent de cette pratique, Alfonse décide qu'aucun de ses sujets, dédaignant les juridictions ordinaires, ne pourra recourir à

 

(1) Correspondance administrative d'Alfonse de Poitiers (Collection des docum. inédits) 2 vol. in-fol., publiée par A. Molinier, prof. à l'Ecole des Chartes, n° 6 et 13.

(2) Texte de l'ordonn. loco cit. n° 1006; le mandement au sénéchal d'Agenais, n° 1554.

(3) ...longuo itinere emenso pro justicia impetranda nos cogantur adire, quam commodi assequi possunt in suis laribus et domiciliis constitutis..., n° 1006, Corresp.

 

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lui qu'au cas de déni de justice, régulièrement établi, et au cas d'appel légitimement fait.

Les sénéchaux devaient donner à cette ordonnance la publicité plus grande, la porter à la connaissance du public dans leurs assises, et partout où besoin serait.

Les Rôles Gascons nous permettent d'affirmer que cette pratique était suivie en Angleterre. Nous la voyons suivie dans une affaire criminelle rapportée au n° 987, t. II, R. G.

Un assassinat avait été commis à Bayonne sur la personne de Pierre de Ville, fils de Laurent. Sur la plainte des frères et parents de la victime, Jean de Havering, sénéchal du duché d'Aquitaine, après enquête et information, avait prononcé la détention perpétuelle contre Guillaume Robert, principal accusé et d'autres peines contre ses complices.

Appel fut interjeté au roi, qui déclara ne pas vouloir le recevoir, pour motifs déterminés. Le père de Robert s'adressa au roi, après avoir renoncé à son appel: « Ut.... contra sentenciam predictam, que summam iniquitatem continebat et duriciam, dignaretur misericorditer oportuno remedio subvenire pro sue libito voluntatis », sur quoi le Roi statua en modifiant la peine et les conditions qu'acceptèrent toutes les parties.

Il n'en restait pas moins admis qu'aux cas de déni de justice et de mauvais jugements, les parties pouvaient appeler de la décision du sénéchal à la cour du maître du pays, et cette règle s'appliquait quel que fût le suzerain.

Pour les bastides créées par Alfonse de Poitiers, l'appel des décisions du sénéchal était porté devant le prince ou devant sa cour souveraine; pour les bastides anglaises, au roi d'Angleterre, duc de Guyenne, ou à sa cour souveraine; pour les bastides fondées par le roi de France, au Roi et à son parlement. C'était la pure application de la théorie féodale, suivant laquelle les juridictions formaient une hiérarchie, et où l'on pouvait appeler de la juridiction inférieure à la supérieure.

Disons quelques mots du fonctionnement de cet appel.

 

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Au cas d'appel au comte Alfonse, celui-ci le plus souvent renvoyait les plaideurs devant une personne déterminée, chargée de prononcer la sentence définitive; le délégué avait les pouvoirs souverains du prince délégant, aucun appel n'était recevable contre sa décision; il était chargé de terminare le procès fine débito.

Parmi les exemples nombreux que nous font connaître les lettres d'Alfonse de Poitiers, nous citerons la commission, à suite d'appel au Prince d'une décision du sénéchal d'Agenais et Quercy, relativement à une difficulté soulevée par la communauté des habitants de la bastide de Castel Seigneur (Agenais); l'affaire fut renvoyée au prieur du Port Sainte-Marie (Prior secularis ecclesie Beate Marie de Portu, Agenensis diocesis) pour rendre une décision définitive (commitimus causam audiendam et fine debito terminandam (année 1269) (1); et la commission donnée à Rigaud Bel (2) avec mandement spécial d'examiner la difficulté avec attention et de donner une sentence définitive (mandantes quatinus dictam causam audiatis diligenter et fine debito terminetis (15 juin 1269), et cela à suite d'un appel au prince par un bourgeois de Montcuq, Bertrand de Gairac, en procès avec Raymond de Silhol, à l'encontre d'une sentence émanée de Pierre Raymond Foucauld, judicem datum a senescallo Agenensi et caturcensi.

Ce procédé n'allait pas sans faire naître des difficultés, comme en témoignent les lettres d'Alfonse de Poitiers (3); il paraît, malgré cela, avoir été pratiqué très fréquemment: il donnait aux plaideurs un juge de leur pays; leur économisait des frais (4);

 

(1) Loco citato: Correspondance, n° 1537.

(2) Probablement juge de Toulouse en 1264 (Hist. du Languedoc, (édit. Privat), t. VIII, p. 1528.)

(3) Correspondance.., n° 285, 900, 901, 844 et surtout 1226, qui présente un cas difficile à concilier avec la régle de Droit écrit, que dans une même affaire on n'admettait que deux appels successifs.

(4) Corresp., n° 2082.

 

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au reste le comte ne perdait pas de vue l'affaire, et veillait à ce qu'aucun empêchement ne fût apporté à l'exécution de son mandement (1).

Cette pratique, quelque générale qu'elle fût, n'empêchait pas que l'appel d'une sentence du sénéchal ne pût être porté devant la cour souveraine ou parlement du comte.

Nous avons des citations adressées aux plaideurs pour comparaître devant le parlement du comte (2).

De là des déplacements onéreux pour les parties; les plaideurs arrivaient quelquefois après la clôture du parlement, aussi, en 1270, Alfonse promit-il à ses sujets méridionaux de déléguer les gens de son conseil pour aller sur place juger les appels, et il existe des rôles des arrêts rendus à Toulouse par les gens du conseil d'Alfonse (3).

A côté de ces juridictions, assurant, grâce à cette réglementation, une exacte justice à tous, il faut rappeler qu'Alfonse de Poitiers, à l'imitation de son frère saint Louis, envoya souvent dans ses domaines des clercs ou autres officiers, chargés d'enquêtes ou de missions spéciales. Après avoir constaté les défectuosités de l'ordre administratif ou judiciaire, ils proposaient les mesures nécessaires pour les faire disparaître et réprimaient sévèrement les excès des officiers du prince.

Le rôle des enquêteurs contribuait à assurer à tous une exacte justice; il nous suffit de cette mention, nous ne saurions insister davantage à ce sujet.

Des règles analogues étaient suivies dans les provinces anglaises; contre les décisions du Sénéchal, l'appel était recevable devant la cour souveraine du duché; parmi les documents des Rôles Gascons, nous choisissons comme

 

(1) Corresp., n° 1606.

(2) Corresp., n° 867.

(3) Corresp., n° l406.

(4) Dans le tome XXIV du Recueil des Historiens des Gaules, M. Léop. Delisle vient de donner une édition complète des enquêtes faites sur l'ordre de saint Louis et d'Alfonse de Poitiers.

 

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exemple le n° 267, t. II, dans lequel on appelle d'une décision du Sénéchal super juris defectu, pour déni de justice, in curia nostra Burdigalae, dit le Roi, et l'appel pouvait être porté devant le parlement d'Angleterre.

Ce fut la procédure suivie à l'occasion de l'opposition faite à la construction de la bastide de Sauveterre par Jean de Grilly et Alexandre de la Pebrée, seigneur de Bergerac; en présence de l'opposition, le roi fit suspendre la construction et chargea les magistrats Adam de Norff et Jean des Forges de faire une enquête dont les résultats devaient être soumis au parlement après Pâques « ... inquiratis plenius veritatem, et quid super hoc inveneritis, ad dictum parleamentum (post Pascham, n° 523), nobis fideliler haberi faciatis (1) ».

Souvent, au cas d'appel à la cour souveraine, le roi renvoyait l'examen de l'affaire à un commissaire spécial qui, jugeant aux lieu et place du Roi, rendait une décision définitive, et contre laquelle aucune voie de recours n'était recevable; cette pratique avait été suivie à l'époque d'Alfonse de Poitiers, et pour ses possessions; les rois d'Angleterre l'ont pratiquée pour leurs possessions de France (2).

Pour les bastides relevant et fondées par le roi de France, l'appel contre les décisions du sénéchal était porté devant le Parlement de France, cour souveraine du fondateur; c'était ici l'application du principe féodal, que d'une juridiction inférieure on pouvait en appeler à une juridiction supérieure relevant du même seigneur.

Au reste, ce principe ne fut pas accepté sans de grandes difficultés; c'était contraire à la règle de la souveraineté du

 

(1) R. G., t. II, nos 523 et 527.

(2) Comp. R. G., t. II, nos 563, 645, 631, 632, et sur des difficultés relatives à ces commissions. - Comp. n° 586, et le procès rapporté par Rymer, t. III, prat. 4, p. 51 entre le couvent de Sainte-Croix de Bordeaux et Bertrand du Caillau; l'appel au roi fut renvoyé à l'archevêque de Bordeaux assisté de deux Hommes de Loi.

 

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juge: de là les entraves apportées à l'exercice de ce droit, les avantages faits pour provoquer les renonciations à rappel.

Mais un autre principe s'établit bientôt. Du roi de France, suzerain du royaume, relevaient toutes les justices, et la conséquence fut que l'appel des décisions seigneuriales pouvait être porté devant le suzerain supérieur. Par exemple, on pouvait appeler au Parlement de France des décisions rendues par les juridictions du comte de Toulouse et de Poitiers (tant que ces comtés ne furent pas réunis à la couronne), et des décisions rendues par les juridictions anglaises dans les provinces de France, on pouvait appeler au roi de France, suzerain du duc de Guyenne et d'Aquitaine, en vertu des traités de 1258 et de 1279, et qui avait réservé le ressort, c'est-à-dire la supériorité judiciaire sur les provinces cédées.

Ce principe apparaît de bonne heure, il était en pleine vigueur au XIIIe siècle, il n'a jamais été contesté dans son principe et nous en avons de nombreuses applications (1); il intéresse nos bastides fondées par les Anglais, comme leurs possessions en Gascogne, Saintonge, Aquitaine et Ponthieu. On nous permettra d'y insister un instant.

Ces appels au Parlement de France des sentences rendues par les juges seigneuriaux furent admis par le Parlement et même provoqués par les officiers du Roi « qui saisissaient avec empressentent toutes les occasions d'établir la prééminence et la souveraineté de leur maître (2) ».

Les rois d'Angleterre, presque indépendants dans leurs possessions de France, mais rattachés à la couronne de France par l'hommage que leur avait imposé le traité de 1258 avec saint Louis, furent obligés de permettre à leurs sujets d'appeler au

 

(1) Le nombre d'appels au Parlement de France contre des décisions des juridictions anglaises est fort considérable; nous empruntons un certain nombre d'exemples aux Rôles Gascons, t. II, n°s 263, 267, 366, 407, 473, 547, etc., sans compter les grandes causes historiques connues de tous.

(2) Edg. Boutaric, Bib. Ecol. de Chartres, 1856, p 98.

 

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Parlement de Paris des sentences des sénéchaux anglais de Guyenne, et en matière civile et en matière criminelle.

Le principe était certain; et le roi de France avait un intérêt politique de premier ordre à en assurer l'application: « C'etait l'indice le plus frappant que la souveraineté du roi de France était partout présente et partout protectrice du droit; rien n'était plus propre à populariser l'idée monarchique jusqu'au fond des provinces féodales où il suffisait de dire désormais: J'EN APPELLE, pour suspendre incontinent l'exécution des jugements et en briser l'efficacité entre les mains des officiers seigneuriaux (1) ».

A diverses époques, les rois d'Angleterre cherchèrent à atténuer les conséquences de l'appel; mais la fermeté du Parlement soutint très efficacement, sur ce point, les droits du Roi de France.

En juillet 1286, Philippe le Bel pose très énergiquement le principe, que le Parlement de France peut être saisi, par voie d'appel, des décisions rendues par le duc d'Aquitaine, ses sénéchaux ou ses lieutenants « quod occasione cujuscumque appellationis ab ipso vel senescallis suis seu eorum loca, tenentibus »; à toute personne intéressée était ouvert l'appel au roi de France ou au Parlement « ad nos seu curiam nostram per quemcumque super iniquo falso et pravo judicio vel deffectu juris seu quocumque alio modo interposite vel interponende... » Le principe ainsi formulé, le roi de France accorda à Edouard Ier des privilèges spéciaux et, pour sa vie durant: 1° Qu'au cas où l'appel serait reconnu fondé en droit, luy (le duc d'Aquitaine), ne ses senechaux, ne leurs lieutenants, en paine, ne en forfaiture, ne en amende vers nous chieent »: c'était leur faire une grande faveur; car tout plaideur succombant en appel avait à payer l'amende.

 2° Par contre, on leur laissait, sur leurs sujets, la jouissance de tous les droits pécuniaires qui leur étaient attribués, au cas

 

(1) V. Langlois, Philippe III, p. 278.

 

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d'appel mal fondé « en forfaitures, en paines, en encourement et en touctes autres choses qui de ce li devront advenir ».

3° Et « Encore octroions nous à notre cher cousin, que des apiaux, qui vendront en nostre court de luy ou de ses sénéchaux, ou de leurs lieutenants, en quelques cas que ce soit, que nous les appelants renvoirons et leur donrons espace de trois mois dès le Hore qu'il seront requi de celi qui aura appelé de leur jugement amender et de faire droict, se défaut iert.

Et si nel font dedans le temps, si puissent les appelanz adonques retorner a nostre court et retenir droict en nostre court (1) ».

Ce dernier privilège atténuait, dans une mesure assez large, ce qu'avait de rigoureux l'appel à la cour du roi de France; puisque les tribunaux du duc d'Aquitaine pouvaient, en examinant à nouveau l'affaire, faire disparaître les griefs de l'appelant et rendre l'appel inutile. Dans la suite les rois d'Angleterre réclameront une prorogation de ce privilège.

L'appel à la cour du Roi, contre les décisions émanées des juridictions seigneuriales, avait au point de vue politique et judiciaire une très grande importance, il justifiait l'intervention du suzerain; il joua un grand rôle pendant la lutte de l'Angleterre et de la France. Qui ne se souvient qu'au moment où la France était le plus abattue, après le désastreux traité de Bretigny, ce fut un appel au roi de France, par les vassaux du roi d'Angleterre, qui entraîna la reprise des hostilités entre les deux pays et amena l'expulsion des Anglais du territoire français.

 

(1) Juillet 1286, appellations d'Aquitaine (en latin et en français) Ch. V. Langlois (n° XCVIII) textes relatifs à l'Histoire du Parlement depuis les origines jusqu'en 1314, Paris, Alfred Picard, 1888. Rapprochez les thèses de doctorat de M. Ch. V. Langlois: latine, de Monumentis ad priorem curiae regis judiciariae Historiam Pertinentibus (Paris, 1887); française: le Règne de Philippe III le Hardi (Paris 1887).

 

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Mais même en restant sur le domaine exclusivement judiciaire, l'appel au suzerain avait une grande importance: si le principe en fut toujours admis, les autorités anglaises cherchèrent, par tous les moyens, à empêcher l'appel (1) ou à en paralyser l'exercice, et, en même temps, pendant les trêves, les rois d'Angleterre s'efforcèrent d'obtenir du roi de France des adoucissements à son fonctionnement (2).

Il faut rendre cette justice à nos hommes d'Etat et à nos juristes, qu'ils surent, grâce à l'appel au Parlement, faire sortir du principe des traités de 1258 et 1279, à savoir que le roi d'Angleterre, pour ses possessions de France, était le vassal du

 

(1) Item Fuit dictum quod appellantes ad curiam Francie a Curia regis Angliae incar cerabantur et male tractabantur ita quod homines non audebant appellare (Parl. 1285, Ch. V. Langlois, Monumentis ..., p. 97, textes, p. 121).

D'autres fois, avant de rendre le jugement, on saisissait les biens du condamné « ut sic, appellacione durante, appellans careret bonis suis, (eod. loc., p. 97, textes, p. 121); dans un procès, il fut allégué quod pendente appellacione aliqua fuissent capta de bonis dictorum appllantium (loco. cit., p. 98). Dans une autre affaire, le sénéchal du Périgord doit, sur mandat du Parlement, faire obtenir réparation au plaideur quod major Baione sibi fecerat post appellationem a dicto majore ad senescallum Vasconie et a senescallo Vasconie ad Curiam regis Francie interpositam, ipsum Johannem (l'appelant) capiendo, in prisione detinendo et ipsum redimendo ... (loco cit., page 100).

(2) Une étude complète des efforts faits par les rois d'Angleterre pour obtenir pendant les époques de paix des adoucissements aux règles et conséquences des appels au Parlement ne nous paraît pas devoir être abordée ici avec les détails qu'elle comporte; bornons-nous à proclamer que le roi de France, aidé de son Parlement, faisant fonctions de Conseil d'Etat, sut maintenir le principe de l'appel et ses conséquences: comparez les textes suivants empruntés et cités d'après Ch. V. Langlois: textes relatifs à l'Histoire du Parlement depuis les origines jusqu'en 1314, et principalement les décisions du Parlement en 1285 à la Pentecôte (n° LXXXVIII), privilèges accordés à Edouard Ier, en juillet 1286, relativement aux appellations d'Aquitaine (n° XCVIII); autres décisions sur le même sujet par le parlement en 1286 (n° XCIX); autres arrêts, Parlement de la Toussaint 1287 (n° XCIX bis); autres décisions relativement à certaines grâces en cas d'appels multiples, Parlement de 1288 (n° CI); requêtes des représentants d'Edouard II à Philippe le Bel au sujet des appellations d'Aquitaine, avec les réponses du roi de France, vers 1310 (n° CXXVII); et sur le même sujet, Parlement de la Saint-Martin 1313 (n° CXXX); et rapprochez les documents publiés aux numéros XCII, XCIII, CIII et CVIII.

 

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roi de France, toutes les conséquences politiques qui y étaient contenues; ils soutinrent énergiquement le roi de France dans ses réclamations et furent pour le pouvoir des auxiliaires très précieux dans la grande lutte de la France contre les Anglais, lutte qui, grâce au patriotisme de nos populations, aboutit à l'expulsion de l'Anglais du territoire de France.

Ce principe de la souveraineté du suzerain devant lequel on pouvait faire appel des décisions, émanées des juridictions de ses vassaux, il fut un moment où l'Angleterre, victorieuse de la France, put le méconnaître: c'est à la suite du traité de Brétigny; par cet acte diplomatique, la France avait abandonné toute supériorité et ressort sur les territoires possédés par les Anglais en France; mais sous certaines conditions à remplir par le roi d'Angleterre et qui ne furent jamais remplies, et, en conséquence, ces conditions une fois remplies, les appels au Parlement de France contre les décisions des juridictions anglaises seraient devenus impossibles.

Le roi d'Angleterre, à qui déplaisait cette dépendance, vis-à-vis du Parlement de France, s'empressa d'organiser, pour ses sujets de France, une cour souveraine, Curia superioratis Aquitaniae (Rymer, t. III, part. 2, p. 167); elle siégeait à Saintes, tenait le rôle du Parlement d'Angleterre et c'était devant elle qu'étaient portés les appels contre les décisions émanées de la cour ducale de Gascogne.

Mais comme les rois d'Angleterre n'avaient pas rempli les conditions du traité de Brétigny, les appels au Parlement de France furent encore possibles, après ce traité (1): ce fut à la suite d'un appel contre le roi d'Angleterre par le comte d'Armagnac, et par de nombreux vassaux du roi d'Angleterre, que la guerre se ralluma, et que les Anglais furent chassés de France. A partir de ce moment, les bastides furent toutes rattachées

 

(1) Comp. sur tous ces points, la désolation des églises et monastères de France pendant la guerre de Cent Ans, par le père Deniffle, Paris, Picard, 1900.

 

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à la couronne de France, constituèrent des villes royales, sous la suzeraineté du roi de France; celui-ci prit l'engagement de ne pas les faire sortir de ses mains; elles continuèrent à vivre sous leurs chartes confirmées par les rois; les décisions judiciaires rendues par les bayles et les consuls purent être frappées d'appel devant le sénéchal et l'appel des décisions des sénéchaux fut porté devant le Parlement de Paris.

 

B) Droit criminel des bastides

 

Un autre point très remarquable des chartes des bastides est la détermination des délits et des peines. Ici apparaît la préoccupation de maintenir le bon ordre de la cité; d'assurer la sécurité des personnes et des choses, de proportionner exactement la peine à la gravité du méfait, de s'éloigner des peines barbares et d'assurer à la victime la réparation du préjudice causé (1).

Des dispositions analogues se rencontrent dans les coutumes de toutes les bastides ou villes neuves; cependant, suivant les localités, le taux de l'amende varie quelquefois; mais le système général est identique dans toutes.

Ce point mérite de nous arrêter un instant, car il a une grande importance pour l'Histoire du Droit criminel. Tout le monde sait qu'après les invasions barbares, le Droit criminel en vigueur réalisa, au profit de la victime, le droit de vengeance, droit dont celle-ci fut exclusivement investie; que le pouvoir dans la suite réglementa l'exercice de ce droit; mais le droit pénal reposa toujours sur l'idée de vengeance. Dans ce système et dans ses développements, la peine du talion se rencontre sou-

 

(1) La détermination des peines pécuniaires avait grande importance dans la fondation de villes nouvelles; car si elles étaient moins élevées que dans les villes voisines, les habitants de celles-ci s'empressaient de venir habiter la ville nouvelle. Comp. Ce de Bourgogne qui signale ces conséquences, (Giraud, Essai sur l'Histoire du Droit Français, t. II, p. 278.)

 

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vent, et, peu à peu, les peines deviennent arbitraires et revêtent un caractère de cruauté marquée.

Le Droit criminel des bastides reproduit les principes du droit pénal déjà en vigueur dans les villes libres; ici, comme dans leurs coutumes, on constate la double conséquence de toute infraction: une peine, souvent sous forme d'amende pécuniaire, dont l'autorité avait les profits; la réparation du préjudice causé revenant à la victime.

Les législations modernes, en présence des faits criminels, ont organisé une double action, l'action publique et l'action civile. Le ministère public, représentant de l'autorité publique, exerce la première, en dehors de la victime, comme une prérogative essentielle et dans un intérêt purement social; ce n'est que pour certains délits où l'intérêt personnel prime l'intérêt social (diffamation, abus de confiance, adultère) que l'action publique est subordonnée à une plainte de la victime. Quant à l'action civile, elle n'appartient qu'à la victime et elle lui assure la réparation du préjudice causé.

A l'époque des bastides, au contraire, pour que l'action pénale fût mise en mouvement, on exigeait une plainte de la victime. C'était un vestige du système de la vengeance privée, une clamor de la victime était en général indispensable à l'exercice de l'action pénale; mais, dans quelques cas exceptionnels où l'intérêt général était engagé, on organisa la poursuite d'office par le magistrat.

Le droit pénal des bastides est surtout organisé en vue du bon ordre de la cité, pour la protection des personnes et des choses: la basse justice appartenait aux représentants de la bastide, et comprenait les infractions peu importantes, la haute justice était réservée au seigneur, fondateur de la bastide, et, dans nos chartes,il n'est fait que quelques allusions aux crimes les plus graves dont la répression lui appartenait exclusivement.

Mais, malgré cette distinction, les chartes de bastide révèlent l'application des deux principes base fondamentale des

 

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législations modernes: la détermination légale des faits punissables et de leurs caractères; la fixation des peines. Donc, à cette époque et dans nos bastides on pouvait dire: il n'y aura de délits que si le fait rentre dans les prévisions de la loi pénale; et, à l'occasion de ce délit, on ne pourra appliquer que la peine portée par la loi. Ainsi tout arbitraire était rendu impossible de la part des autorités: c'était la meilleure sauvegarde de la liberté des citoyens.

Ces observations générales présentées, parcourons les textes qui, dans nos chartes, se rattachent au droit pénal, et présentons, à leur occasion, quelques observations spéciales, en les rapprochant d'autres documents de la même époque.

Le coupable devait procurer à la victime la réparation du préjudice occasionné par l'infraction; mais si l'auteur du crime restait inconnu, et ne pouvait être découvert, qui fournira cette réparation? Nos chartes font peser sur les habitants de la bastide dans leur ensemble une responsabilité commune et générale, rappelant l'ancienne solidarité de la famille et du village « item, si arsinae vel alia maleficia facta fuerint occulta in dicta bastida, vel honore,  vel in pertinenciis dicte bastide, fiet per nos vel locum tenentem nostrum emenda, super hiis (1), prout consulibus dicte bastide videtur expedire, et dicta emenda levabitur et extorquetur ab habitatoribus dicte bastide, honoris et pertinentiis ejusdem ad arbitrium predictorum » (Art. 11, ce de Beaumont du Périgord (2)).

 

(1) Souvent le texte des chartes des bastides présente une formule finale un peu différente de celle de Beaumont: à partir des mots « super hiis » on trouve seulement secundum bona statuta et bonos usus et approbatos, diocoesis Agenensis (Villefranche-de-Périgord (1357), Valence, Villeréal et les autres bastides du territoire de cet évêché. Montchabrier secundum bona statuta et bonos usus approbatos in commitatu tholosano. Bénevent, secundum bona statuta et bonos usus approbatos Petragoricencis diocesis, etc: allusion aux in stitutions pour le maintiens de la paix organisées dans les divers diocèses. Comp. Comm. de Bordeaux art. 16. p.31 (livre des Coutumes (Archives de la Gironde), in-4°.

(2) Cette responsabilité des habitants de la bastide se rattache d'une façon certaine aux établissements de la Paix et des Paissiers, dans les évêchés, comme on peut l'induire des formules que l'on rencontre dans les chartes des Bastides: Villefranche-de-Périgord (Ces de 1261.): et si ne peut être trouvé l'auteur de l'infraction que l'amendent les hommes des paroisses dedans les dex de Villefranche et de la juridiction et de près (?) suivant l'établissement de la paix.

 

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Une infraction, rentrant dans la basse justice, et une plainte ayant été faite par la victime, il appartenait aux bayle et consuls, de faire faire les recherches et enquêtes nécessaires pour établir la culpabilité des auteurs. « Et le bayle et les consuls pourront faire inquisition de crysme et mal faict que sera faict en leur juridiction ou au chemin du peligri ou real, de toute cause que sia faisable toutefois n'estant cry ou d'homme mort (1) et si le faict se peult prouver par la dite inquisition qu'en fassent justice comme le cas méritera, selon le mal faict. » (Ce de 1261, fol. 16.)

Aux agents de la bastide (Bayle et Consuls) appartenait donc l'instruction criminelle, sur la plainte de la victime: ce qui comprenait l'arrestation du prévenu, s'il ne pouvait fournir caution de se présenter en justice; les enquêtes, les interrogatoires pour établir la responsabilité.

Les règles à suivre, dans cette procédure, ne présentent rien de particulier si ce n'est la volonté de rompre avec la pratique du duel judiciaire comme moyen de preuve; toutes les chartes présentent à cet égard une disposition remarquable « Item, quod nullus habitans in dicta bastida de quocumque crimine appellatus vel accusatus sit, nisi velit, se purgare teneatur vel deffendere duello, nec cogatur ad duellum faciendum, et si reffutaverit, non habeatur propter hoc pro convicto, sed appellans.si velit, probet crimen quod objicit, per testes vel per alias probationes juxta formam juris. » Beaumont de P. (art. 8), Villefranche de P., Villeréal, Valence.

Ainsi, tant dans l'intérêt du prévenu que contre lui, on

 

(1) Ces expressions font allusion à la compétence exclusive qu'avaient dans ce cas les agents du seigneur (à l'exclusion des consuls) auxquels revenait l'instruction dans les faits de haute justice.

 

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répudiait le duel judiciaire comme moyen légal de preuve; mais il pouvait y recourir, s'il le voulait, d'accord avec la victime (1); mais, provoqué en duel, le prévenu pouvait repousser l'offre; il n'en résultait pour lui aucune preuve de culpabilité; celle-ci ne pouvait résulter que des témoignages et des autres preuves, suivant les formes du droit.

Nos chartes prévoient comme délits punissables: les coups et blessures; les outrages et injures; l'adultère; les menaces avec armes; les vols; les dommages aux champs et certains délits spéciaux compromettant le bon ordre de la cité.

 

a) Coups et blessures

 

Les coups et blessures donnaient lieu à une organisation savante et bien comprise, de nature à proportionner la peine à l'infraction et à tenir compte des circonstances pouvant augmenter la culpabilité.

Quiconque frappera ou molestera un autre avec le poing, la main ou le pied, irato animo, ce qui implique l'intention criminelle constitutive du délit, s'il n'y a pas sang versé, sera condamné, si la victime porte plainte, à une amende de cinq sous, et devra réparer le préjudice occasionné à la victime.

Si dans les mêmes circonstances, il y a sang versé, l'amende sera portée à vingt sous.

L'usage d'une arme aggravait la culpabilité et entraînait une élévation de peine: la blessure faite avec glaive, bâton, pierre ou autre objet, s'il n'y a pas eu sang versé, donnera lieu à une amende de vingt sous, sur la plainte de la victime.

S'il y a sang versé, l'amende sera portée à soixante sous, maximum de l'amende de basse justice (Beaumont, art, 16; Valence, 18; Villefranche, 16; Bénevent, fol. 3; Montcha-

 

(1) Le duel judiciaire, condamné par Saint-Louis, resta encore longtemps en vigueur, et à notre époque on en trouve de fréquentes applications dans notre région. Comp, R. G., t. II.

 

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brier, 17. Beauregard (p. 172); Lalinde, p. 96; Moliéres, p. 417 (le texte présente une lacune).

D'après l'Alfonsine, qu'il y eût, ou non, sang versé, l'amende était de 60 sous (art. XIII).

Au cas où le coupable ne pouvait pas payer l'amende, dans beaucoup de coutumes, on remplaçait l'amende par une peine corporelle. D'après l'article 4 de la Coutume de Belvès, dans ce cas, le coupable perdait le poing (art. 4); d'après les Coutumes de Bordeaux et sy no pot paguar, sera mes au pilloureau (art. 39, livre des Coutumes de Bordeaux, p. 45).

L'assassinat rentrait dans la Haute Justice: la répression en était réservée au seigneur; c'est le seul point que nos chartes de bastide rappellent « siquis alium interfecerit et culpabilis de morte reperiatur ita quod homicida reputetur, per judicem curiae nostrae puniatur, et bona ipsius nobis sint incursa, solutis tamen primo debitis suis. » Beaumont, 17; Valence, Montchabrier, Villefranche, Villeréal, Lalinde, Beauregard, Molières.

La peine était la mort; suivant le droit commun dans nos régions, elle était administrée, au moyen de l'ensevelissement du coupable vivant, sous la victime (Comp. art. 21, cout, de Bordeaux (Livre des Coutumes, p. 215). Cout. d'Agen, eod. loco, p. 236. Cout, de Belvès, art. 5).

 

b) Paroles injurieuses et outrageantes

 

« Item, siquis alicui aliqua convicia, vel opprobria, vel verba coutumeliosa, irato animo, alteri dixerit et inde fiat clamor a baillivo nostro in duobus solidis et dimidio pro justicia puniatur et faciet emendam injuriam passo (1). Et siquis coram ipso bajulo vel in curia domini nostri dixerit dicta verba, irato animo, in quinque solidis pro justicia puniatur et emendet injuriam passo. » Sic: Villefranche,

 

(1) Beauregard arrête son texte à Et siquis, etc.

 

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18; Valence 20; Villeréal, 20; Montchabrier, 19; Beaumont, 18; Lalinde, Molière.

Les injures par paroles, irato animo, s'il y a plainte de la victime, donnent lieu à une amende de 2 sous et demi, à titre de peine, avec obligation de réparer le dommage occasionné.

Dans la plupart des bastides, la peine était doublée si les injures et outrages se produisaient devant le bayle ou dans la Cour de justice du seigneur.

A Bénevent, même disposition, mais les réparations civiles étaient déterminées ad arbitrium proborum virorum, consulis et bajuli secundum injurie qualitatem (fol. 7, col. 2, r°).

Si, à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, quelque citoyen portait la main sur le consul, à Bénevent, le coupable était puni ad arbitrium bajuli et proborum juxta calitatem injuriae et injuriantis potentiam (fol. 7, col. 2, r°).

 

c) Adultère

 

« Item, adulter et adultera, si deprehensi fuerint in adulterio, et inde factus fuerit clamor, vel per homines fide dignos super hoc convicti fuerint vel injure confessi, quilibet in centum solidis pro justicia puniatur vel nudi currant villam et sit optio eorumdem ». Sic: Villefranche de P., art. 21; Villeréal, art. 23; Montflanquin, 23; Valence, art. 23; Montchabrier, art. 22; Beaumont, art. 20; Lalinde (l.c.); Molières (l.c); Bénevent (l.c.) et Beauregard (l.c.).

L'époux adultère, homme ou femme, sur la plainte du conjoint, si les coupables avaient été surpris sur le fait, ou si l'adultère était établi par des témoins dignes de foi ou par l'aveu en justice, était puni ainsi que son complice d'une amende de cent sous, avec option, pour éviter le paiement de l'amende, de courir nus à travers la ville.

La course à travers la ville, qui avait été antérieurement la peine ordinaire pour l'adultère, seule ou avec amende (1), allait

 

(1) Belvès, Cout. (art. 5).

 

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devenir rare, puisque les coupables pouvaient, à leur choix, en éviter l'application, par le paiement d'une amende.

Le droit pénal s'épurait ainsi et abandonnait la pratique de peines dégradantes et humiliantes, et dont l'effet préventif est très douteux: les coupables espérant toujours n'être pas surpris, et partant, échapper à la peine.

 

d) Menaces avec armes tranchantes

 

« Item, qui gladium emolutum contra alium, irato animo, traxerit, in decem solidis pro justicia puniatur et emendam faciat injuriam passo ». Sic: Villefranche de P., art. 22; Beaumont, 21; Valence, 24; Villeréal; Montftanquin; Lalinde; Molière; Beauregard; Montchabrier, 23. Comp. Alfonsine (art. 23), amende de soixante sous.

Ainsi, la menace avec arme tranchante était un délit spécial, puni de dix sous d'amende, à titre de peine, et avec obligation de réparer le dommage occasionné.

 

e) Vols et rapines; dommages aux champs

 

La répression des vols présente dans nos chartes des dispositions très remarquables. Les vols d'objets de peu de valeur sont punis de peines légères; si la chose volée est de grande valeur, les peines sont aggravées.

Dans les législations modernes, le vol est puni des mêmes peines, abstraction faite de la valeur de la chose volée; il est vrai, le juge, grâce aux circonstances atténuantes, peut faire mouvoir la peine entre un maximum et un minimum, et la proportionner à la valeur de l'objet; mais ne faut il pas ici craindre l'arbitraire du juge? Quoiqu'il en soit, le système répressif, suivi dans nos bastides, n'en est pas moins très digne d'attention.

 « Item quicumque aliquid valens quinque solidos vel infra, Die vel nocte, furatus fuerit, currat villam cum

 

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furto ad collum suspenso, et in quinque solidis pro justitia puniatur, et restituat furtum cui fuerit, excepto furto fructuum, de quo fiet ut inferius continetur.

Et qui rem valentem ultra quinque solidos furatus fuerit prima vice signetur et in sexaginta solidis pro justitia puniatur; et si signatus sit per judicium curiae dicti domini modo debito puniatur; et si pro furto quis suspendatur decem librae si bona valeant solutis debitis primo, Dicto Domino nostro pro justitia puniatur et residuum sit heredibus suspensi. »

Si le vol porte sur un objet de cinq sous ou au-dessous, fait de jour ou de nuit, le voleur devra courir à travers la ville, l'objet volé attaché à son cou (1). En outre, il devra payer une amende de cinq sous: la victime aura droit à la restitution de l'objet.

Ces règles ne s'appliquent pas au vol de récoltes; ceux-ci restent soumis à des dispositions pénales rappelées plus bas.

Si la chose volée a une valeur supérieure à cinq sous (2), le voleur devra payer une amende de soixante sous. En outre, si c'est le premier vol par lui commis, le coupable sera marqué au fer chaud; et s'il a été marqué pour vols antérieurs, il sera pendu. Dans ce cas, le seigneur aura à prendre sur ses biens, après le paiement de ses dettes, dix livres, et le surplus sera

 

(1) Bénevent (fol. 13, col. 1, r°) dans les usages empruntés à Ste-Foy-la-Grande, et probablement suivis dans toutes les bastides ajoute: Si aliquis curat villam... Piece debet antecedere et clamare: PERSONA ISTA CURRIT VILLAM VEL DAMNATUS TALI CAUSA, exprimendo causam illam, ET QUI TALEM FACIET, TALEM ACCIPIET, et pro officia suo habebit duodecim denarios a damnato tantum.

(2) Nous reproduisons le texte de Villefranche (art. 23) que l'on retrouve dans les chartes des autres bastides, en faisant remarquer que la plupart de ces chartes supposent, au premier cas, que la chose volée vaut deux sous et au-dessous, et au second cas, qu'elle vaut cinq sous ou au-dessus: les deux termes de l'alternative ne correspondent plus (sic Villeréal, 25; Montchabrier, 24; Valence, 25; Beauregard, p. 173), Lalinde (p. 97), Molières (p. 118)

Peut-être peut-on supposer une modification dans la législation aggravant la pénalité et les textes n'ont pas été mis en rapport avec ce changement d'une manière suffisante.

 

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recueilli par ses héritiers. La connaissance de ce dernier vol appartenait à la justice seigueuriale (curia Domini).

De ces dispositions, nous pouvons rapprocher l'article 20 (Villefranche de P.) suivant lequel celui qui s'était soustrait par fraude au droit de transit ou entrée, leuda, encourait une amende de dix sous et devait payer l'impôt auquel il avait voulu se soustraire.

« Item quicumque Leudam furatus fuerit, in decem solidis pro justicia puniatur. » (Villef., 20; Valence, 22; Montchabrier, 21; Villeréal, 22; cette disposition manque à Lalinde, à Molière, à Beauregard, et à Beaumont.) L'Alfonsine punissait le fraudeur de sept sous seulement et imposait au fraudeur la restitution du droit de leude. (art 21).

A Bénevent, la disposition présente plus d'importance et un intérêt particulier au Périgord: item quicumque vendas et padagia furatus fuerit seu retinuerit, puniatur secundum antiquos usus et consuetudines Castri Montis pavonis (fol. 5, col. 1).

Certaines circonstances déterminées et prévues par la Loi deviennent des circonstances aggravantes, et font augmenter l'amende; par exemple le vol, ou la destruction, d'une chose saisie ou placée sous la sauvegarde du seigneur (Bannum), était puni d'une amende plus forte, et variant suivant les localités, de vingt sous à Beaumont et à Molières, de trente à Villefranche, Lalinde, Beauregard, Valence, etc. D'après l'Alfonsine, cette amende s'élevait, dans ces cas, à soixante sous. Item quicumque bannum nostrum, vel baillivi nostri fregerit, vel Pignus factum ob rem judicatam sibi abstulerit, in viginti (Beaumont) solidis pro justitia puniatur.

Les dommages aux champs et aux récoltes sont réprimés par des dispositions empruntées à d'anciens règlements: ces dispositions furent dans la suite acceptées par les bastides.

La charte de 1261, pour Villefranche-du-Périgord, renvoie aux règlements suivis à Montflanquin: ces règles devinrent le droit commun des bastides; en voici l'économie:

 

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Si quelqu'un entre de jour, dans des jardins, vignes, ou prés (Valence ajoute champs de blé) et qu'il y prenne des fruits, du foin, de la paille, du bois, de la valeur de 12 deniers et au dessous et cela sans l'autorisation du propriétaire, et après que défense de ce faire ait été publiée par le sergent de ville (proclamation qui est renouvelée chaque année), le coupable sera condamné à 2 sous et demi d'amende: les consuls en appliqueront les produits aux besoins de la ville (réparation des rues, puits et fontaines et autres objets publics de la cité).

Et si les choses enlevées présentaient une valeur supérieure à 12 deniers, le coupable encourait une amende de 10 sous; et si le vol avait eu lieu la nuit, l'amende était élevée à trente sous (1) et dans tous les cas réparation du dommage était due à la victime.

Des dispositions analogues se retrouvent dans l'Alfonsine; mais l'amende est plus forte; on peut rapprocher sur ce point les dispositions des chartes de Bourges et Dun (Giry et Lavisse) art. 15, 16, 17, suivant lesquelles, en outre de l'amende on coupait l'oreille au coupable. A Saint-Antonin (a. 1144) (Teulet, t. I, n°86), l'amende était de 12 deniers, et si le coupable ne pouvait payer ni l'amende, ni la réparation, on le marquait au fer rouge (signetur in facie cum ferra callido) et s'il retombait dans la même faute, nous dirions aujourd'hui, en cas de récidive, il subissait l'amputation du pied (et si incorrigibilis fuerit, et postea, in furto consimili fuerit deprehensus faciemus ei pedem ejus amputari.) La supériorité en ce point appartient évidemment aux chartes de bastide, suivant lesquelles la répression est très judicieusement assurée, sans recours à des peines barbares et exagérées.

Quelques bastides présentent sur ce point quelques particu-

 

(1) Villefranche du Périgord, 23; Beaumont, 23; Valence, 26; Montchabrier, 25; Villeréal, 26; Beauregard, Lalinde, Molière (Sic: Bénevent, fol. 3, 2e col.) Au cas de dommage la nuit, l'Alfonsine appliquait l'amende de 60 sous; et au delà de XII deniers 7 sous, et 3 sous au-dessous de cette valeur.

 

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larités: ainsi à Bénevent (fol. 7, col. 2), celui qui prend des fruits, du bois, de la paille ou du foin, dans un champ, sans l'assentiment du maître encourt l'amende, à moins que les fruits ne fussent pendants par branches tombant sur le champ du voisin, ou sur un chemin public et, dans ce cas, ni l'homme, ni l'animal qui les prend ne font encourir l'amende (1).

Pour les dommages faits aux récoltes dans les champs par les animaux, on en assurait la répression et la réparation par des dispositions qui se retrouvent dans toutes les bastides, mais avec quelques différences dans les détails; voici ces dispositions:

Si un boeuf, une vache ou quelque gros animal entre dans les jardins, vignes ou prés d'un particulier, le maître de l'animal paiera aux consuls de la bastide, soit trois, soit six deniers, suivant les bastides (2); pour porc ou truie trois deniers par animal (3); et pour deux brebis, chèvres ou boucs, le maître paiera un denier aux consuls de la bastide; et en outre, dans tous les cas, le maître des animaux paiera le dommage fait (4); à Bénevent, le propriétaire du champ sera cru sur son serment, sans avoir à prouver autrement l'entrée des animaux (5).

Rapprochons de ces textes, pour Villefranche du Périgord, une disposition des coutumes de 1261 (fol. 20): « qui couppera vignes ou bleds, ou y mettra le feu, ou murtrira la beste

 

(1) Une disposition analogue résulte actuellement de l'article 673 du code civil et n'a été introduite que par la loi du 20 août 1880.

(2) Six à Villefranche, Valence, Villeréal, Montchabrier, Bénevent; trois à Beaumont, à Lalinde, à Beauregard, à Molières.

(3) Cest le taux ordinaire dans les bastides; exceptionellement à Villefranche, l'amende était de six deniers.

(4) Dans d'autres régions, on avait appliqué des dispositions plus sévères; à Bourges et Dun-le-roi (loco cit.) art. 19: si les porcs étaient trouvés dans des vignes, quamdiu fructus in eis erit, ou dans des prés fodiendo, ils étaient tués, la moitié revenait au propriétaire de la vigne ou du pré; l'autre moitié au propriétaîre de l'animal (art. 20), si le porc était trouvé dans un pré non fodiendo l'herbe non encore coupée, le propriétaire devait payer 4 deniers; pour tout animal entrant dans les jardins, vignes et prés, 4 deniers par animal, etc. (5) Fol. 7, col. 2, r°.

 

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d'aultruy, ou couppera une jambe du bestial d'aultruy, ou versera, ou gastera le vin d'aultruy, ou faira aultre malfaicture cachée, en desrobant, ou en autre manière à cachette, qu'en soit faicte loyalle inquisition, am tot homme ou femme, par le bayle et par le conseil et qui l'aura faict, que l'esmande de payer au double, et que le bayle et conseilh fassent telle justice du corps de malfaicteur, comme sera de faire à leur esgard, selon le crysme et mal faict, sa femme et ses dettes payées, que lui coste soixante-cinq sous caorcens de justice (1), moitié au bayle, moitié aux consuls... » ces dispositions étaient suivies et se combinaient avec la charte de 1357.

En outre, il y avait une foule de délits spéciaux, prévus et réprimés, dans le but de maintenir le bon ordre dans la cité, d'y assurer la sécurité des opérations commerciales, leur exécution et leur loyauté, nous les retrouverons en étudiant les marchés.

Si nous jetons un coup d'oeil d'ensemble sur le Droit pénal des bastides, on y rencontre un Droit pénal en pleine transformation.

Il se distingue du Droit pénal admis jusqu'ici par les villes libres; là nous trouvons en vigueur l'amende de 60 sous, peine qui nous vient du Droit mérovingien, et qui paraît être la répression des crimes contre la chose publique ou les ordres de l'autorité: c'est l'amende royale, que les capitulaires des rois carlovingiens avaient généralisée et que nous trouvons au nord comme au midi.

À Lorris, et dans les coutumes qui en dérivent, l'amende de 60 sous fut réduite à 5 sous et celle de 5 sous à 12 deniers (art. 7. Cout. de Lorris (2)); ainsi par cette classification les infractions de la basse justice formèrent deux grandes catégories: les plus graves punies de 5 sous, les moins graves de 12 deniers; et cela constitua un grand progrès sur la législation antérieure.

 

(1) Le sou caorcens valait la moitié du sou tournois

(2) Prou; Propagation des coutumes de Lorris (Nouvelle Revue Histor. de Droit franç. et étranger, année 1884, t. VIII).

 

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Dans nos bastides, le système est différent: les infractions sont punies d'amendes différentes, suivant leur gravité, les circonstances du fait, la situation du délinquant; pour les infractions de basse justice, l'amende reste la peine ordinairement appliquée; mais pour en apprécier le taux, il faut tenir grand compte de la valeur des monnaies dans lesquelles était fixée, sous caorcens, ou tournois, ou autres.

La répression des crimes et délits graves restait au seigneur et les bastides ne contiennent pas de dispositions sur ce point.

Cependant nos textes nous révèlent quelquefois des pratiques se rattachant à d'anciens usages: par example, en vue de la protection de la maison:

« qui rompra la maison d'aultruy de nuict et qui y entrera de nuyct sans la vollonté du seigneur de la maison, que le dict seigneur de ladite maison et la famille le prennent s'ils peuvent, et que le rendent au bayle et que lui coste soixante cinq sous caorcens de justice, moytié au seigneur et l'autre moytié au conseil des Consuls.

Et sy le malfaiteur ne se laisse prendre et que le maistre de la maison, ny sa famille ne le puissent prendre, le blessent dans icelle mason ou dans la clausture d'icelle y faisant la malfacture, et sur le faict, que ne soient tenus en rien pour la dite blessure, toutes fois les maistres de la maison doibvent crier à l'ayde! au larron! tant qu'ils pourront et le baille et consuls pourront faire inquisition... (Ce de 1261, Villefranche de Périgord, fol. 15 et 16).

En rapprochant ce texte des passages des usages de Bénevent (1) et des articles de la Coutume de Bordeaux (2), on voit que

 

(1) Ces usages complémentaires des coutumes ont été empruntés à Ste Foy la Grande. « Item pro clamatione biafora nullum gacgium debetur per clamantem vel per illum cui clamatur. Item exiens et veniens ad clamorem vel a la biafora potest arma ferreeundo et redeundo sine gacgio aliquo (Bénev., loco cit., fol. II, v°).

(2) Art. 32 (p. 40), art. 55 (p. 59), art. 134 (p. 107), art. 226 (p. 173), art. 27 des usages de Bordeaux (11 août 1336), p. 323 (Cout. de Bordeaux, édit. de la ville).

 

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s'étaient conservés dans le Droit criminel de notre contrée, au XIVe siècle, des principes empruntés aux lois barbares et qu'avaient développés les jurisconsultes normands sous le nom de clameur de Haro (1).

Crida biafora, c'est, d'après le dictionnaire de Mistral, donner l'alarme, crier au meurtre, appeler au secours; cette expression, tombée en désuétude dans l'usage courant, est encore employée par les poètes provençaux.

Il résulte des textes de la Coutume de Bordeaux et de ceux que nous avons cités qu'au cas d'attaque de la maison, de dommages aux champs, en criant biafora on pouvait se rendre justice à soi-même, frapper le délinquant qu'on ne pouvait arrêter; si on pouvait l'arrêter, on le remettait au magistrat qui commençait immédiatement l'information et assurait l'application de la peine.

En outre le cri de biafora et la poursuite qui en était la conséquence, autorisait à sortir armé; et tous les voisins étaient légalement tenus de venir à votre aide, pour poursuivre le coupable. Ce sont là les seules conséquences du cri de biafora; elles se produisaient en matière criminelle seulement et n'ont exercé aucune influence, à la différence de la clameur de Haro en Normandie, sur le développement de certaines procédures civiles.

Comme nous l'avons fait remarquer plus haut, dans nos chartes on ne réglemente en général que la basse justice, délits peu importants et contraventions de police, le seigneur fondateur de la bastide s'était réservé la haute justice dans laquelle rentraient les crimes graves; dans quelques dispositions, il y est fait allusion, nous avons mentionné plus haut l'assassinat, l'adultère, la Coutume de Villefranche de 1261 prévoit le viol « qui participera avec femme pucelle ou avec

 

(1) Comp. sur ce point Glasson, Nouvelle Revue historiq. de Droit franç. et étr., année 1882, p. 397 et p. 517. Etablissements de saint Louis, t. I, p. 188, v° 4, (cri), (édit. de Viollet) et autorités citées.

 

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femme qui ne soit point pucelle, ny mariée, que la préigne pour femme, si est à luy convenable; et si ne luy convient, ou l'un à l'autre, que luy donne mary à son voulloir au regard et cognaissance du baeyle et du conseil et que ne soit tenu luy payer autre chose; et si ainsy ne le faict, que l'on lui tire les coullons par justice, ses debtes payées et que le seigneur en ait 65 sous par justice, sy la femme s'en est plaincte au bayle ou au Conseil, toutes fois que premièrement soit faicte amende de ses biens à la femme plaignante au regard du bayle et du Conseil et qui participera avec femme mariée qui perde les coullons et que de ses biens soit faite amende à icelle femme au regard du bayle et du Conseilh (fol. 16 in fine et folio 17; comp. art. 9, Cout. de Belvès et les références y citées). »

 

C) Procédure civile; organisation du notariat

 

Dans les chartes de Bastides se rencontrent quelques articles relatifs à la procédure; non pas qu'on ait eu l'intention de formuler un code complet, mais tout au moins a-t-on voulu poser quelques principes.

Le seigneur suzerain, à la fondation de la bastide, avait conservé pour lui l'exercice de la haute justice, n'abandonnant aux consuls que la basse justice, et les droits pécuniaires, amendes, etc., qui en résultaient, formaient pour le seigneur et pour les consuls une de leurs ressources les plus importantes.

Or, nous savons que dans cette branche de l'administration publique de graves abus s'étaient introduits: les enquêtes ordonnées par saint Louis et par Alfonse de Poitiers, pour leurs possessions respectives, avaient révélé le mauvais état des choses; par elles on savait que les frais de justice étaient très élevés (Enq. ch. 162), que les juges faisaient payer leurs gages jour par jour (Enq. ch. 166), que les dépens de cour

 

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étaient exigés par les officiers judiciaires pendant le cours du procès et souvent après chaque acte de procédure (1).

En organisant les bastides, les fondateurs avaient voulu les protéger contre le retour de semblables abus; de là des règles que rappellent toutes nos chartes et dont nous avons à présenter l'analyse.

Toute action relative à une dette ou à une convention et qui aura été reconnue fondée à la première comparution du débiteur, et s'il n'a pas été rendu de jugement, ne donnera lieu à la perception d'aucun droit de justice, mais le bayle fera payer ou executer la convention dans les neuf jours de la comparution; si non, le débiteur en retard d'exécuter payera deux sous et demi d'amende. (Beaumont, 25; Montchabrier, 29; Villefranche du P., 26; Valence, 28; Villeréal, 28; Bénevent (fol. 4, col. 1, r°); Lalinde, p. 99; Beauregard, p. 173; Molières, p. 418, etc.)

Toute action en justice, quel que soit l'objet du débat, avec demande de jugement, donne lieu à une amende de cinq sous pour la partie qui succombe, et le paiement a lieu après le prononcé de la sentence (Beaumont, 20; Montchabrier, 30; Villefranche du P., 27; Valence, 29; Villeréal, 29; Bénevent (col. 1, r°, fol. 4); Lalinde, p. 99; Molières, p. 418; Beauregard, p. 173, etc. Comp. l'Alfonsine: Riom, 27; Salmeranges, 27 (O.R.F., t. XII, ...).

Tout défaillant au jour fixé par le juge devra l'amende de deux sous et demi: les frais exposés par l'adversaire sont mis à la charge du défaillant. (Beaumont, 27; Villefranche du P., 28; Valence, 30; Villeréal, 30; Montchabrier, 31; Bénevent (fol. 4, col 1, r°); Lalinde, p. 99; Beauregard, p. 173; Molières, p. 419, etc.)

Le bayle ne peut recevoir les droits de justice et les amendes

 

(1) Saint Louis avait fait disparaître cet abus, contraire aux coutumes du Midi, dans la sénéchaussée de Beaucaire (Priv. de Beaucaire, Enq. ch. 44: Histoire du Languedoc, t. VIII, col. 1337).

 

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qu'après la sentence rendue et exécutée au profit du gagnant. (Beaumont, 28; Villefranche, 29; Valence, 31; Montchabrier, 32; Villeréal, 31; Bénevent (fol. 4, col. 1, r°). Lalinde, p. 99; Beauregard, p. 174; Molières, p. 418.)

En matière immobilière, celui qui perdra le procès payera cinq sous d'amende et remboursera à la partie gagnante les dépens faits par celle-ci. (Beaumont, 29; Villefranche du P., 30; Valence, Villeréal, 32; Montchabrier, 23; Bénevent (fol. 4, col. 1, r°); Lalinde, p. 99; Beauregard, p. 174; Molières, p. 418.)

Enfin, en toute matière, quel que soit l'objet du litige, si le demandeur ne peut faire la preuve de sa prétention, il devra payer une amende de cinq sous et sera condamné aux dépens faits par l'adversaire (Beaumont, 30; Villefranche, 31; Valence, 33; Montchabrier, 34; Bénevent (fol. 4, col, 1, r°), Lalinde, p. 99; Beauregard, p. 174.)

Telles sont les règles que formulent les dispositions de nos chartes; elles ont pour but principal de faire disparaître les graves abus qui avaient été signalés dans l'administration de la justice, mais elles laissent sans les résoudre les questions les plus graves. Auprès de toutes les cours de justice, fonctionnaient, dans l'intérêt des parties, des officiers de justice; leur rémunération était-elle laissée à la libre convention des parties, ou bien était-elle réglemntée? Comment fonctionnait l'appel? Tous ces points sont laissés dans l'ombre.

Nous avons eu, antérieurement, à constater certaines dispositions particulières à quelques bastides et aux privilèges existant à leur profit; nous n'avons pas à revenir sur ces points.

Quant aux formes des actes à faire, aux remunérations dues aux agents qui avaient qualité pour les dresser, les chartes des bastides sont muettes. Ces points faisaient l'objet, soit de règlements particuliers, soit d'usages spéciaux. A cet égard, la Coutume de Bénevent, dans sa seconde partie, concédée en 1309 par le comte de Périgord et étendant à cette bastide les usages de Sainte-Foy la Grande, tels ces usages qu'ils avaient été cons-

 

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tatés en 1305, par les consuls de Bénevent envoyés en mission à Sainte-Foy pour colliger ces usages, cette charte de Bénevent présente une compilation complète de tous les règlements relatifs à la procédure proprement dite et nous donne des usages qui devaient être suivis dans la plupart des bastides, circonstance qui augmente l'intérêt de ce document (1).

Les parties, pour prévenir les difficultés et les contestations auxquelles pouvaient donner lieu les conventions dans lesquelles elles figuraient, devaient s'en procurer une preuve écrite. A l'origine de nos agglomérations, les consuls dressaient eux-mêmes, à la demande des parties, les actes écrits pour former preuve des conventions intervenues; nous avons relaté un exemple de ces fonctions à l'occasion de la bastide de Beaulieu, près Puy-Guilhem (voir ci-dessus, ch. I, p. 65); les Coutumes de Villefranche du Périgord font allusion à cette partie des fonctions consulaires (2), mais bientôt les affaires devenant plus actives, cet usage tomba en désuétude, et, dans chaque bastide furent institués, en titre d'office de notaires municipaux, des fonctionnaires chargés de dresser acte des conventions des parties.

Ces notaires municipaux établis dans chacune de nos bastides relèvent de la municipalité; leurs actes avaient la même autorité et la même force probante que les actes dressés par les notaires royaux ou seigneuriaux.

Les chartes de nos bastides sont formelles sur ce point et sont ainsi conformes à l'opinion qui avait triomphé, de donner une autorité égale aux actes notariés, en quelque lieu et par quelque notaire (royal, seigneurial ou municipal) que les actes eussent été dressés.

Alfonse de Poitiers lui-même avait protesté contre la pré-

 

(1) Archives de Pau, E. 698 I.A./619.

(2) Et que aulcune lettre ne soit scellée avec le sceau commun, si au sceller ne y a deux ou plus des dits consuls, sy la cause vault plus de vingt souls, Fol. 11 (1261).

 

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tention émise à Toulouse de n'admettre comme preuve valable que les actes dressés par les notaires de cette ville; il avait proclamé le principe d'une énergie égale pour tous les actes notariés, en quelque localité qu'ils eussent été dressés (1): ce fut le droit de nos bastides.

 

D) Foires et marchés

 

Chaque bastide, dans la pensée de ses fondateurs, devait devenir un centre commercial: il fallait, dans ce but, faciliter les transports des marchandises et assurer la sécurité des commerçants et la loyauté des opérations commerciales; plusieurs des dispositions des chartes des bastides se rapportent à cet ordre d'idées; en voici l'analyse.

Conformément aux traditions romaines, l'autorité supérieure avait réservé pour elle le droit d'autoriser les foires et marchés (2), et à, toutes les époques nous trouvons des décisions de cette nature.

Mais en même temps, au moment de la concession de la charte de fondation, l'autorité supérieure avait déterminé les jours de marché (3) et de foire (4).

 

(1) Lettres d'Alf. de Poitiers, Corresp. admin., t. II, app. page 607.

(2) Par une lettre d'Alfonse de Poitiers (15 décembre 1268, n° 2085, Corresp. admin., etc.) fut autorisé à Moissac un marché pour la fête de Saint-Martin; et Alfonse mande au sénéchal d'Agen et de Quercy, de faire publier cette décision, à la requête des consuls dans les principales localités de leurs sénéchaussées.

(3) A Villefranche-du-Périgord, le marché devait se tenir le jeudi de chaque semaine (chartes de 1261 et de 1357, art. 32); à Valence-d'Agen, le jeudi, art. 34; à Montcabrier, le samedi de chaque semaine, art. 35; à Lalinde, le mardi (p. 99), à Villeréal, le samedi, art. 34; à Beaumont, le mardi, art. 31; à Bénevent, le mercredi (fol. 4 r°); à Molières, le mercredi (p. 418); à Beauregard, le mercredi (p. 174).

(4) Les foires se tenaient aux jours déterminés par l'autorité supérieure (terminis assignatis) diront certaines chartes: Beaumont, art. 32; Bénevent (fol, 4 v°); Lalinde (p. 100); Molières (p. 419); Villeréal, art. 35; Valence, art. 35, etc.; d'autres chartes en détermineront le jour: à Beauregard, à chaque fête de la Vierge, la veille et le lendemain; à chaque fête du bienheureux saint Front, au mois d'octobre, la veille et le lendemain; le mardi qui suivra la fête de la Pentecôte. (A Villefranche-de-Périgord, art. 33; à Montchabrier, art. 41.)

 

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La foire et le marché institués par l'autorité supérieure, il appartenait à l'autorité municipale d'en assurer la réglementation: celle-ci avait pour objet de faciliter les approvisionnements, d'empêcher les accaparements, d'assurer la bonne qualité des marchandises; toutes mesures qui paraissaient indispensables à assurer le bien-être des habitants. Si la réglementation offrait partout l'application des mêmes principes, dans le détail, la réglementation pouvait varier de formules, suivant les localités: à Villefranche-du-Périgord (fol, 36, charte de 1261), on prescrivait que « toute viande de Mazel feust vendue au Mazel ou boucherie, en la place de Villefranche aux bancs », on fixait les droits à percevoir suivant la nature de la viande et pour la location des bancs, « et aulcung ne vendra dans les bancs de Villefranche aulcune chair ladre ni milhargouse d'aulcune beste; que ne soict ni chair de bouc, ni de chèvre, ni de truie et fust morte de bonne mort et que aulcune boucherie ne baille la chair à aulcune personne pour aultre que la dite viande » sous la sanction d'une amende de vingt sous d'amende et de réparation du préjudice causé.

La charte de Bénevent, suivant les usages empruntés à Sainte-Foy-la-Grande, contient sur ce point une réglementation complète et détaillée (1).

 

(1) (Rubrique en rouge). De banchiis et de obliis. Item de quolibet bancho sito infra macellos habebimus tamen octo solidos obliarum in festo Beati Johannis Baptiste et quatuor solidos de Acaptamento in mutatione domini, et carnifices faciant domum supra macellos et reparent quociens opus fuerit et de quolibet vacca vel bove qui occidetur ad vendendum dabuntur nobis duo denarii; de porco vel sue unus denarius; de ariete vel capra, ove vel yrco unus obolus.

R. Quas carnes debent vendere carnifices in villa (en rouge). Item Macellarii carnes lepra infectas, vel suem, vel ovem, vel Hyrcum et alias pravas carnes non debent vendere infra Macellos communes vel alibi, quod si fecerint in duobus solidis et dimidio nobis pro justicia puniantur, et carnes que tales visse fuerint canibus projiciantur vel etiam comburantur.

Et carnifices vel alii non debent vendere carnes recentes et bonas, nisi infra Macellos, nec de nocte (exceptis carnibus silvestris et agnis et edulis et volabilibus et piscibus salsatis quos licebit, ubi voluerint vendere) quod si fecerint in duobus solidis et dimidio nobis pro justitia puniantur.

 

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Mais les dispositions de cette nature restèrent dans le domaine des règlements municipaux, dressés par les consuls; elles varièrent dans leurs détails suivant les localités; les chartes des bastides ne contiennent en général aucune disposition sur ce point; mais partout au moins a-t-on stipulé que les choses destinées à l'alimentation ne puissent être vendues qu'au marché où l'on est obligé de les apporter, sous peine d'amende à payer par le vendeur et l'acquéreur, à moins que le contrevenant, étranger au pays, ne connût pas cette réglementation (1).

Pour assurer l'approvisionnement des marchés, on limitait le droit de leude ou transit que les marchands avaient à payer. Sans entrer dans les détails, on peut remarquer que les droits étaient peu élevés; les tarifs étaient établis partout suivant les mêmes principes, atteignaient les marchands et les marchandises venant du dehors, d'où résultait une protection pour le territoire de la bastide. A un autre point de vue, ces listes de marchandises sont intéressantes, elles nous montrent l'état du commerce à notre époque (2).

 

(1) Item res comestibilis de foris apportata ad vendendum, vel dum aportetur de infra dimidiam leucam ad vendendum non vendatur, nisi prius ad plateam dicte ville fuerit apportata, et si quis contra fecerit, emptor et venditor quilibet in duobus solidis et dimidio pro justitia puniatur, nisi esset extraneus qui probabiliter dictam consuetudinem ignoraret. (Villefranche, 15; Valence, 17; Montchabrier, 16; Villeréal, 17; Beaumont, 15; Lalinde, (p. 96); Benevent, (fol. 3); Beauregard, (p. 172). (Manque à Molières )

(2) Ces dispositions se rencontrent dans toutes les chartes de bastides et, dans les mêmes termes; grâce à cette circonstance, en comparant les manuscrits et les leçons diverses, on arrive à rectifier les erreurs commises par les premiers éditeurs de ces textes. Comp. Villefranche du Périgord (1357), art. 32; Beaumont, art. 31; Montchabrier, art. 35; Valence d'Agen, art. 34, Molières (p. 418); Lalinde, (p. 99); Villerêal, art. 34); Bénevent, fol. 4, r° col. I; Beauregard (p. 174).

Nous donnons l'article des cout. de Villeréal, d'après les ROLES GASCONS, t.1, (1108). « Item, mercatum dicte bastide debet fieri in die sabbati; et, si bos vel vacca, porcus vel sus unius anni et supra venditur ab extraneo in die fori, dabit venditor unum denarium nobis pro leuda; et de asino vel asina, equo vel equa, mulo vel mula unius anni et supra, dabit venditor extraneus nobis duos denarios pro leuda; si infra, nichil; et de ariete, ove, capra vel hirco, unum obolum; de summata bladi, unum denarium; de sextario, unum denarium; de emina, unum obolum pro leuda et pro mensuragio; de quarterio nichil dabit; de onere hominis vitrorum, unum denarium aut unum vitrum valens unum denarium; de summata corriorum grossorum, duos denarios, de honere hominis aut de uno corrio grosso, unum denarium; de summata ferri, pannorum laneorum, duos denarios; de sotularibus, de claderiis, anderiis, patellis, essatis, pairoliis cultellis, falxibus, sarpis, piscibus salsatis et rebus consimilibus, dabit venditor extraneus in die foris pro leuda et pro intragio duos denarios; de summata et de onere hominis rerum predictarum et consimilium, unum denarium; de summata urnarum vel canarum, unum denarium; de onere hominis, unum obolum. »

 

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Bientôt, dans les bastides, la réglementation des marchés reconnue aux consuls prit un caractère tout différent, et les consuls arrivèrent à vouloir le prix auquel les choses nécessaires à la vie devaient être vendues et en vinrent à établir une taxe pour les choses mises en vente (1); mais nos bastides paraissent être restées toujours en dehors de ce régime, du moins à notre période.

Le marché était organisé en vue de l'approvisionnement de la cité: c'étaient les propriétaires de la région qui apportaient leurs produits, et on les frappait d'un droit d'entrée.

Les foires attiraient les marchands de l'extérieur; ils venaient faire concurrence à ceux de la localité, et malgré cela on les attirait à ces foires, pour en augmenter l'importance; ceux qui arrivaient avec un ou plusieurs ballots (troscellum) payaient 4 deniers pour droit d'entrée et sortie, pour droit de place et de vente; pour les colporteurs un denier, quelque chose qu'il portât, et pour les choses achetées pour le service de la famille, l'acheteur n'avait rien à payer (2). Toutes mesures

 

(1) Comp. art. 16, 17, 18, 19, Charte de Marziac au diocèse d'Auch, bastide fondée par noble seigneur Guichard de Marziac, chevalier de l'illustrissime roi de France et son sénéchal pour le Toulousain et l'Albigeois, qui lui donna des coutumes confirmées par Philippe IV dit le Bel (Paris, juillet 1300 (O.R.F. t. XII, p. 341). Ces dispositions se retrouvent à Peyrouse (décembre 1303), à Tournay (1307), loco citato, p. 368.

(2) Bénevent, fol. 4 v°; Beaumont, 32; Villefranche de Périgord, 33; Beauregard, p. 174; Lalinde, p. 100; Molières (p. 419); Montchabrier (art. 41); Villeréal (art. 35); Valence (art. 35), etc.

 

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de nature à assurer la fréquentation de la foire aux marchands étrangers et d'attirer là de grandes foules.

Pour la loyauté des opérations commerciales, chaque bastide avait des mesures et des poids; à l'Hôtel de ville on gardait les étalons, auxquels les mesures et les poids appartenant aux particuliers devaient être conformes; tous devaient être marqués des armes du seigneur et de la ville (1); les officiers municipaux veillaient à ce que l'on ne se servît que de mesures et de poids loyaux.

Dans toutes nos bastides, on punissait d'une amende de soixante sous tout détenteur de faux poids, de fausse mesure et de fausse aulne; en outre, les faux poids et mesures étaient confisqués ou brûlés (2).

L'amende de soixante sous était une amende très élevée et on avait dû y recourir pour ramener tout le monde à la pratique de la loyauté commerciale (3).

Enfin, par des mesures spéciales, partout et très anciennement, on avait assuré la sécurité des marchands et de leurs

 

 (1) « Le sestier de vin, mesure de Villefranche, soit de seize canes sans plus; et toutes les mesures de las canes, de méjan, des tonneliz que soient marquées avec le sceau et marques de notre seigneur le comte avec un fer chauld, et que les consuls les marquent toutes avec la mesme marque ou armoiries; et qui vendra vin à Villefranche avec autres mesures que luy couste cinq sols caorcens, lesquels seront la moytié au bayle et l'autre moitié au conseilh et que la mesure soit bruslée en la place publique. » (Charte de 1261, fol 39.)

(2) Beaumont, art. 24; Montchabrier, 28; Villefranche de Périgord, 25; Valence, 27, Villeréal, 27; Bénevent, (fol, 3, 2e col.); Lalinde (p. 93) Molières (p. 418); Beauregard (p. 173), ce qui suppose des visites et des vérifications des poids et mesures, chez les commerçants par les officiers municipaux. Voir: Histoire de la châtellenie de Belvès, pages 109, 110, et note 2, p. 182, et note 7.

(3) Plus anciennement, le système de répression était différent; à Bourges (art. 12), l'amende pour faux poids n'était que de 7 sous et six deniers, à Riom, d'après l'Alfonsine (art 25), l'amende était de 7 sous pour faux poids et fausse mesure, et de soixante sous pour fausse marque; et si le contrevenant commettait une nouvelle contravention, la peine était arbitraire et pouvait aller jusqu'à l'interdiction de son industrie et officio in quo sic deliquerit perpetuo privetur.

 

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marchandises; et ces mesures prises par nos rois (1) étaient devenues le Droit commun des bastides.

On proclamait hautement que tout homme ou toute femme et les choses qu'ils amenaient ou portaient au marché ou à la foire, seraient saulves et sûres étant au marché, et, en allant et en revenant, depuis la sortie de la maison, pour aller au marché, jusqu'au retour (par exemple du mercredi matin au vendredi soir, si le marché était le jeudi); semblables garanties étaient assurées pour les foires.

Et par là étaient empêchées toute saisie des objets apportés et l'arrestation du marchand, sauf dans quelques cas graves (meurtre commis, bannissement); et tout contrevenant à ces dispositions encourait la confiscation de ses biens « et le seigneur de Villefranche et le conseilh et toute la communauté ou la université le demandent uniement à toucte personne que ce soit, touct ainsin que sy avait destruict la ville, jusques à ce que vengence en soict faicte » (fol. 31 charte de 1261). Tant on attachait d'importance à assurer la sécurité du commerce et la prospérité de la cité!

 

V. Fours, boulangeries

 

Le régime sous lequel les moulins, les fours et les boulangeries ont été placés, à diverses époques, a été souvent étudié; à l'origine tout village avait un four, un moulin; c'était là une chose commune à tous les habitants et le fournier comme le meunier étaient le serviteur et l'employé de la communauté. Mais bientôt le seigneur prenant le four et le moulin pour lui, imposa à tous l'obligation de venir au four et au moulin et de payer une redevance pour le service rendu, interdisant à chacun d'avoir son four ou son moulin et dans tous les cas de

 

(1) Lettre de Louis VI dit le Gros, 1er mai 1118 (Ord. R. F., t XI, p. 178), le Roi prenait sous sa protection ceux qui allaient au marché ou en revenaient. (Comp. Lettres de Louis VI, en faveur des habitants du marché neuf d'Etampes, art. VI (O. R. F., t. XI, p, 183).

 

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l'exploiter; nous sommes sous le régime de la banalité des fours et des moulins; un régime analogue se produisit pour la boulangerie et cette situation se maintint dans beaucoup d'endroits jusqu'au XVIIIe siècle, le fournier et le meunier ne sont plus qu'un agent du seigneur; le moulin et le four sont devenus un moyen odieux de procurer, sur le pain du peuple, un peu d'or à un seigneur inactif: « Voilà ce que sont devenus après quatorze ou quinze siècles ces témoins vivants, ces débris historiques de l'ancienne communauté primitive, le four et le moulin banal! (1) »

Sous le régime féodal, ou bien le seigneur a seul moulin et four et il oblige les habitants de la seigneurie de venir au moulin et au four, moyennant redevance, sans autoriser dans l'étendue de la seigneurie personne à avoir un four ou un moulin, même pour ses besoins personnels ou ceux de sa famille. D'autres fois, le seigneur concédait, à titre de fief, à une personne déterminée un four ou un moulin; celle-ci, suivant son titre, ou bien ne pouvait s'en servir que pour elle, ou bien elle avait le droit d'en imposer l'usage dans une certaine étendue du pays.

Des règles de cette nature ne pouvaient convenir au régime si libéral des bastides et si, pour l'industrie des fours, des moulins et des boulangeries, les bastides n'arrivèrent pas à une liberté complète, du moins obtinrent-elles des privilèges importants,

A Villefranche-du-Périgord les moulins pouvaient être établis librement, suivant le Droit commun de la propriété; mais cette industrie intéressant l'utilité générale, on avait réglementé la redevance due pour la mouture « et à toucts les moulins de Villefranche ou des environs, que l'on mouldra bled pour le seitzième bayssel entre blé et farine; et si le bled se perdoit ou se gastoit par deffaut ou par faulte du meusnier ou du moulin que le seigneur ou moulenie du dit moulin

 

(1) Beautemps Beaupré, 1re partie, t. I, p. 392.

 

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satisfasse le touct à celluy à qui appartiendra le dict bled (1) ».

En ce qui touche les fours, voici les dispositions de la coutume de 1261, de Villefranche du Périgord. « Et ont... les dits Pons et Danya étably que par tout temps, qui pourra et vouldra, tiendra fours à Villefranche pour cuyre son propre pain de la maison et que pour ce, ne sera tenu donner ny payer au seigneur, saulf les rentes qu'il debvra pour le lieu où sera le dict four »... (fol. 63). Or donc si le four est établi sur un immeuble possédé à titre d'alleu, le fournier n'aura rien à payer; si l'immeuble sur lequel le four sera établi, est tenu à fief ou à censive, le tenancier ne devra payer que les redevances féodales ou censières établies, sans qu'elles puissent être augmentées du fait de rétablissement du four.

« Et si am dit four se cuit pain pour vendre ou pain d'aultruy le maistre du four payera pour le fournage ou aultre chose dix sous caorcens de rente, chaque année, le jour et feste de notre dame Saincte-Marie de febvrier à notre seigneur le comte pour seigneurie », d'où il résulte que toute personne peut, à volonté, établir un four pour cuyre le pain d'aultruy ou de vente, mais comme conséquence, il payera au comte comme conséquence de la seigneurie une redevance de dix sous caorcens; et en outre, le statut de 1261, contient quelques règles spéciales à cette industrie: « et que le maistre du four cuira ou faira cuire tout le pain qui y sera, pour le vingtième pain, il aura de fournage et que la chambrière du dit fournier porte touct le pain de toucts au dit four et estant cuit le porte et rende à la maison de qui appartiendra le dit pain et que ladite chambrière soit payée de ses paynes à la discrétion du maistre du pain; et que soit tenu de cuyre tout le pain bien et loyallement et si le pain se perdoit par faulte du fournier ou des messagers du four et si se gastoit pour mal estre cuit ou par aultre chose, que le fournier le paye au

 

(1) Comp. Et. de Saint-Louis, t. I, p. 104.

 

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maistre du pain, et que le seigneur du four fasse ou fasse faire bonne maiou et bien fermer de bonnes ferrures le four. »

Le régime de la boulangerie était libre; mais on avait, dans l'intérêt de tous, réglementé le métier de boulanger: « et les boulangers et boulangères faisant le pain pour vendre, que fassent bon pain et grand et que y gagnera sur les cestiers de bled seitze deniers et le son de repasse, si est passé par thamis et sans plus, si ainsi ne le font, que leur pain soit perdu et confisqué, et cinq sous caorcens, desquels cinq sous, la moytié sera au bailli et l'autre moitié au Conseil. »

C'est un régime analogue que nous trouvons dans les bastides: les moulins et boulangeries sont libres et ouverts à tous; sauf le droit pour les consuls de réglementer l'exercice de ces professions qui intéressent la santé publique. Quant aux fours, voici la disposition que nous rencontrons dans presque toutes les bastides (sauf quelques modifications de détail) « quicumque voluerit poterit habere et facere furnum in dicta bastida, et in barriis ejusdem bastide; et de quolibet et furno in quo quis panem de coquet ad vendendum vel panera vicini sui nobis quolibet in festo sancti frontonis solventur qumque solidi obliarum et totidem de acaptgio domino mutante » (1). Ce texte est celui des coutumes de Beaumont du Périgord: on y proclamait la liberté du four; tout le monde pouvait l'établir où et comme il voulait; mais s'il servait à cuire le pain pour la vente, ou pour autrui, il fallait payer une redevance annuelle, à titre d'acapte à mutation de seigneur. Un régime analogue se retrouve dans d'autres chartes et notamment à Lalinde.

Mais dans un plus grand nombre de bastides, après proclamé pour chacune le droit absolu d'avoir un four pour

 

(1) C'est la leçon que donne Lalinde et autres chartes, meilleure que dominice nativitatis du texte des ordonnances qui paraît être une faute,car l'acapte se payait, au cas de vente, et ne se payait pas à une fête déterminée.

 

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ses besoins, sans redevance à payer; pour les fours destinés à cuire le pain à vendre ou le pain d'autrui, le propriétaire du four avait à payer une redevance ou oublie, soit annuelle, soit par semaine, sans droit d'acapte. C'est le système qui est appliqué à Villeréal (art. 36), le droit d'oublies était de 12 deniers par semaine (1), à Villefranche du Périgord, où le droit était de 10 sous d'oublies à payer annuellement à la fête de la purification de la Vierge (art. 33); à Valence (art. 36), où les oublies étaient de 10 sous à payer annuellement; à Montchabrier (art. 42), où le droit qualifié d'oublies ou fournage était de 10 sous à payer annuellement in crastinum Natali domini, Eymet 10 sous annuels à payer à Pâques.

Ainsi le droit perçu devenait une espèce de patente à payer par celui qui exerçait le métier de fournier, mais sans monopole à son profit, et chacun conservant le droit de cuire son pain chez lui (2).

Système très libéral comparé aux règles du droit féodal en cette matière.

 

VI. Service militaire.

 

« Les devoirs militaires des communiers se peuvent répartir en deux catégories distinctes: devoirs d'ost et de chevauchée envers le Roi ou le seigneur; devoirs envers la

 

(1) Montflanquin et Saint-Pastours (mêmes règles).

(2) A Bénevent, disposition empruntée à Sainte-Foy la Grande. « Item Furni dicte ville sint nostri et pro viginti panibus, de coquendis dabitur vicesimum et non plus, et omnes habitantes in dicta villa teneruntur decoquere panem in furnis nostris ». Donc ici les fours restaient une propriété seigneuriale, avec un monopole, système de l'Alfonsine, Castel-Sagrat,etc.

Mais monopole mitigé, puisque l'on autorisait chaque habitant à avoir son four pour ses besoins personnels: « Excepto, quod habitantes dicte ville possint de quoquere in domo sua panem sibi et familiae et domini necessarium si velint ad comedendum non tamen ad vedendum.

Ad panem azimum liceat cuilibet in dicta villa de quoquere in domo sua et siquis contra hoc fecerit in quinque solidis pro justici puniatur (fol. 1 r°).

 

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commune pour la défense de la ville et de ses droits, pour le bon ordre intérieur (1) ».

Le service d'ost et de chevauchée était dû au seigneur par tous les vassaux et les habitants de la seigneurie: c'était la conséquence du lien féodal et des droits de souveraineté dont le seigneur était investi.

Aussi le fondateur de la bastide les réservait, à son profit, à l'encontre des habitants de la bastide. C'est ce que nous voyons dans les concessions de bastide faites par Alfonse de Poitiers, notamment Castel-Sacrat, Eymet, Villeneuve-sur-Lot, etc (2).

Le roi de France agit de même dans les concessions de bastides (3).

Si, à l'origine, l'ost et la chevauchée étaient dus par les vassaux, sans aucune limitation, bientôt des limitations sont apportées à l'exercice de ce droit et à notre époque les chartes ne reconnaissent en général au seigneur que le droit d'exiger le service militaire dans l'étendue du diocèse, ou de façon que les milices puissent rentrer chez elles en un jour en prenant le jour d'été le plus long (4).

Dans tous les cas, les chartes qui mentionnent le service

 

(1) Paul Viollet, Histoire des institutions politiques et administratives de la France, t. III. p. 123.

(2) In omnibus autem aliis quae non sunt in praesenti littera expressa retinemus..., omnem justiciam juris dictionem, subjectionem, reverentiam, exercitum et cavalcatam secundum usus et consuetidines diocesis Caturcensis (vel Agennensis) et alia quaecumque verus dominus potest et debet habere in terra sua, etc.

(3) Chartes de Marziac (art. 59), Tournay (art. 59), Peyrouse (art. 58) et Trie (art. 77) (O.R.F.)

(4) C'est ce qui est indiqué pour les habitants du pays d'Issigeac « ainsi ils doivent de service militaire dans toute l'étendue du diocèse de Périgueux et encore en d'autres lieux pourvu que dans leurs expéditions les plus longues, il leur suffise de l'un des grands jours de l'année, d'un jour d'été, comme parle la charte, pour revenir dans leurs foyers ». Delpit: Man. de Wolfenbüttel: notices et manuscrits, t. XIV, 2e partie, p. 296 (Ac. des inscriptions et belles-lettres).

 

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militaire indiquent les limitations qui y avaient été apportées (1).

Au reste, ce service d'ost et de chevauchée, au profit du seigneur, ne se maintint pas longtemps dans son intégrité; soit que, moyennant finances, les redevables de la commune s'en fusse fait dégrever par leur seigneur (R.G. t. I, n° 281); soit qu'ils eussent obtenu de lui, à titre gracieux, une immunité perpétuelle ou temporaire (2).

Quelquefois, on rencontre des immunités accordées à titre personnel, à un individu déterminé (3).

Enfin, l'organisation de l'armée permanente, comme l'engagement de corps de troupes importants, allait rendre inutile l'appel des milices féodales, et le service d'ost et de chevauchée se transformera en taxes pécuniaires qui en tiendront lieu; il ne faut pas s'étonner du silence de nos chartes sur le droit de ost et de cavalcade.

Les bourgeois des bastides avaient à leur charge un autre genre de service militaire: ils avaient pour devoir d'assurer la défense de la ville, en cas d'attaque, et d'y faire régner le

 

(1) Comp. pour le castrum de Puyguilhem (n° 224, man. de Wolfenbüttel). La charte de Lalinde impose aux habitants l'obligation de servir le duc ou son sénéchal 40 jours par an et de leur prêter aide et assistance à leurs frais pendant ce temps de service (charte de Lalinde, loco cit., p. 95 et 96). Disposition semblable dans la charte de Beauregard, loco cit., p. 172. Et, le comte de Périgord, a Bénevent, réserve le service d'ost dans les termes suivants: « Item habitantes dicte ville debent nos sequi en ost contra exheredacionem nostram, ad consilium consulum et bajulum (sic) per Petragoricensem diocesim et non ultra » (loco cit., fol. 5, col. 1 r°) et pour la bastide de St-Louis en Périgord, mars 1325 (O.R.F.) t. XII, p. 496.

Comp. pour la bastide de Sauveterre (Gironde, arrond. La Réole). R.G., t. II, n° 746 et autres bastides soumises à des usages analogues. R.G., t. II, nos 55, 56, 57, 58, et pour Bordeaux, R. G., t. I, n° 281.

(2) Pour les bastides de Sauveterre (Gir.), l'immunité fut accordée pour dix ans (R. G., t. II, n° 746) pour Saint Osbert pour sept ans. En 1242, La Réole obtint une immunité jusqu'à la fête de la Saint-Martin (R. G., t. I, n° 588), probablement pour faciliter les travaux de la vigne.

(3) A titre d'exemple (R. G., t. II, n° 1054), immunité au profit de Pierre Robert, notaire à Bordeaux.

 

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bon ordre, en assurant la sécurité de tous: pour ce service, ils étaient placés sous la direction des consuls (1).

Si, au début, on considéra comme un devoir et comme un privilège de pratiquer le guet, bientôt les choses se modifièrent; le pouvoir central voulut avoir la défense des villes dans sa main, et il se préoccupa d'en nommer l'agent responsable: de là, la création du capitaine de la ville, chef de la défense et échappant à l'autorité municipale.

A l'origine, on trouve des nominations isolées, motivées en certains lieux par des circonstances particulières, puis l'institution s'organise, et, dans chaque bastide, à côté des consuls et du bayle, un chef militaire, capitaine de la ville, sera spécialement chargé de la défense de la cité (2).

L'histoire nous a conservé le nom de plusieurs capitaines de nos bastides; le roi, qui se préoccupait de l'entretien des fortifications et de leur établissement, réglementa tout ce qui touchait à leur défense, le guet, etc.; et nos municipalités virent ainsi leur échapper, peu à peu, une des prérogatives les

 

(1) « Et predicti milites et domicelli debent facere escubias de die et nocte, dum opus fuerit » (diront bien des Chartes. Comp. R. G., t. II, n° 746. Comp. Marziac (art. 14). Peyrouse (art. 14). Trie (art, 13). etc. « Item quod consules dictae bastidae, una cum gentibus seu officialibus domini Regis, possint custodire villam cum armis de die et de nocte, et facere capi et arrestari delinquintes et malefactores et eos reposcere in carcere dictae bastidae pro meritis puniendos. » Marziac (art. 14).

(2) Ainsi en 1242, le roi d'Angleterre confie les châteaux de Bigarroque et de Belvès au comte de la Marche et à Bernard de Béteille (R. G., t. I, n° 907). Belvès, sans être une bastide, était une ville à consulat. Vers la même époque, le roi d'Angleterre confie la garde de Puy normand, à Guillaume de Monravel (R. G., t. I. n° 518, avec l'indication de la force de la garnison). En 1352 et 1357, Bonnefoy de Biron était capitaine de Belvès et y fit montre de sa compagnie (le père Anselme, t, I, p. 350 (famille des Biron). En 1350, le roi de France, pour se rendre favorable les Biron de Montferrand, donne au fils de Jean de Biron, seigneur de Montferrand, la capitainerie et le gouvernement de Montpazier, avec 20 livres de revenus annuels a prendre sur les produits de Montpazier. Ces Biron de Montferrand, tantôt anglais, tantôt français, recevaient des faveurs des rois de France et des rois d'Angleterre.

 

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plus importantes, à laquelle elles étaient très attachées, et qu'elles avaient à notre époque exercée avec quelque gloire.

Telles furent nos bastides, dans la première période de leur existence, que nous sommes tentés d'appeler la période héroïque. Nous faisons-nous illusion sur le caractère de ces établissements; mais il nous paraît, comme nous l'avons affirmé plusieurs fois, qu'elles réalisaient un type municipal intéressant; le pouvoir central, au lieu de les soutenir, et d'en étendre aux cités voisines la constitution, les a contrariées dans leur développement normal, les a placées sous une tutelle, tous les jours plus étroite, et il a fallu l'organisation des municipalités modernes, pour trouver des types analogues à nos bastides.

 

 

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