Extrait de Albia Christiana, 2e
série, 15 juillet 1911, p. 351-362
Article de L. de Lacger.
La pancarte de
l'abbaye Saint-Etienne de Baigne, en Saintonge
I .Introduction
Histoire du
document
Le document pontifical dont on
trouvera la transcription ci-après, provient des archives du château de
Céleyran (Aude), appartenant à M. Tapié de Céleyran qui a bien voulu nous le
communiquer.
Comment et à quelle époque a-t-il
émigré de Saintonge en Bas-Languedoc et échappé à la propriété d'un abbé ou de
ses moines pour passer en celle d'un châtelain laïque, nous ne saurions le dire
avec exactitude. On peut conjecturer qu'il a quitté le monastère de Baigne, son
légitime propriétaire, vers 1567, lors des troubles religieux provoqués par la
seconde prise d'armes des protestants. Il est constant qu'au déclin du XVIe
siècle, les archives de l'abbaye étaient déjà dispersées. Un des articles les
plus précieux, le Cartulaire, rédigé au XIIIe siècle, se
trouvait en 1591 entre des mains étrangères, peut-être entre celles d'un membre
de l'église réformée (1). Dom Clément Estiennot, visitant Saint-Etienne de
Baigne, en 1675, n'y trouvait plus notre bulle et la croyait irrévocablement
perdue avec tous les autres titres de l'abbaye.
Cependant, il en restait une
copie. La « grégorienne » avait été reproduite dans le Cartulaire, contenant
cinq cent cinquante pièces de longueur et d'importance très variable. Elle
terminait même le volume. Ce fut à son détriment, car, en 1865, lorsque le
Cartulaire retrouvé fut présenté à l'abbé Cholet par le bibliothécaire de
Saintes, M. Moreau, les cinq derniers feuillets manquaient, ceux précisément
qui contenaient la copie de la bulle. Heureusement le Cartulaire avait été
transcrit, on ne sait par qui, vers la fin du XVIIe siècle, alors
qu'il était dans toute son intégrité. Le document pontifical se retrouve dans
cette copie, et c'est le texte que l'abbé Cholet a reproduit dans sa
publication (2).
La bulle n'a pas été enregistrée
avant son expédition. Elle ne se trouve pas dans les Registres de Grégoire
IX, publiés par M. Lucien Auvray (3 vol. in-fol. Paris, Fontemoing,
1896-1911). Son absence n'est pas un signe d'inauthenticité. Les actes
pontificaux n'étaient transcrits dans les Regestra que sur la demande
des intéressés. Ce n’en était qu'une petite partie, ansi qu'une comparaison
entre les Regesta de Potthast et les Regestra de M. Auvray permet
de s'en convaincre.
Le document pontifical, dans
l'édition de l'abbé Cholet, ne laisse pas de présenter des lacunes et des
fautes (3). Le scribe de Baigne qui le transcrivit dans le Cartulaire de
l'abbaye, ignorait le sens de certains sigles et abréviations. IN PPM a élé lu
« in predicto rnonasterio » au lieu de « in perpetuum ». Le monogramme de BENE
VALETE n'a pas été interprété. Nous avons signalé en note dans notre
transcription les variantes représentant des défauts de lecture, imputables
soit au copiste du XIIIe siècle soit à celui du XVIIe
siècle.
Etude diplomatique
de la pancarte (4).
Le diplôme pontifical est écrit
sur une grande pièce de parchemin dont les dimensions sont 740 x 573
millimètres. Il y occupe vingt-huit lignes sans compter les signatures et la
date.
L'écriture employée est la
minuscule romane. Les majuscules en tête des phrases sont en lettres onciales,
ainsi que le nom du pape GREGORIUS dans la suscription et le
IN PPM. La première ligne, contenant la suscription et l'adresse, est en
lettres hautes et grêles, aux hastes allongées. Cet allongement des hastes se
remarque aussi dans le nom du pape Alexandre au corps de la bulle et dans la
souscription du pape Grégoire au bas de l'acte. La pièce se termine par trois amen
dont les caractères s'étirent de façon à remplir toute la dernière ligne. En
tout ceci, la bulle n'a rien qui la distingue des actes émanés de la
chancellerie pontificale à cette époque.
Les signes de validation méritent
une attention particulière. C'est d'abord la signature du pontife, comprenant
la rota, la souscription et le Bene valete, disposés sur une même ligne.
La rota est proprement le
seing du pape. Entre deux circonférences concentriques, respectivement de 63 et
de 38 millimètres de diamètre, on lit, précédée d'une petite croix, la devise
de Grégoire IX: Fac mecum, Domine, signum in bonum, extraite du Psaume
LXXXV, v. 17. A l'intérieur de la petite circonférence, les noms des saints
apôtres, Pierre et Paul, et de leur successeur Grégoire IX, selon la
disposition reproduite dans notre transcription. Faisant pendant à la rota, à
droite, le monogramme du BENE VALETE, accompagné du komma (.,).
Entre les deux, la souscription du pape: Ego Gregorius catholice ecclie eps,
suivie de deux SS. entrelacés (subscripsi) et
d'un point.
Au-dessous de la signature du
pontife, on lit celles de neuf cardinaux: deux évêques, quatre prêtres et trois
diacres. Les deux évêques (de Sabine et de Tusculum), signent immédiatement au
dessous du pape, les prêtres à gauche des évêques, les diacres à droite. La
signature est libellée d'une manière uniforme: Ego, N. le nom de baptême du
dignitaire, le titre et deux SS entrelacés (subscripsi). La dignité
cardinalice n'est mentionnée que pour les prêtres et les diacres (presbyter
cardinalis, diaconus cardinalis). Chaque souscription est précédée d'une
croix et suivie d'un signe de ponctuation, clausula (:,-.;.-;). Seuls
probablement, le SS et la clausule sont de la main du dignitaire. On remarque
des blancs entre les signatures du premier et du second des cardinaux-prêtres,
entre celles du deuxième et du troisième des cardinaux-diacres. Ils devraient
recevoir après coup la souscription des cardinaux présents au consistoire où la
bulle a été approuvée et qu'une circonstance accidentelle avait empêchés de
signer. L'ordre d'ancienneté est rigoureusement observé.
La date occupe une dernière ligne
tout au bas du parchemin sur le bord du repli. Elle mentionne: 1° le lieu
d'expédition de la bulle: Rieti; 2° le nom du vice-chancelier, préposé à
la direction de la chancellerie, Innocent III, en 1213, ayant supprimé la
dignité de chancelier. On lit ici le nom de Maître Martin, archidiacre de
Sienne; 3° les indications chronologiques: quantième du mois, indiction,
année de l'Incarnation, année du pontificat de Grégoire.
Une erreur s'est glissée dans la
date de l'indiction. Il faut lire XV au lieu de V (vide infra).
D'ailleurs, le libellé de la date est conforme aux règles de chancellerie de
l'époque. C'est ainsi que le nombre indiquant le rang du pape est écrit en
chiffre, tandis que celui qui indique l'année du pontificat est écrit en toutes
lettres. Au déclin du XIe siècle on eût écrit: « anno ...
pontificatus vero domni pape Gregorii noni VI° », au lieu de « pontificatus
vero domni Gregorii pape VIIII, anno sexto » (5).
La bulle de plomb est le
sceau du pape comme la rota est son seing manuel. Son type est fixé depuis le
pontificat de Pascal II (1099-1118). Elle est caractéristique des grandes
bulles. Notre pancarte a par bonheur conservé la sienne ce qui n'est pas très
commun. Elle est appendue au rebord inférieur replié de la pièce sur lacs de
soie rouge et jaune. D'un diamètre moyen de 4 centimètres, elle porte d'un côté
les têtes affrontées et représentées de trois quarts des apôtres Pierre et
Paul, séparées l'une de l'autre par une croix et surmontées de l'inscription S.
PA. S. PE. La tête de saint Paul est caractérisée par une barbe en pointe dont
les poils ainsi que les cheveux sont formés de traits; celle de saint Pierre a
au contraire la barbe et les cheveux formés d'un pointillé; des cordons de
points forment les auréoles et un autre cordon de points entoure toute la
représentation. Il y a intérêt à compter le nombre de points formant ces
grenetis, car, un auteur du XIIIe siècle nous apprend qu'ils étaient
employés comme moyen de vérification, la contrefaçon de ces empreintes étant
fort aisée. Le nombre des points variait avec les différentes matrices gravées
successivement sous un même pontificat (6). L'auréole de saint Paul est formée
de 25 points, celle de saint Pierre de 26; les cheveux et la barbe de ce
dernier de 22. Sur le revers de la bulle, encadré dans un pointillé, on lit le
nom du pape, son titre et le chiffre indiquant son rang: GREGORIUS PP VIIII.
Tout en haut de la pancarte, à
l'angle de gauche, on distingue trois groupes de caractères minuscules avec des
signes d'abréviation, mais tellement pâles et effacés, que la lecture nous en a
été impossible. De pareilles mentions sont rares au début du XIIIe
siècle. Elles renseignent généralement sur les « diverses étapes que traversait
l'expédition d'une bulle avant de parvenir à son destinataire ». Dans
l'intérieur du repli, sur les marges et au dos, on ne peut relever aucun autre
signe, contemporain du document. La mention: Bulle de l'abbaye de Baigne,
qu'on lit deux fois au dos, est d'une écriture du XVIII-XIXe
siècles.
La formule de notre diplôme
répond exactement, quant à sa teneur et à son style, au type fixé
définitivement par la chancellerie romaine sous le pontificat d'Innocent III
(1198-1216).
La suscription n'a pas
varié depuis le IXe siècle; le pape se dit toujours « le serviteur
des serviteurs de Dieu ». L'adresse ne nomme pas expressément l'abbé du
monastère de Baigne. Le préambule (Pie postulatio voluntatis....
assumat) se retrouve tel quel dans le privilège du pape Calixte II délivré
au monastère de Castres, le 3 mai 1122 (7) et dans celui d'Innocent II au
chapitre de Sainte-Cécile d'Albi, le 12 juin 1135 (8). La formule est donc
ancienne et d'ailleurs vide d'histoire. L'exposé annonce que le pape
prend le monastère sous sa protection (Ea propter... communimus), puis,
dans un long dispositif, énumère les privilèges concédés. Les clauses
finales (Decernimus... Amen) prononcent de terribles menaces contre
les contempteurs de la présente constitution et promet les récompenses
éternelles à ceux qui en assureront la fidèle observation. Le thème de cette
formule se rencontre déjà dans les lettres de saint Grégoire-le-Grand
(590-604); les termes en sont à peu près fixés dès Urbain II, au déclin du XIe
siècle.
A la suite viennent les signes de
validation et la date dont il a été déjà question.
Caractère du
document
La charte se désigne elle-même sous
le nom de constitution (hanc nostre constitutionis paginam) et de
décret (ad hoc presenti decreto). Le nom de bulle n'est pas
primitif. Il a passé du sceau de plomb à la lettre scellée. Ces sortes de
métonymies ne seraient pas perceptibles avant le milieu du XIVe
siècle (9).
Le pape spécifie que l'octroi de
ces lettres est un privilège (presentes scripti privilegio), et le terme
de privilège est celui qui désigne communément les diplômes d'immunités
accordés par un souverain, laïc ou ecclésiastique. Ici, il prendra proprement
le nom de pancarte, parce que, outre les faveurs et les exemptions qu'il
concède, il confirme à l'abbaye la possession de ses églises et autres biens et
en donne la complète énumération. Et c'est précisément en cela que notre diplôme
se différencie du privilège proprement dit octroyé le 9 novembre 1111 à la même
abbaye par le pape Pascal II. Le pontife nous apprend qu'en étendant la
protection de saint Pierre aux moines de Baigne, il ne fait que se conformer «
aux exemples de son prédécesseur le pape Alexandre, d'heureuse mémoire ». Il
s'agit très vraisemblablement d'Alexandre III (1159-1180); si la bulle à
laquelle il est fait allusion, était d'Alexandre II (1061-1073), le privilège
de Pascal II, de date ultérieure, n'eût probablement pas manqué d'en faire
mention. La pancarte de 1235 est donc une confirmation de bulle antérieure,
Objet de la bulle
Cet octroi de lettres
apostoliques, expressément sollicitées et qui ne s'obtenait qu'à titre onéreux,
répondait à un besoin de défense, de patronage, de protection. Le monastère,
exposé aux déprédations des voisins, aux abus de pouvoirs des seigneurs laïcs,
aux empiétements de l'ordinaire, menacé dans sa tranquillité extérieure et dans
ses libertés organiques, se donnait, corps et biens, au saint-siège, de telle
sorte que toute attaque, dirigée contre son indépendance et ses biens,
atteignait directement le Souverain Pontife, un puissant seigneur en état
d'imposer le respect de son droit. C'était une application particulière de
l'institution fort ancienne de la recommandation
par laquelle le faible se faisait le vassal du fort et consentait à recevoir de
lui en fief ou location perpétuelle le domaine qu'il avait possédé
jusque-là en toute propriété ou alleu. Cette pratique, fort en usage dans
le monde barbare et qui a fondé le régime féodal, a été adoptée par les
monastères francs à l'égard du Saint Siège dès le VIe siècle.
C'était la recommandation à saint Pierre (10). Elle subit une éclipse
lors de la renaissance carlovingienne. C'est aux empereurs et aux rois, les
grandes puissances d'alors, qu'églises et monastères se recommandèrent. La
chancellerie de Charlemagne et de ses successeurs délivrèrent par centaines les
diplômes d'immunité et de sauvegarde. Lorsque le pouvoir central se fut effondré
et que la. polyarchie féodale se fut substituée à la
belle unité carlovingienne, restaurée de l'antiquité romaine, les corporations
religieuses se tournèrent de nouveau vers saint Pierre et son vicaire, à
l'exemple de Cluny qui, dès 910, par la volonté de son fondateur, Guillaume
d'Aquitaine, ne relevait au spirituel et au temporel que de la papauté. Malgré
l'abaissement où les usurpations des féodaux romains avaient réduit le
Saint-Siège, la protection de l'Apôtre était jugée plus efficace que celle d'un
seigneur ou celle d'un fantôme de roi. A dater du milieu du XIe
siècle, lorsque la papauté se fut régénérée avec les Léon IX et les Hildebrand,
son prestige grandit si fort, qu'il n'est peut-être pas de chapitre et de
monastère qui n'ait sollicité sa protection et obtenu d'elle un « privilège ».
Cependant, à mesure que l'ordre renaissait dans la société civile et
religieuse, que rois et évêques reprenaient conscience de leur mission et, à
force de vaillance et d'adresse, parvenaient à rétablir la paix et l'unité dans
l'Etat et dans l'Eglise, la sauvegarde pontificale perdait de son utilité;
l'exemption et les immunités qu'elle impliquait, pouvaient devenir des facteurs
de désordre après avoir tant favorisé le progrès moral.
Or, en 1232, sous le gouvernement
de Blanche de Castille, lorsque Grégoire IX renouvelait à l'abbaye de Baigne la
protection du Saint-Siège, la France atteignait cette heureuse étape de son
évolution politique. Henri III, le roi d'Angleterre, vassal du roi de France
pour le Poitou dont faisait partie notre Saintonge, venait d'apprendre à ses
dépens les dangers d'une rébellion contre son suzerain (campagne de 1230) (11).
Peu après, saint Louis réalisait le modèle le plus achevé d'une monarchie
féodale et habituait à l'obéissance tout une hiérarchie de grands et petits
feudataires, De leur côté, dans les diocèses, les évêques parvenaient à
restaurer leur monarchie spirituelle, si compromise par les usurpations des
laïcs et les autonomies monastiques.
Notre bulle n'élève point de
nouvel obstacle à l'exercice de la prérogative royale ou épiscopale. Il ne
paraît rien ajouter à la situation privilégiée dans laquelle la loi civile et
le droit canon placent le monastère. Il confirme seulement des droits acquis et
reconnus dans le but de rendre leur violation moins aisée et moins fréquente.
Il réserve les droits de l'Etat, ne condamnant que les impôts arbitraires et
les charges nouvelles non consenties. A plusieurs reprises, il sauvegarde les
droits de l'ordinaire. C'est à l'évêque diocésain qu'appartient la bénédiction
de l'abbé; c'est à lui que le nouvel élu prête le serment d'obéissance,
soumission et révérence; le métropolitain continue à exercer son droit de
visite. L'acte pontifical n'innove pas dans la législation courante On ne
reconnaîtra point de caractère d'actualité aux parties de la bulle empruntées
au formulaire. Elles font allusion à un état de trouble et de violence qui
n'est plus celui de notre époque. La formule est demeurée la même à travers le
changement des temps.
C'est sur le dispositif que notre
attention doit se porter. Voici l'analyse de ses clauses: on chercherait en
vain un ordre logique dans leur succession.
1° La bulle garantit au monastère
le droit de suivre en tout la règle de saint Benoît (ordo monasticus ...
secundum beati Benedica regulam). Il faut entendre par là que l'élection de
l'abbé appartiendra aux religieux et que ni le roi d'Angleterre, ni I'évêque de
Saintes n'y pourront rien prétendre.
2° Les biens présents et futurs
de l'abbaye lui sont confirmés, notamment, dans le diocèse de Saintes quarante
et une églises ou chapelles avec leur dotation territoriale, leurs dîmes et
autres revenus, dans le diocèse de Bordeaux trois, dans le diocèse d'Angoulême
deux, dans le diocèse de Périgueux cinq: au total cinquante et une dont
l’énumération occupe la moitié environ de la pancarte.
3° L'immunité fiscale est
garantie à ces biens, mais seulement vis-à-vis des impositions nouvelles qui
devront être consenties par les propriétaires. Le pontife ne s'oppose pas à ce
que les exactions anciennes et raisonnables soient levées (antiquam et
rationabilem ... consuetudinem). La restriction est importante.
4° Le monastère a le droit de
patronage sur les églises qu'il possède. Il présente les clercs qui doivent les
desservir. L'évêque ne peut leur refuser la juridiction s'il les juge aptes au
ministère des âmes. Mais c'est de lui qu'ils relèvent au spirituel. Ils ne
répondent au monastère que des choses temporelles. Les droits de l'ordinaire
sont saufs.
5° Lorsque l'interdit sera jeté sur
la terre où se trouve l'abbaye, les religieux auront encore le droit de
célébrer l'office divin, mais pour eux seulement, portes clauses, sans
sonneries de cloches, à voix basse, à moins toutefois qu'ils n'aient donné
matière à l'interdit. Se souvenait-on du fameux interdit dans lequel le pape
Innocent III avait mis le royaume de France, en 1198, pour obliger le
souverain, Philippe Auguste, à renvoyer sa concubine Agnès de Méranie et
reprendre sa légitime épouse, Ingeburge de Danemark? Il avait duré neuf mois.
Les religieux s'assuraient contre le retour de pareilles calamités.
6° Les moines auront le droit
d'accueillir les dépouilles mortelles des chrétiens qui voudront dormir leur
dernier sommeil à l'ombre de leurs églises ou de leur cloître, réserve faite
cependant d'une composition à acquitter envers la paroisse lésée.
7° Enfin, le souverain pontife
confirme à l'abbé le pouvoir administratif et le pouvoir coercitif que la règle
bénédictine lui confère sur les moines de sa maison et des prieurés qui en dépendent.
Origines de
l'abbaye de Baigne
Baigne est aujourd'hui un
chef-lieu de canton de l'arrondissement de Barbezieux (Charente-Inférieure). Il
faisait partie autrefois de la Saintonge ou diocèse de Saintes.
La fondation de son abbaye ne
saurait être datée avec certitude. La Chronique de Turpin (XIe
siècle) dont l'autorité est nulle (12), lui donne une antiquité fabuleuse. Elle
aurait été édifiée par saint Martial, l'apôtre supposé de Limoges, aux origines
du christianisme. Charlemagne y aurait séjourné. Ces inventions reflètent sans
doute les prétentions des moines au XIe siècle. Au XVIe
siècle, une autre tradition attribuant la fondation de l'abbaye au grand
empereur, est recueillie par Corlieu, chroniqueur angoumois, l'auteur estimé du
Recueil en forme d'histoire de ce qui se trouve par escrit de la ville et
des comtes d'Engolesme (1576). Cette opinion a trouvé bon accueil auprès de
D. Estiennot (Antiquités bénédictines) et des éditeurs du Gallia
Christiana nova, tome II, col. 1118.
L'abbé Cholet fait cependant
observer que « dans une liste des monastères qui ne doivent au service de
l'Empereur ni tribut ni service, mais seulement des prières, dressée en 817 et
imprimée, col. 430, tom. XCVII de la Patrologie latine de Migne, on ne trouve
ni l'abbaye de Baigne ni aucun des monastères du diocèse de Saintes » (13).
Les premières pièces du
Cartulaire ne remontent pas au-delà du règne de Robert le Pieux (996-1031). Il
se pourrait que la fondation de l'abbaye fût peu antérieure à l'aube du XIe
siècle. Quoi qu'il en soit, depuis cette époque jusqu'au second tiers du XIIIe
siècle, et plus spécialement au milieu du XIe siècle au milieu du
XIIe, les donations, d'églises surtout, affluèrent vers l'abbaye. Le
plus grand nombre parmi les cinq cent cinquante pièces colligées dans le
Cartulaire ont trait à des donations, legs, échanges, cessions et actes de même
nature. Il semble qu'au XIVe siècle, l'abbaye de Baigne ne le cédât
en richesse et en population monacale, dans le diocèse de Saintes, qu'au
chapitre cathédral et aux monastères de Saint-Jean d'Angély (hommes) et de
Notre-Dame de Saintes (femmes) (14).
Les bénédictins de Baigne
refusèrent obstinément de s'affilier à la congrégation de Cluny. Ce n'est pas
sans combats qu'ils réussirent à sauvegarder leur autonomie. En 1098, l'évêque
de Saintes, Rannulfe, seigneur temporel de l'abbaye, l'avait donnée à saint
Hugues, l'archi-abbé de Cluny, sans nul doute pour qu'il y fît refleurir la
primitive observance. Les religieux s'opposèrent à l'union et saint Hugues n'insista
point. Cependant un parti réformateur et cluniste se constitua dans la
communauté.
La mort de l'abbé Adhémar, en
1109, mit aux prises les deux fractions antagonistes, chacune ayant son
candidat à l'abbatiat. Le parti cluniste n'aurait compté que quatre membres.
Son élu, du nom de Foulque, aurait payé d'audace. Pendant les funérailles
d'Adhémar, il aurait osé occuper la stalle de l'abbé défunt, s'exposant ainsi
aux mauvais traitements de la majorité. Mais l'évêque de Saintes, Pierre, était
pour lui. Il lui conféra la bénédiction abbatiale et renouvella à l'abbé de
Cluny, Pons, la donation de son prédécesseur (1110) (15). L'affaire fut portée
à Rome. Pascal II rapella ce principe d'après lequel « une abbaye ne peut être
soumise à aucune autre contre le gré de ses religieux »; il accorda même au
parti de la majorité le « privilège » dont celui-ci sollicitait l'octroi (16).
Cependant le légat du pape, Gérard, évêque d'Angoulême, mettant peu de zèle à
terminer le conflit, la majorité offrit à Foulque de le reconnaître pour abbé,
s'il renonçait à recevoir sa juridiction du chef d'ordre. Foulque, fidèle
jusqu'au bout au parti de la réforme, fit de l'union à Cluny la condition de
son consentement. On ne put s'entendre. Foulque fut écarté et le candidat de la
majorité institué par l'archevêque de Bordeaux (1112) (17).
Il faut croire que, par la suite,
le rattachement direct à la congrégation clunisienne qui avait échoué au
tournant du XIIe siècle, aboutit indirectement par une subordination
de l'abbaye de Baigne à celle de Saint-Martial de Limoges, affiliée elle-même
de très bonne heure à Cluny. Dom Estiennot, au XVIIe siècle, lut, en
effet, dans un manuscrit de Saint-Martial qu'en 1226 l'abbé Guillaume de Jaunac
avait mandé auprès de lui les chefs du monastère, ses subordonnés, entre
autres l'abbé de Baigne (18). La bulle de Grégoire IX, octroyée six ans après,
ne fait aucune allusion à cette dépendance.
Au XVIe siècle,
l'abbaye était tombée en commande. Elle disparut à la Révolution.
L. de Lacger.
(l) L'abbé Cholet, Cartulaire
de l'abbaye de Saint-Etienne de Baigne, in-4° de 383 pages, Niort, 1869,
Préface, p. XVII.
(2) op. laud., p. 238-241.
(3) L'abbé Cholet écrit, p. 238,
en note: « Cette bulle de Grégoire IX ne nous est connue que par la copie
faite, au XVIIe siècle, par une main bénédictine; sans nul doute,
à cette époque, l'original existait encore dans les archives de l'abbaye de
Baigne. »
L'auteur n'appuie d'aucune preuve
une assertion aussi catégorique. Le copiste a pu la trouver, jointe aux autres
pièces, dans le cartulaire. Il serait bien surprenant que le scribe du XIIIe
siècle eût omis dans sa collection un document de cette valeur, alors qu'il a
su donner la première place au privilège du pape Pascal II, du 19 novembre 1111
(p. 1). Les gloses explicatives, rédigées en latin, qui accompagnent le texte (Sic
signalum. - Cum paraphis hinc et inde et inferius. - Sub plica.
- Sigillatum in plumbo more romano sub cauda sericea coloris rubri flavique),
rappelleraient le moyen-âge plutôt que les temps modernes. Elles sont rédigées
en français ou font défaut dans les copies que le président de Doat faisait
relever, à la fin du XVIIe siècle, dans les archives privées et
publiques du Languedoc.
Il faut reconnaître toutefois,
dans notre hypothèse, qu'au moment de l'insertion dans le cartulaire, certaines
signatures étaient déjà partiellement effacées. Par contre, le pliage du
parchemin n'avait pas encore déterminé les déchirures qui rendent aujourd'hui
certains mots illisibles. La confrontation de l'original et de la copie permet
la reconstitution presque intégrale du texte.
(4) Le meilleur guide dans le
genre d'étude que nous abordons est le Manuel de diplomatique de A. Giry, Paris, Hachette, 1894, in-8° de 944 pages.
(5) Cf. A. Giry, op. laud. p. 679 et 691.
(6) Ibid. p. 691 et note 6,
(7) Publié par E. Cabié, dans
Albia Christiana, II (1894), 62.
(8) Publié par E. d'Auriac,
Histoire de l’ancienne cathédrale el des évèques d'Alby, 1858, p. 197; Cf.
Albia Christiana, V, (1897), 37.
(9) A. Giry, p. 662, note 1. Voir
un vidimus par Philippe VI, du 16 août 1343.
(10) Albert Dufourcq, L'avenir
du christianisme, tome V, 3e édition, Paris, 1911 p. 30 note 1;
p. 120-121, note 1.
(11) Ch.-V. Langlois, Saint Louis
... dans l'Histoire de France de Ernest Lavisse tome III, II, p. 12.
(12) G. Paris, De Pseudo-Turpino,
Paris, 1865.
(13) Cartulaire ... Préface, p.
XI.
(14) Cartulaire ... Préface, p.
XXXIII.
(15) Voir l'acte de donation
provenant des archives de Cluny, dans Gallia Christiana nova, II, col.
1118.
(16) Ces démêlés sont rapportés
par un adversaire de Cluny dans la pièce III du Cartulaire, intitulée: De
electione Raimundi abbatis, Fulcone rejecto, tempore Pascalis papae
(1109-1112).
(17) Daté du 19 novembre 1111, il
est placé en tête du Cartulaire.
(18) Antiquités bénédictines:
cité par l'abbé Cholet, op. laud. préface, p. XI.
N.B. — La reproduction en
phototypie de notre bulle doit trouver place dans le recueil de fac-similés
paléographiques annoncé par M. Galabert, archiviste municipal de Toulouse, et
par M. Lassalle, photographe, à Toulouse (chez E. Privat, Toulouse).