<<Retour

Source : Bulletin SHAP, tome XXII (1895), pp. 364-366.

LA RÉVOCATION DE L'ÉDIT DE NANTES A BERGERAC

 

Le 23 du mois d'août 1685, arriva dans cette ville 16 compagnies du régiment de Vivonne. Les 24 et 25 suivans, il en arriva autant du régiment de Poitou. Quinze jours devant, il était arrivé deux compagnies de cavalerie de Varennes ; le tout se montait 34 compagnies. Le 25, arriva M. Denis, intendant de la province. Le 26, il assembla les principaux calvinistes, et leur déclara l'intention du roi. Ils demandèrent 24 heures pour délibérer, mais ils ne purent en obtenir que quatre ; et s'assemblèrent à la maison de ville. Après la délibération, M. de Brie-Charou, avocat en cette ville, porta la parole au sieur intendant, assurant que tous voulaient persister dans leur religion ; après cette réponse, M. l'intendant dépêcha des courriers pour aller chercher des troupes, pour augmenter la garnison qui faisait garde à toutes les portes et à toutes les avenues. Il y avait pour témoins 15 corps de garde. J'oubliais de dire cette circonstance, que les troupes que j'ai nommées étaient entrées par le pont, tambour battant, mèche allumée par les deux bouts et les drapeaux déployés, comme s'ils avaient entré dans une ville de conquête.

Le 27 au soir, M. de Boufflers, lieutenant-général des armées du roi, et commandant pour lors les troupes en Guienne, arriva. Le 28, il renouvela la déclaration du roi. Les bourgeois calvinistes s'assemblèrent derechef, et le soir, à 5 heures, ils lui portèrent parole de se convertir. A 10 heures du même soir, il arriva au faubourg de la Magdeleine 12 compagnies de dragons rouges ; mais on les fit camper et ils n'entrèrent point dans la ville. Les officiers avaient aussi passé dans les maisons pour dire aux soldats de ne point faire de bruit, parce qu'on leur avait donné, depuis le jour auparavant, la liberté de vivre à discrétion, et on avait ordonné de leur donner 10 sous par jour, depuis le jour de leur entrée, deux écus aux capitaines et à proportion aux autres officiers.

Le 29 arriva l'évêque d'Agen, celui de Périgueux n'ayant pu venir, à cause qu'il était malade ; il prêcha dans l'église des Récollets, où quantité de bourgeois assistèrent, et y donna l'absolution de l'hérésie à quelques principaux. Toutes les communautés furent commises pour s'employer à cet office; et pendant quatre ou cinq jours on était fort empressé à donner des absolutions. M. Moreau, grand vicaire de Périgueux, et M. Fayolle, official, étaient logés aux Récollets. M. de Boufflers et M. l'intendant demandèrent que les chefs de famille fussent les premiers à donner l'exemple. On laissa les femmes plus de trois semaines sans les presser d'abjurer. Après cela, on donna logement aux soldats, pour les obliger, après ce délai, d'abjurer leur religion. Quelques jours après, on en donna pour les enfans et pour les domestiques. On envoyait des détachements dans les paroisses de la campagne. On vit passer ici en moins de huit jours plus de dix mille hommes ; mais on les faisait camper autour de la ville, et le lendemain, ils passaient outre, et allaient ailleurs. La grande foule des soldats ne dura ici que huit jours; après quoi, on ne laissa que quatre compagnies qu'on logeait chez les catholiques, qui en furent fort incommodés. M. le marquis de Larré, colonel d'un régiment d'infanterie qui portait son nom, fut commis par M. de Boufflers pour commander cette ville et toute la province, son pouvoir s'étendant jusqu'à Agen et Sarlat. Il fallut donner des soldats diverses fois, pour obliger les nouveaux convertis d'aller à la messe. Plusieurs hommes et femmes s'échappèrent. Les uns passèrent dans les pays étrangers, les autres erraient dans les campagnes pour éviter d'abjurer. Mais on mettait les hommes en prison, les femmes dans des monastères. M. le marquis de Boufflers agissait avec une grande vigueur et une grande diligence, allant dans tous les endroits de la province où il jugeait sa présence nécessaire. Tous ces grands embarras durèrent plus de six mois, pour faire revenir les plus opiniâtres.

Dans le mois de février de l'année 1686, on démolit cinq à six maisons, dans la ville et dans le faubourg, appartenant à ceux qui avaient fui pour éviter leur abjuration. On brûla tous les livres hérétiques qu'on avait obligé les bourgeois de remettre, et qui avaient été portés dans le couvent des Récollets. Cette exécution fut faite devant leur porte le 6 du mois de mars 1686 ; ce qui consterna fort les nouveaux convertis, se plaignant de ce qu'on brûlait la parole de Dieu, parce qu'on n'épargna pas les Bibles. L'évêque de Périgueux leur avait fait distribuer, deux mois auparavant, 4 ou 500 Nouveaux Testaments de la version du Père Amelote.

Les protestants regardèrent les Récollets comme incendiaires de leurs livres et les traitèrent en conséquence...

Je ne puis que je ne rapporte une historiette qui fit rire M. de Boufflers, qui n'était pourtant pas tendre.

Il logea une garnison à Naillac, près Bergerac. Un de ses soldats fit main-basse sur toute la volaille ; mais à mesure qu'il en tuait, il la plaçait en peinture sur la muraille : plainte fut portée à M. de Boufflers, qui manda le chef de la garnison, qui répondit que ce Monsieur trouverait toute sa volaille dans sa maison. Quelques jours après, le Monsieur vint à de nouvelles plaintes. Le soldat se tira d'affaire en disant que ses camarades avaient réellement mangé quelques chapons ; mais pour Monsieur, pourrait les manger en figure, puisqu'ils étaient tous peints sur la muraille de la salle (1).

 

Pour copie conforme : Élie DE BIRAN.

 

(1)               Lespine, vol. 48, p. 200

<<Retour