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Source: Bulletin SHAP, tome XI (1884), pp.321-333

LE LIVRE TERRIER DE PIERRE BOTANELLE LE VIEUX,

Notaire de Sarlat.

 

La recherche patiente des vieux documents donne lieu souvent aux trouvailles les plus inattendues. C'est tantôt un t'ait inconnu qui jaillit, une note qui vient à point éclairer une question obscure. C'est tantôt une date à retenir ou un personnage à sauver de l'oubli.

Pour ma part, ces agréables surprises ne m'ont point été ménagées. Ce sont les petits bénéfices imprévus qui entretiennent l'ardeur et reposent de l'aridité de certaines recherches fastidieuses, pénibles, souvent même rebutantes.

En voici un exemple, bien fait, me semble-t-il, pour encourager ceux qui s'intéressent aux recherches d'histoire locale à ne négliger aucune source possible d'informations, celle-ci fut-elle le simple terrier d'un petit bourgeois, bien modeste, bien inconnu. C'est le cas présent.

Quelqu'un connaît-il, en effet, un bon bourgeois de Sarlat, notaire de son état, appelé de son temps Pierre Botanelle le Vieux ? Je ne le crois pas.

Son nom, du moins, n'est jamais passé sous mes yeux depuis quinze ans déjà que je remue avec patience la poussière du vieux Sarlat. Sa clientèle, il est vrai, devait être bien modeste, sa « boutique, » comme on disait alors, assez mal achalandée. Il n'avait évidemment rien de commun avec ces grands notaires, ses contemporains, pour la plupart, qui, grâce à l'honneur, souvent héréditaire, de contresigner des documents devenus des pages d'histoire, ont vu leur nom emprunter quelque chose à l'importance des transactions qu'ils authentiquent et acquérir ainsi une notoriété méritée.

Qui ne connaît, parmi les fervents de l'histoire du Sarladais, les Plamon, les Aoustier, les Ortric, les Vaquier, les Pied-de-Poulain, les Artigole, les Brousse, les Blancher, les Lacroix, etc. ?

Quant à Pierre Botanelle, j'ignorais jusqu'à son nom, lorsque son terrier, incomplet, maculé, déchiré, est passé entre mes mains, sortant de la besace du « peillarot ». Que de documents précieux sont allés au pilon par cette voie !

La biographie du personnage est inutile. Tout ce que je sais, d'ailleurs, de lui, se résume à ceci : il avait pour frère Pierre Botanelle le jeune, aussi notaire, fils l'un et l'autre de Guillaume et de Bertrande Boyria. — Pierre le Vieux eut une fille déjà orpheline en 1525, Marie ou Monde, mariée à Jean del Peyrat. — Tous aussi inconnus les uns que les autres, ou peu s'en faut.

C'est du terrier de Pierre Botanelle le Vieux, annoté à sa mort par Jean del Peyrat son gendre, que je voudrais dire ici quelques mots.

Je ne parlerai point du coté pratique du terrier, des renseignements habituels sur les arrentements, les baux à ferme, à cheptel, le prix du bétail, des denrées, les noms de lieux, etc., tous documents utiles, à divers points de vue; c'est sur les particularités que présente ce registre que je veux m'arrêter.

I

 

Voici tout d'abord une série de notes des plus curieuses, me semble-t-il, sur la condition des domestiques entrés au service de notre notaire, de sa fille et de son gendre.

Chacun sait combien la détermination des salaires, l'évaluation de l'argent et des fortunes, à ces époques reculées, présentent de questions complexes. Nous avons ici des jalons précieux.

On me permettra de donner, à titre d'exemples, quelques-unes de ces notes.

On remarquera ce mélange de patois et de français. Notre, notaire et son gendre parlaient plus souvent l'un que l'autre.

 

«  Le XXe de may an mil Vc XVII, Guiral Gay se louget au my per vaylet et luy ay promes per ung an quatre l. et demyes, ungs sabatos et un gipon et une camisse, an presance de Jehan del Telh et de Guilhou Veysier ».

 

Quarante ans plus tard, les gages ont déjà monté sensiblement.

«  Aujourd'huy jour de St-Massias mil Vc cinquante huict, ay loué pour valel Estiene Belet, dict Picote, pour ung an, à bien me servir comme ung valet est tenu de taire et moy le bien payer, et pour ce faire luy ay promis la somme de neuf francs bourdeloys, ung pere de souliers, ung casaquin, une chemise et ung perpoin de toile de Bry, et aussy ledict Picote luy estre bon valet, comme aussy moy luy estre bon maistre, et cas advenant que soit treuvé en aucune faulte, naura rien du couvert[1], et a ce faire lesd. parties se sont condamnés lung lautre et mont requis acte a mov notaire royal juré de Monsieur l'official. Présents, Monsieur Surguier et Raymond Palomières.

DE Soleyrac, notaire juré.. »

 

Veut-on savoir maintenant les gages d'une servante ?

 

« Lan mil cinq cens cinquante troys, Marguerite Reynalle est venue demeurer avecques moy, Monde Botanelle (femme de J. del Peyrat) et luy ay promys troys livres et demye et une chemise de Bry, et vint demeurer avec moy ce XVI novembre mil Vc LIII. »

 « Le jour St-George 1554, ay lougat per syrvento Thonio pour ung an et luy ay promis la some de troys l. X s. tns et deux chemisses de corde[2], et elle ma promis bien me servyr, et si ce trouve en faute ne luy paierai rien. »

Je doute que cette dernière clause devienne jamais usuelle de nos jours!

 

Veut-on savoir enfin si les nourrices étaient aussi exigeantes et tyranniques qu'en l'an de grâce 1884 ? Monde Botanelle va nous donner la réponse.

 

«  Lo XXXe de mars an 1551, louget nostro donno per noyrico Jehanne Desaut, filhe de Francès, et luy promes per ung an XX s. tns., une robe blanche[3], unos sabatos, unes manches de VIII s. VI dn., unes chosses de VII s. V. d., II camizes, II devantals. »

 

On remarquera la jolie expression « nostro donno » qu'emploie J. del Peyrat en parlant de sa femme. Comme elle peint bien la maîtresse de maison, dans l'acception la plus digne, la plus élevée de ce mot! Comme on sent que celle-ci est bien l'égale du père de famille, en considération, sinon en autorité !

Los renseignements de ce genre abondent. Je m'en tiens aux exemples qui précèdent et passe à un autre ordre d'idées et de documents.

 

II

 

Les confréries, sous leurs diverses formes, ont joué un grand rôle dans la vie de nos pères. Au XVIe siècle, c'est surtout dans la bourgeoisie qu'elles se recrutaient.

Sans insister sur l'action et le but de ces sociétés pieuses, on peut dire, en général, que les membres qui les composaient y trouvaient leur avantage à deux points de vue généraux qui peuvent se résumer ainsi : aide et assistance pendant la vie, par l'association des efforts et des volontés ; aide et assistance après la mort, par l'association des prières.

Les membres décédés avaient droit, de la part de leurs confréries, à des obits, messes de requiem, prières en commun, etc. Les confrères assistaient en corps aux obsèques, etc. Tous ces devoirs s'acquittaient régulièrement et religieusement. Rien ne s'opposait d'ailleurs à ce que le même individu fit partie de plusieurs associations de cette espèce, et cumulât ainsi des prières. Dès lors, on ne s'étonne plus de trouver inscrite soigneusement sur le livre de famille ou de raison, sur le terrier même, la liste des associations débitrices des prières ou d'obits.

Pierre Botanelle ne néglige point cette inscription. Ses héritiers pourront surveiller l'exacte exécution des conventions et le paiement de la dette contractée par les confréries.

Bien en évidence, sur un feuillet tout blanc, en gros caractères, et sans ménager la place, comme pour les autres mentions au même registre, notre notaire a inscrit la liste suivante :

« Nota : Las Contrarias.

Memoria sia que Mre Peyre Botanelle lo Vielh, fils de Guilhe Botanelle et de Bertrande Boyria, es de las confrayrias que s'enseguenu :

Primo del Delhus ;

Item del Corps precious de Nostre Sr à la Gleysa ;

Item de St-Jacques lo Maior ;

Item de St-Nicolau ;

Item de St-Yves ;

Item de St-Francès ;

Item del St-Sudary en Cadoung ;

Item de St-Marcal à Sta-Nadalena ;

Item de St-Sardotz d'Estiou. »

 

Quelques années plus tard, Jean del Peyrat agit de même lorsque, par voie d'alliance, il devient possesseur du même terrier.

« Yo, Johan del Peyrat, filh de feu Peyre, marchant de Sarlat, suis de las couffrayrias que s'en segen :

Primo de la del Dilus ;

de Sent-Serdos ;

de Sent-Jaques lou Grand ;

de Sent-Memory ;

de Nostre-Dame ;

de la Trinitat ;

de Sent-Cosme et Sent-Damien ;

de Sent-Francès ».

 

J'ouvre une parenthèse. Il serait curieux que ce Jean del Pevrat, si soucieux de ses intérêts spirituels d'outre-tombe et de faire prier Dieu pour lui par les nombreuses confréries dont il était membre, fût le même Jean del Peyrat qui, au dire du chanoine Tarde, fut enseveli à « l'huguenote », le 6 décembre 1561, dans la Tour des Morts du vieux cimetière, sans prêtres, sans flambeaux, sans autre compagnie que trois ou quatre de sa secte, et que le chroniqueur appelle « un des plus factionnaires luthériens de Sarlat ». Je le croirais volontiers, les noms et prénoms sont les mêmes, et les dates concordent.

Quoi qu'il en soit, nous possédons ainsi, grâce à ces deux listes différentes, les noms de quatorze confréries diverses, auxquelles nos deux Sarladais appartenaient. Si nous en retranchons celles dont le siège est indiqué comme étant hors de Sarlat, la confrérie du St-Suaire de Cadouin, celle de St-Martial de Ste-Nathalène et peut-être aussi celle de St-Mémoire qui me parait devoir être attribuée à Périgueux, il nous reste les noms de onze confréries que nous pouvons croire avoir exercé à Sarlat, pendant le XVIe siècle, leur charitable mission.

Toutes ces confréries m'étaient inconnues, sauf une, la première « la confrayria del Delhus », la confrérie du Lundi, érigée, je ne sais à quelle époque, dans l'église Ste-Marie de Sarlat et existant encore au milieu du XVIIe siècle.

Cette association devait, me semble-t-il, être commune à tous les habitants de Sarlat, quelle que fût leur fonction, industrie ou métier. Les autres ne comprenaient que certaines catégories restreintes. Les consuls, en qualité de seigneurs haut-justiciers et barons de la ville, étaient les patrons nés de la confrérie du Lundi, ce qui paraît indiquer une fondation municipale. — Aux consuls appartenait en propre la nomination du directeur ecclésiastique, qui portait le nom de « baile perpétuel ». L'autorité épiscopale ou paroissiale restait absolument étrangère à la nomination de cet officier qui n'avait besoin d'aucun « exequatur » pour entrer en fonctions. Il en était de même pour l'administration de cette société. C'est un exemple, entre mille, de cette décentralisation remarquable qui caractérise la vie de nos pères, soit au point de vue religieux, soit au point de vue provincial ou municipal. Les fonctions du « baile perpétuel » consistaient à célébrer pour les associés des messes de requiem au maître-autel de la paroisse, le lundi de chaque semaine, d'où est venu le nom de « confrérie du Lundi. » — Si l'on en juge par le nombre des confrères, les cotisations devaient être bien faibles ; les frais étaient payés par la bourse commune de la confrérie et le revenu des fondations. — La fabrique fournissait gratuitement les ornements elle clergé paroissial assistait le célébrant.

Les autres confréries, ai-je dit, m'étaient inconnues.

Celle de St-Nicolas avait peut-être son siège dans l'église de St-Nicolas-hors-les-murs ?

Celle de St-François, dans l'église des Cordeliers?

Celle de St-Sacerdos était, sans doute, fixée dans la cathédrale, auprès du corps du saint patron de la ville et du diocèse ?

Saint Yves était le patron des gens de loi. Les notaires faisaient-ils partie de leur confrérie ? C'est possible.

Saint Côme et saint Damien étaient les patrons des médecins, chirurgiens, barbiers-étuvistes, apothicaires.

Saint Jacques de Compostelle était le protecteur des pèlerins.

La confrérie du St-Suaire est assez connue pour que je n'en parle point, et celle de St-Mémoire, saint tout à fait local, devait, me semble-t-il, être établie à Périgueux.

 

III

 

Le registre de Pierre Botanelle, interrogé avec soin, va nous livrer d'autres documents.

Non contents d'inscrire les conditions de leurs serviteurs, de relever le nom des confréries dont ils sont membres, nos Sarladais ne résistent point au besoin d'enregistrer le souvenir des grands événements de leur temps qui frappent le plus leur attention. En cela, ils suivent l'usage habituel de cette époque, grâce auquel j'ai pu relever déjà, dans les divers livres de raison que je possède ou qui sont passés sous mes yeux, de nombreux faits importants de l'histoire locale, perdus sans cela. C'est là que j'ai trouvé les deux récits des entreprises sur la ville de Sarlat par l'archidiacre de Vassal de la Tourette, et Montpezat, en 1591 et 1592, publiés par moi dans le deuxième volume de notre Bulletin.

Ce ne sont point des faits de guerre qui sont racontés ici, mais ceux que Botanelle inscrit sur son terrier n'en méritent pas moins d'être conservés.

Le premier en date est la dédicace solennelle de l'église Ste-Marie de Sarlat.

Ce fut, en effet, un véritable événement pour nos aïeux. — Commencée à la fin du XIVe pour remplacer celle qui tombait en ruines, l'église paroissiale Ste-Marie s'éleva très lentement, et sa construction subit plusieurs temps d'arrêt. — Les bourgeois de Sarlat, qui faisaient seuls les frais de cette construction dont on remarque encore avec tristesse les beaux débris, virent leurs ressources s'épuiser pendant la guerre contre l'Anglais dont les derniers et plus violents efforts eurent lieu en Guienne et tout particulièrement en Périgord. Toujours sous les armes, obligés de veiller chaque jour à la défense de leur indépendance et de leurs intérêts, de tenir sur pied de guerre leurs compagnies bourgeoises, de relever et tenir en état leurs défenses, de secourir leurs voisins d'hommes, d'argent et d'artillerie, de concourir, avec les troupes du roi, aux innombrables expéditions qui se succèdent, de payer trop souvent des « souffertes » aux capitaines des compagnies qui détiennent les forts du voisinage, grevés d'impôts royaux et municipaux, les Sarladais durent songer au plus pressé et laisser interrompus les travaux de Sainte-Marie. — Les Anglais chassés, la paix rétablie, on se remet aux travaux de l'église qui sont terminés dans les premières années du XVIe siècle, sous l'habile direction de l'architecte sarladais Pierre Esclanche[4], auquel fut confiée aussi, en 1504, la reconstruction de l'église cathédrale.

La dédicace de Ste-Marie, terminée après plus d'un siècle, fut donc un fait capital pour nos bourgeois, et voici le souvenir, net et précis comme un protocole, que nous on laisse Pierre Botanelle, notaire royal de Sarlat :

 

«  Lo cinquième jour del mes dauvrial lan mil cincq cens et sept, Révérend Payre en Diou messe Armand de Gontault dit de Biron, evesque de Sarlat, consacret legliese Scte-Marie de Sarlat, que es legliese parochielle, et eren assitens Fra Guille Causeial, prior de lad. egliese et Mossr Johan de Planton, Lic en et official deld. Sr evesque de Sarlat, et Mossr Guillo Las Cortz dit Valelhas fech lo diagre, et eren cossolz Mr Peyre Plamon, Mr Bertrand las Cortz, Johan de Viveilhe, apothicary, et Frances Morralha. Et volguet lod. Révérend Payre que la sollempnisation de lad. consecration de lad. egliese dores enavant se celebre lo IXo jour de may, toulz los ans, et a donnat à totz aquelz et aquelas que serian lod. jour als hoffice en lad. egliese, ung an et ung mes de perdu[5] . Et maistre Sardo Perponchier, greffier del cossolat de Sarlat, na ressaubut instrument.

 

Le chanoine Tarde, en chroniqueur consciencieux, n'avait point négligé de mentionner cette dédicace ; mais le récit de notre notaire nous donne bien plus de détails.

 

IV

 

Nous devons enfin une reconnaissance toute spéciale à Pierre Botanelle, qui nous a conservé, avec toutes ses circonstances, le souvenir d'un désastre qui devait se renouveler bien des fois encore, apportant la ruine et la désolation dans Sarlat. Il nous raconte longuement l'inondation de 1523 et la peste de 1522.

Ici le chanoine Tarde nous fait défaut. Le chroniqueur a passé sous silence ces deux fléaux qui s'abattirent coup sur coup sur la pauvre ville. Nous en connaissions pourtant quelque chose, d'une manière bien vague, par une, pièce des archives de l'hôtel de ville de Sarlat, aujourd'hui disparue, mais dont Lespine nous a gardé l'analyse. — Les « bourgeois et manans » de Sarlat présentent au roi requête pour être déchargés des tailles et aides, à cause des dommages soutiens par celle-ci lors de la peste survenue dans la ville, de l'incendie de deux faubourgs et d'un déluge d'eau arrivé la seconde fête de la Pentecôte et le lundi suivant.

Le roi, après enquête, fait droit à la demande et confirme en outre l'imposition que les bourgeois ont décidé de lever sur leur ville pour la réparer, savoir : 5 sols sur chaque bœuf, 1 sol sur chaque mouton, le douzième du vin qui entrera dans leur ville. — Donné à St-Germain en Laie, le 6 juillet 1523.

Il est intéressant d'observer l'origine de ces droits d'entrée sur les marchandises, véritables droits d'octroi, mais temporaires.

Voici le récit de Botanelle.

Malgré les innombrables Item qui le ponctuent et dont l'excellent notaire n'a pu se défaire, qu'il transporte du contrat de mariage et du testament au narré du désastre, ce récit est précieux.-D'abord, par la langue qu'il emploie, mais surtout par les détails qu'il multiplie. On sent que c'est écrit au moment même; il est plein de son sujet, il a été témoin du « déluge d'eau », il en a souffert peut-être. — Sa description s'en ressent.

Soyons-lui reconnaissant de ses habitudes d'ordre, d'exactitude. Grâce à lui, nous pouvons assister, à près de quatre siècles de distance, aux émotions de la pauvre ville surprise et ruinée par l'inondation du 31 mai 1523.

Las causes cy desobz escriches sont be anothar et sont grandes causes miravilhosas que no foren jamais plus vistas en la villa de Sarlat.

Premierament lo dernier jor del mes de may, lan mil cincq cens XXIII, dres lo ser, se leveren grands tonedres, talamen que pleguet si fort la nuech, que lo innundance de laygue fu si grande quelle rompet maisos, botiques et gastet las marchandises que eren dedins lasd. boctiques et los vis dex celiers sen aneren per aygue et los olis[6], et rompet las portas de la vila de Lendrevia et de la Regaudie et se negueren plusiurs gens et la aygue gastet lo couven delz Cordelliers[7] (1) de lad. ville et y fech ung grand dommaige que no se repararia per mille francs.

Item a legliese parochielle[8] et al Monstier fech grand dommaige et laygue monta va sobre los haultars.

Item lad. innundance de laygue rompet lo moli de la Tor delx Monges[9] et lemportet tout entier et y moriren tres filias.

Item sobre saulet los blatz et los pratz et fesen de grans dommaiges a lad. villa que lon extimo plus de cinquante mille " ts. (dex mille francs …).

Item lan per avan mil Vc XXII avia regnat la pesta en lad. ville de Sarlat lespacy de XV mes et y moriren be de nostre III mille Vc personaiges lod. an grans ou petitz.

Item plus rompet lo mur de la Regaudia et la barbacane et se fet de grans malx inextimables et tout al long del cors de laygue.

Item aussi une porte de la barbacane de Lendrevia et emportet de grosses trousses de hoix et lad. aygue venia devers la Crox-Nuget[10] .

Item a las afacharias[11] arompet quatre ou cincq maisos et emportet tout ce que ero dedins tallemen que las pouvres gens no agueren remedi mas de fugy de telada en telada et sobre las maisos et gaigna lo mur, mais al drech de lasd. afacharias lod. mur de la ville se rompet.

Item rompet de tout et empourtet lo moly de Feleno que es lo derrier moly que sia sur lo risseau de Sarlat, près de la Dordoigne, en la parechia de Vitrac.

Item tombaren los petz et termes et gastet fort los camis et y fesen de grans cros plus perfons que une lance, tallement que gens a cheval ny podian passar.

Item montet lad. aygue en las maisos estans en la carreyria de Lendrevia jusques a la Regaudia, jusques a la première estacga[12] et en aulcunes daquelles, tallement que estat une grande pietat et y negeren plusiurs gens.

Item en la rue de Lendrevia arompet et fach tombar tres maisos lune de maistre Jehan Dlanchier et las altras duas de maistre Peyre Paris[13].

La conclusion à tirer de ce qui précède, est, ce me semble, celle-ci, et je finis par où j'ai commencé : on ne doit, lorsqu'on veut sérieusement étudier l'histoire locale dans ses sources, négliger aucun document. Le plus insignifiant en apparence réserve souvent à celui qui l'interroge avec patience bien des surprises, et peut augmenter sa récolte de bien des faits, qu'on chercherait vainement ailleurs.

Si j'ai pu contribuer à mettre en lumière cette vérité, l'analyse que je viens de faire du terrier de Pierre Botanelle le Vieux ne sera pas sans utilité, et l'importance de la conclusion fera passer, j'espère, sur la longueur de cet interminable article.

G. de GÉRARD.



[1] Vêtement.

[2] De chanvre.

[3] Ce devait être, pour les femmes, une pièce du costume habituel, car j'en trouve la mention dans presque toutes les conventions des Botanelle avec leurs servantes.

[4] La qualité de Sarladais que nous attribuons ici a l'architecte de Ste-Marie, de la cathédrale de Sarlat, nous paraît résulter avec certitude de l'acte suivant dont nous avons trouvé l'analyse dans le terrier d'Etienne de Magnanac :

« 1497, 15 septembre. Antoine Canolle, marchand de Sarlat, reconnaît tenir en fief de Etienne de Magnanac, co-seigneur par indivis avec Mr l'évêque de Sarlat, le chapelain de la chapellenie de las Estres, et les hoirs de Jean del Peyrat, une maison sise à Sarlat, rue de la Mechlongane, confrontant avec la maison de M. Géraud Brousse, avec la maison de M Sardon de Bars, avec l'église paroissiale Ste-Marie, rue publique entre deux, et avec la maison de Me Pierre Esclanche, lapidaire de Sarlat, rue entre deux …. de Croza, notaire royal. »

Le terme « lapidaire » est évidemment une mauvaise traduction du mot correspondant latin, qui exprimait la qualité de « tailleur de pierres, maître maçon » entrepreneur, architecte, de Pierre Esclanche. Ces termes sont souvent pris les uns pour les autres, aux XVe et XVIe siècles. On voit que l'architecte de l'église paroissiale s'était logé dans le voisinage immédiat des travaux.

[5] Pardon, indulgence.

[6] Les huiles de noix, objet d'un commerce important à Sarlat.

[7] S'élevait hors la ville, tout auprès de la porte de Lendrevie.

[8] Ste-Marie et l'église du « Moustier » ou cathédrale.

[9] La Tour des Moines devait être à peu près à l'endroit où la rue de la Traverse entre au nord, dans la ville, un peu au-dessus en remontant la petite Regaudie.Le moulin de la Tour des Moines appartenait à l'évêché et rut aliéné en ruines, en 1641, par M. de Lingendes. Il confrontait au collège de Blancher et aux maisons de M. de Javel (précédemment de M. de Salignac-Gaulejac) et de M. de Bonet. Il touchait la Tour des Moines.

[10] Lieu-dit, sur les hauteurs, du côté de « Pren-te-Garde, » entre Campagnac et St-Quentin.

[11] Les tanneries devaient se trouver à peu près sur l'emplacement de la grande Regaudie, auprès du grand abreuvoir.

[12] Ce mot est d’une lecture douteuse.

[13] Jean Blancher et Pierre Paris étaient deux notaires de Sarlat.

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