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E 742

Articles de la trêve conclue entre le seigneur de Laigle et les consuls de Limoges par l'intervention des évêques de Poitiers et de Limoges et de M. de Mortemart, commissaires du Roi (1427)

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Remarques préliminaires :

Copie du manuscrit (Photos Cl. Ribeyrol):

1er cliché :

2ème cliché :

Dos du document:

Texte relatif à la conspiration dite de Gauthier Pradeau qui a motivé cet arbirage provisoire ce juillet 1427 (Bibl. mun. de Limoges, ms. n° 43, p. 91-94) (communiqué en janvier 2019 par M. Claude-Henri Piraud):

Le quatriesme livre des Chronicques de Lymoges.

La trahison conspirée par Gautier Pradeau dict du Roy, Thibauld de la Compleya, gouverneur en ce temps du segneur de l'Aigle, et Helies de Peyzat, escuyer du roy.

L'an mille quatre centz vingt & six le 27e du mois d'aougt vindrent nouvelles à Lymoges que les Anglois avoyent print le bourg de Nantiat distant six lieux dud. Lymoges. Et en ce mesme temps arriverent deux hommes de St Yrieyx à Lymoges prier mossrs les consuls de les secourir à la délivrance de leur ville assiegée par le segneur de l'Aigle. Ce que voyantz les consuls dud. Lymoges ayderent à ceux de la ville de St Yrieyx en tout ce qu'ils peurent, et leur offrirent tout ce qu'ils demandoyent pour la delivrance de leur ville. Bientost apres le segneur de l'Aigle envoya devers les consuls de Lymoges une partie de ses gens d'armes avec une lettre les priant qu'ils luy voulussent ayder à prandre lad. ville de St Yrieyx et luy fournir canons, poudres & autres munitions de guerre, ce que firent les consuls, pansant que les affaires se portassent mieux qu'elles ne firent.

Mais enfin, par permission divine, toute la trahison fut descouverte car le vingt septiesme jour d'aougt mille quatre centz vingt six le segneur de l'Aigle, [p. 92] accompagné d'Anglois, vint au dessen avec les capitaynes d'Encor, de Bernardieras, d'Aubetere, de Claix, de Rochechales, lesquels capitaynes avoyent environ deux centz hommes d'armes & Anglois. Et aussy y avoit en lad compagnie un capitayne nommé espoir François, et de La Roche lequel avoit en sa compagnie aussy deux centz hommes d'armes. Lesquels capitaynes estoyent accompagnés de force noblesse du pays et entre autres du segneur de Villac (du Contingas, de Colonges ?) de messire Jehan, fils du baron de Pierebroffiere, de Jaufre, fils du segneur des Cars, du fils de messire de Bonneval, du segneur d'Ayiaux et d'un des fauxbourgs de Lymoges et de plusieurs autres en grand nombre tant de sa terre que d'ailleurs, comme d'Aixe, de Maceré et de Chervis, bien au nombre de trois centz hommes & plus. Et les dessus nommés se mirent tous ensemble et vindrent le jour dessus et devant le point du jour se mirent en embuscade dans une vigne scituée pres la porte des Arenes. Lad. vigne appartenoit aud. traistre Gautier du Roy [1], natif de Leyter et pour lors habitant & consul de Lymoges. Ors led. traistre scavoit bien qu'ils estoyent venus en sad. vigne devant que la porte des Arenes fut ouverte et par ce avoit ordonné que lad. embuscade fut en sad. vigne avec tous ses adherans. Avec luy estoit traistre Thibaud de la Combleya, pour lors gouverneur du segneur de l'Aigle, et un escuyer de Lymousin nommé Helies Peyzat qui autreffois avoit demeuré avec l'evesque de Carcassonne et avoit entreprins de fere lad. trahison.

Et entre eux ordonnerent de ne bouger mal accompagnés de la susd. vigne, et avoir leurs armes preparées pour mieux executer leur damnable trahison, iceux ayantz faict venir le jour devant en ceste ville cinq gens d'armes bretons des plus vaillantz gens d'armes de guerre dud. de l'Aigle, et avec eux Jehan de Tris, capitaine de Chervic, Jehan Lamertie, capitayne de Maceré, et deux autres en leur compagnie, lesquels vindrent le soir loger au logis de Jehan Blanchon, cordonnier, demeurant en la rue du Clocher à l'ensegne du Signe. Lesquels estoyent enrollés en lad. trahison, eux ayantz faict venir Tibaud, Gaultier et Peyzat, et avoyent entre eux conclud que quand la porte des Arenes seroit ouverte led. de Combleya devoit venir à lad. porte accompagné de cinq ou six hommes d'armes en disant à ceux de la porte qui faisoyent garde de les laisser entrer dans la ville. Laquelle chose ils pensoyent leur estre refusée par ceux de la garde, ils prindrent resolution de s'approcher pres de la barriere, et pour mieux fere leur entreprinse disoyent qu'ils vouloyent parler à certain homme qui devoit là arriver, et cepandant qu'ils y demeuroyent vint un homme qui leur dict qu'il falloit attandre jusques au lendemain, et que quand le jour seroit venu vingtcinq hommes d'armes entreroyent par la porte des Aregnes et en y entrant devoyent tuer ceux de la garde, et mettre un cheval sur le pont & un chevron soubz le rateau, affin qu'il n'y eust homme qui le peut defendre, et ayantz tué ceux de la garde se saizir de leurs armes. Et se devoyent trouver led. jour à mesme heure tous ceux qui estoyent en lad. vigne, pour mieux parfere leur entreprinse. Et les susd. avoyent conclud de mettre tous ceux de la ville à mort et principallement ceux qui leur voudroyent fere resistance.

Et en ce faisantz aucuns de leur trouppe vindrent à la porte Bouchere pour fere comme les autres et pour mieux estre asseurés de prandre la ville car ils se faisoyent fortz de l'avoir par ce que la plus grande [p. 93] partie des habitans s'estoyent retirés aux champs à cause de la contagion qui regnoit pour lors et l'ennemy pançoit que ceux qui estoyent demeurés dans la ville n'estoyent suffisantz de leur resister. Mais Nostre Dieu qui n'oblie les siens garda Lymoges & ses cytoyens d'un si grand danger, car le landemain devant le point du jour les habitans de la ville s'armerent de tout ce qu'il leur estoyent necessaire, & monterent sur les murailhes, & mirent des munitions de guerre dans les tours de la ville, & apres qu'ils heurent faict cela ils allerent prandre les cinq hommes d'armes dessus nommés logés comme dict est au logis designé, lesquels estoyent entrés dans la ville aux fins d'executer lad. trahison, et les firent mourir.

Et quand led. segneur de l'Aigle et ses gens sceurent qu'ils avoyent esté descouvers, ils s'en allerent au d se loger dans la Cyté, et prindrent la maison de l'evesque & l'abbaye de la Regle, et du despuis firent grande guerre contre Lymoges, tellement qu'il y avoit tous les jours escarmouche car ceux de la ville s'estoyent bien armés & les alloyent trouver pour se battre. Et quand l'ennemy pouvoit prandre quelqu'un de la ville leur faisoit payer rançon. Ils ruinerent aussy grand quantité de vignes, desmolirent abondance de moulins de l'entour de Lymoges, et principallement ceux des pontz St Estienne & St Martial, bruslerent beaucoup de maisons des villages prochains, & en bref y apporterent de grands & innombrables dommages car il y heust beaucoup de mortz, & de blessés de tous les deux costés.

Et apres que l'ennemy se fut retiré il sortit quelques deux de Lymoges & s'en allerent en la vigne où l'ennemy avoit logé quelques jours pour attandre les nouvelles du traitre Gautier Pradeau. Et estant entré dans lad. vigne trouverent certaines lettres et entre autres en trouverent une escrite & signée de la main dud. Gautier Pradeau, qu'il avoit envoyée au sr de l'Aigle et en laquelle il l'advertissoit de tout ce qui devoit se passer et comment il devoit se gouverner pour destruire Lymoges. Laquelle lettre fut portée aux consuls, lesquels descouvrans par icelle toute la trahison & qui en estoit l'auteur, veu quelle estoit signée dud. Gautier du Roy, incontinent la luy portarent en son logis, eux ne pouvans croire qu'elle fut faicte de sa main. Et estans entrés en sa maison luy dirent qu'ils avoyent trouvé certaines lettres dans sa vigne, lesquelles ils luy voulurent montrer. Il leur respondit que devant ils disneroyent et qu'apres le disner il les verroit. Quoy voyans les consuls se retirerent sans disner et s'en allerent sans en fere conte.

Mais Nostre Segneur qui voulut descouvrir une telle trahison ne la voulut laissée impunie, tellement que les consuls s'en retournans trouverent d'autres consuls accompagnés de certains bourgeois de la ville auxquels montrerent la lettre du traitre, ce que voyans firent fere une attestation par conseilh où fut faict preuve que lad. lettre estoit escrite & signée de la main dud. Gautier Pradeau. Et, apres les informations faictes, firent venir led. traistre en la maison de ville car il estoit consul l'année mesme. Et luy fut monstré devant tous les consuls & bourgeaois de la ville de Lymoges la susd. lettre et demandé devant toute l'assistance s'il l'avoit escrite & signée. Et luy firent jurer sur le Livre de dire la vérité, lequel respondit [p. 94] devant tous ne l'avoir escrite ni signée, et faisoit semblant comme s'il n'eust sceu lire ni escrire. Et pour lors les sieurs consuls luy dirent qu'ils scavoyent bien le contraire & qu'il dict la vérité affin d'eviter la question, à quoy ne respondit mot.

Quoy voyans le firent desarmer, et led. traytre alors cognoissant qu'il estoit descouvers, et qu'il luy faloit dire la vérité, confessa que veritablement lad. lettre estoit escrite & signée de sa main propre, et que led. de Combleya & Peyzat avoyent entreprins de long temps auparavant lad. trahison, et que le segneur de l'Aigle leur avoit faict promesse, laquelle estoit dans son logis cachée dans une boyte & signée de la propre main dud. de l'Aigle & signée de son seel secret de cire rouge. Adonc allerent aucuns desd. consuls au logis du traytre, et trouverent lad. boyte & promesse laquelle ils porterent en la maison de ville. Et à l'instant led. Gautier fut mené en la maison du prevost consul où il demeura tout le soir, qui fut le lundy second jour de septembre aud. an mille quatre centz vingt six. Et là estant, le mirent à la torture, & en presence de tous les assistans confessa tout ce qui s'estoit passé. Ce que voyans les ditz consuls firent lire lad. lettre & d'un commun accord fut arresté de le fere constituer prisonnier, laquelle chose fut executée. Et fut mené par deux consuls & par Mr le prevost Raymond de la Chapoulhe, chevailher, docteur & juge pour les consuls. Et le lendemain son proces fut fait au point du jour par lequel fut condamné avoir la teste tranchée et son corps mis à quatre cartiers. Laquelle chose fut executée le mardi troiziesme jour de septembre aud. an que dessus en la rue du Grand Marché des Bancz au dessous le pillory. Et fut mise sa teste au bout d'une lance dans le parc de la porte des Arenes par ce que par lad. porte il avoit entreprins de fere lad. trahison, et lesd. cartiers furent mis devant les portes de Lymoges (un par) un & ses entrailhes qui furent mises dans terre en sad. vigne.

Et faut noter que led. Gautier devant que mourir fut interogé s'il y avoit aucuns de ses complices qui fut de ceste ville, à quoy il respondit sur la damnacion de son ame qu'il n'y avoit homme qui fut adherant sinon le Sr de l'Aigle, Tibaud, & Helies de Peyzat. Dict davantage que led. Sr de l'Aigle luy devoit bailher, ayant prins lad. ville, la somme de dix mille escutz, et aud. de Peyzat trois mille, & aud. Tibaud cinquante livres de rante qu'il devoit aud. de l'Aigle et durant toute sa vie estre seneschal de Lymousin.

Quoy voyant led. de l'Aigle & ses gens estantz encore dans la Cyté que led. traytre avoit esté executé, delibererent, descreterent un peu et demeurerent devant ceste ville l'espace de huict jours. Apres lesquelz se retira led. de l'Aigle & ses gens [2] de l'Aigle manda à ceste ville qu'il ne bougeroit de l'entour jusques ad ce qu'il l'auroit prinse & reduicte à son obeyssance mais les habitans de Lymoges luy mandarent qu'ils tenoyent la ville du roy & de ses predecesseurs et qu'ils la luy garderoyent tousiours à son obeyssance et qu'ils luy devoyent tout honneur & obeyssance et qu'à d'autres ils ne la delivreroient à peyne de mourir tous, car ils vouloyent vivre et mourir tousiours bons francois ores et pour l'advenir. Sur ce lesd. sieurs consuls de Lymoges assemblerent tout le peuple et aussy les consuls de la Cyté de Lymoges, procureurs & officiers de Mre l'evesque, & conclurent tous d'un mesme accord que par ce qu'il y avoit despuis 15 jours en ca cinq capitaines Anglois & led. segneur de l'Aigle & plusieurs du pays et aussy Jehan de la Roche avec ses gens qui apres avoir falli lad. fauce entreprise sur lad. ville de Lymoges s'en allerent loger dans la salle du logis de l'evesque de Lymoges & tout autour de ceste ville faisoyent grands maux, prenoyent prisonniers, faisoyent brusler grand quantité de bastimentz, rompre les moulins, coupper les vignes, desrober & piller les eglises, enmenoyent les prisonniers qu'ils tenoyent de ceste ville, leur bestail vendre en leur pays, disoyent publiquement que les Anglois arrivoyent en grand nombre et logeoyent aud. logis & salle dud. Sr evesque et qu'ils n'en attendoyent d'autres du costé de Bourdeaux, resolus de nous fere tout le mal qu'ils pourroyent, faisant de grandes assemblées en lad. salle de l'evesque, qui fut cause que les consuls et habitans de Lymoges firent destruire lad. salle & autres bastimens à l'entour & murailhes des vignes, le mercredy, jeudy, vendredy & samedy devant la Nativité de la Vierge, mois de septembre 1426.

En conséquence de quoy, ayant veu les cytoyens de la ville de Lymoges que Dieu leur avoit faict & octroyé une telle grace que d'avoir miraculeusement par les merites & intercessions de Mre St Martial, nostre patron, preservé leur ville d'une si execrable trahison, ordonnerent que d'ores en avant au mesme jour vingt septiesme d'aougt un chacun an se feroit une procession generalle en memoire d'icelle preservation, laquelle procession se continue un chacun an.

(Bibl. mun. de Limoges, ms. n° 43, p. 91-94)


[1] qui pour lors avoit demeuré environ trente cinq ans aud. Lymoges bien que ses pere & mere ny luy fussent nais à Lymoges ains à Leyter.

[2] Ayant biffé ces mots, le scripteur renvoie à la page 92 (“Vide le feuilhet qui est cy devant et an marge au tel signet +”), où on trouve en effet la “+ Suite du present discours”.

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